Dans un monde sans humains, un adorable petit chat vit seul dans une maison abandonnée. Une vie de chat parfaite, en somme. Mais sa paisible existence va être mise à mal par une soudaine et apocalyptique montée des eaux. Il va devoir se résoudre à quitter son monde, accompagné d’un capybara narcoleptique, d’un lémurien cleptomane, d’un oiseau snob et d’un chien débonnaire. Commence alors une odyssée à travers un monde submergé, faite d’aventures, de rencontres et d’images poétiques à couper le souffle. Et tout ça sans une seule phrase de dialogue.
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Gints Zilbalodis avait fait sensation dans le monde de l’animation avec son premier film, Ailleurs, déjà sans dialogues, et dont il avait assuré presque tous les postes : scénario, animation, musique, montage. Le film avait gagné en 2019 le prix Contrechamp au Festival d’Annecy. Cinq ans de travail plus tard, doté d’un budget plus important et de coproducteurs plus nombreux (français, pour la plupart), il revient donc avec Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau. Présenté en section Un certain regard au dernier Festival de Cannes, Flow sort enfin ce mercredi sur les écrans, et c’est une réussite totale. Une réussite qui relève du petit miracle, tant les paris entrepris par le film d’un point de vue technique, esthétique et narratif sont tenus du premier au dernier plan.
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Prouesse technique et esthétique
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En mélangeant une fluidité d’animation 3D avec des couleurs pastel, une texture 2D pâteuse et brute, le film parvient à créer une atmosphère de conte auquel on croit à chaque instant. On est frappés par le naturel déconcertant des mouvements de ses personnages à quatre pattes, par le travail sur la lumière et sur les mouvements de caméra. Le film travaille également la texture de l’eau, probablement la plus difficile à réussir en animation, d’une manière remarquable. En choisissant de placer sa caméra “à hauteur de chat”, il la plonge parfois dans l’eau, comme si le cadreur était lui-même à moitié immergé. C’est dans ces scènes que la réussite technique du film est impressionnante, et met à l’amende bien des superproductions.
De la prouesse technique découle une prouesse esthétique. L’image est baignée d’une lumière diffuse, qui donne au film un aspect onirique et poétique. On découvre ce monde avec émerveillement, ces décors atemporels constitués de ruines qu’on visite, et dont on s’imagine le passé. Ce qui n’est pas sans rappeler certains jeux vidéo récents – on pense évidemment à The Legend of Zelda: Breath of the Wild, pour la texture pastel des images ainsi que la déambulation onirique et muette des héros dans un monde qui les dépasse.
On pense aussi à Stray, le jeu français ayant pour héros un chat dans un monde abandonné par les humains. Ces références semblent pleinement assumées et digérées par le film, qui parvient à créer un trait d’union élégant entre ces deux univers. Et c’est peut-être une des premières fois que cette sensation si particulière de l’extase de la découverte, souvent liée à l’exploration dans un jeu, est si bien retranscrite au cinéma.
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Un chat et un chien sont dans un bateau
L’autre pari risqué que le film tient jusqu’au bout est son absence totale de dialogues, en se concentrant sur des animaux par définition muets. Le travail d’écriture pour rendre ces personnages attachants, ayant des traits de caractère simples mais compréhensibles, sans céder à une vision anthropomorphique, est simplement impressionnant.
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Car les animaux du film sont bien des personnages écrits, avec leurs affects et leurs personnalités, mais on ne leur plaque jamais des expressions humaines ou des émotions qui seraient trop éloignées de leurs comportements instinctifs. Le chat est indépendant parce qu’il est un chat. Il est égoïste, courageux et peureux en même temps… parce qu’il est un chat. Il en va de même pour les autres animaux. Chacun pourra y reconnaître son animal de compagnie, mais aussi ses propres comportements.
Dans le monde de Flow, il n’y a pas de gentils, pas de méchants, juste des animaux qui n’ont d’autre choix que de survivre à des éléments qui se déchaînent contre eux. À rebours des productions pour enfants surrythmées, qui se battent pour l’attention de leur public, Flow adopte un rythme plus lent, plus méditatif. Quitte à l’être peut-être un peu trop, au gré de séquences qui peuvent parfois sembler un peu répétitives. Mais on est vite rattrapés par la poésie visuelle et le flot (sans mauvais jeu de mots) de l’histoire, si bien que quand l’aventure prend fin, on aurait aimé qu’elle continue.