“Les premiers signes de problèmes au cœur sont souvent caractérisés par des taches, une courbure et une décoloration des ongles.” C’est sur cette affirmation scientifique foireuse que s’ouvre Fingernails, le second long-métrage et premier film en anglais du réalisateur grec Christos Nikou, formé à la bonne école, puisqu’il a assisté à la réalisation Yórgos Lánthimos et Richard Linklater, qui ont respectivement signé un grand film dystopique sur l’amour et une sublime fresque amoureuse.
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Sans aucun fondement scientifique, ce carton d’ouverture introduit pourtant habilement le film, puisque ce sont ces mêmes ongles que l’on maltraite lorsque l’angoisse se fait sentir dans notre tête ou notre cœur. Ce sont également eux au bout de nos doigts qui swipent à droite ou à gauche sur les applications de rencontre, où tout se joue donc du bout des doigts.
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Dans Fingernails, drame romantique de science-fiction qui frôle avec le body horror disponible sur Apple TV+, ce sont donc les ongles qui analysent le sentiment amoureux. Dans une clinique d’un genre nouveau, qui propose de “réduire le risque de l’amour” pour économiser du temps à ses clients dans un monde en crise des relations amoureuses, la compatibilité amoureuse est passée au crible dans des simili-micro-ondes qui analysent les griffes humaines arrachées à leurs propriétaires préalablement soumis à une multitude d’exercices lors d’étranges thérapies de couple.
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Anna (Jessie Buckley) est installée dans un couple routinier avec Ryan (Jeremy Allen White), et si elle ne semble plus épanouie, ils se raccrochent tous les deux à leur compatibilité évaluée à 100 %. Curieuse d’en savoir davantage sur cette technologie que tout le monde accepte docilement, elle va se faire embaucher dans le fameux Love Institute du docteur Duncan et tombera sous le charme de son collègue, Amir (Riz Ahmed). Et si, de Fingernails, on aurait pu craindre une charge grossière contre l’amour en ligne dans une sorte de dystopie façon Black Mirror, Christos Nikou nous livre plutôt une romance douce-amère qui nous brise autant qu’elle nous soulève le cœur.
Comprendre l’amour
Il choisit de placer son histoire dans un pays anglo-saxon indéterminé à une époque qui l’est également. Ici, pas de téléphones portables, on s’appelle sur des téléphones fixes pour convenir d’un rendez-vous. Les machines futuristes ressemblent à de bêtes micro-ondes plantés dans des bureaux surannés baignés d’une lumière rétro. Seul ancrage dans un présent plus ou moins proche, une rétrospective des films de Hugh Grant proposée aux participants du programme, car “personne ne comprend l’amour mieux que lui”, lit-on en grosses lettres sur la devanture du cinéma.
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Plutôt qu’une attaque facile et un peu vaine contre les nouvelles technologies qui empêcheraient toute forme de spontanéité dans les relations amoureuses, Christos Nikou dépeint surtout une société qui ne comprend pas l’amour et n’accepte plus de donner du temps au temps, en expérimentant et en se cassant les dents. Car comme le constate amèrement Amir, il sera malheureusement toujours vrai que “si regarder une comédie romantique nous fait nous sentir en sécurité, être amoureux, c’est tout l’inverse”.
Cette incompréhension généralisée du sentiment amoureux s’incarne davantage, et avec beaucoup de grâce, dans les silences suspendus de ce délicat trio d’acteurs que dans la dystopie. Catapulter les talentueux Jessie Buckley et Riz Ahmed dans un registre romantique que l’on ne leur avait jamais connu auparavant demeure par ailleurs la meilleure idée du film (tout comme celle d’avoir transformé le chef sexy et colérique de The Bear en partenaire amoureux doux mais passif, dans une mutation extrêmement plaisante à contempler). Ainsi, du film high concept surnage une observation inattendue de la complexité de l’amour joliment orchestrée par un très beau triangle amoureux.