Depuis quinze ans, on reçoit des artistes et personnalités mondialement connu·e·s de la pop culture, mais on a aussi à cœur de spotter les talents émergents dont les médias ne parlent pas encore.
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En 2024, après une première édition des Talents of tomorrow, on repart en quête de la relève. La rédaction de Konbini vous propose une série de portraits sur les étoiles de demain, qui vont exploser cette année. Des personnalités jeunes et francophones qu’on vous invite à suivre et soutenir dès maintenant.
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Portrait. Après avoir été étiqueté “banlieusard du climat” ou “TikTokeur du climat”, tout ça parce qu’“à un moment”, il faisait “de la vulgarisation concernant les enjeux climatiques en vidéo”, Féris Barkat en a marre des réductions. Marre “d’être l’Arabe qui parle d’écologie”. Assise pas loin, Sanaa Saitouli, la cofondatrice de leur association Banlieues Climat, l’écoute terminer et lui lance en riant avoir “entendu quelqu’un l’appeler ‘le beau gosse du climat'”, il y a peu. “Tu préfères ?”, s’esclaffe-t-elle. Après quelques secousses horizontales de la tête et une demi-seconde de réflexion, Féris Barkat glisse avec un sourire : “Au moins, beau gosse, c’est plus généraliste et ça essentialise moins.”
L’échange résume bien l’esprit du jeune homme, particulièrement doué dans l’équilibre entre le trait d’humour et le trait d’intelligence. C’est qu’à 21 ans, Féris Barkat a eu l’occasion de s’entraîner à jouer à l’équilibriste. Après un début d’études secondaires marqué par l’amour du foot et quelques “mauvaises fréquentations”, le collégien intègre un établissement privé grâce aux recommandations de sa prof d’histoire – alors même que ses parents avaient déjà tenté de l’y faire rentrer, sans succès.
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Là-bas, son parcours semble tout tracé : il intègre la filière scientifique du lycée pour devenir ingénieur, comme ces personnes que lui a montrées son père, lors d’un stage dans l’usine où ce dernier travaille. C’était sans compter sur le fait que Féris Barkat aime se retrouver là où on ne l’attend pas. Dans son nouveau lycée, il “découvre les cours d’éloquence, l’art oratoire” et se prend de passion pour “l’idée de pouvoir exprimer ses idées clairement”. “C’était la seule matière où je me sentais bien. Dans les autres, j’étais éclaté au sol. Pourtant, cette option-là était hyper abstraite, ça s’appelait ‘humanités renforcées’. Je passais trois heures par semaine dans un cours qui n’était même pas noté, c’était indéfendable aux yeux de ma famille mais c’était le seul cours où mon prof me considérait. J’avais l’impression de pouvoir briller.”
“On n’avait pas le même rapport à la vie”
En même temps que l’art oratoire, le lycéen se pique de philosophie, qu’il part ensuite étudier, avec les sciences politiques, à la London School of Economics. Féris Barkat se retrouve de nouveau sur un fil, aux prises avec la grande “incompréhension” de se retrouver dans ce milieu universitaire élitiste : “Mes parents, mes oncles, mes tantes étaient très cultivés. Ils auraient pu et auraient voulu continuer l’école, mais ils se sont retrouvés dans des métiers où ils se butent la santé. Je vois la même chose chez mes cousins, mes potes, et je me demande pourquoi moi, je m’en sors autrement. J’ai toujours mis l’accent sur la chance plus que sur le mérite dans mon parcours. À Londres, je me suis retrouvé avec des gens qui se pensent méritants alors qu’ils avaient encore plus de chance que moi. On n’avait pas le même rapport à la vie. Ils pensaient qu’on leur devait quelque chose parce qu’ils étaient bien nés.”
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Bien heureusement, l’une de ses forces est de ne pas se laisser impressionner. Lorsque sa mère tombe malade, il quitte Londres et arrête les cours malgré le prestige accolé au cursus. “À mon retour, j’ai intégré le Collège citoyen de France, mais c’était une vie compliquée. Il y a un an jour pour jour, je faisais mes réunions en direct de l’hôpital, aux côtés de ma mère. Vu ce qui lui arrivait, j’ai creusé davantage la question climatique sur laquelle je m’étais déjà penché à Londres. Je voyais le lien direct entre les enjeux climatiques et la santé puisqu’elle a grandi dans un quartier hyperpollué.”
“C’est hyper violent de voir que tout le monde parle d’écologie, mais que ce n’est pas pour nous”
Ces douloureux événements agissent comme un “déclencheur” dans sa vie. “On me demande parfois quel a été le déclic : c’est juste que je n’ai pas eu le choix. Dans chacune de nos trajectoires, il y a ce schéma de ‘on n’a pas eu le choix'”, détaille-t-il en référence à ses partenaires de Banlieues Climat et aux jeunes que l’association forme depuis un an. Le but est de les sensibiliser aux questions environnementales, en soulignant leur lien direct avec la justice sociale.
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“C’est comme si l’écologie était devenue hype pour tout le monde mais pas pour nous. Quand on met en avant le manque d’espaces verts, la pollution, les problèmes d’alimentation qu’on subit en banlieue, tout d’un coup, on n’entend plus parler d’écologie mais d’inégalités sociales, des cités qui se plaignent, d’assistanat et de méritocratie qui ne fait pas son taf. C’est hyper violent de voir que tout le monde parle d’écologie, mais que ce n’est pas pour nous. Pourtant, c’est très concret pour nous : ça touche nos vies, nos vulnérabilités. Il y a des gens qui meurent, tout simplement”, s’indigne l’activiste.
En réponse à l’inaction gouvernementale, Sanaa Saitouli, Abdelaali El Badaoui et Féris Barkat ont pris les choses en main. Depuis un an, le trio a choisi comme pierre angulaire de Banlieues Climat la formation : “Ça permet un pied d’égalité. On prend à contrepied l’idée que les classes populaires s’en foutent : c’est faux, c’est juste les autres qui ne savent pas comment aborder le sujet avec ces jeunes. Nous, quand on vient avec nos codes, ça marche.”
“Je sais à qui je m’adresse, qui je veux convaincre et qui je veux emmener avec moi”
Cette volonté de rester fidèle à ses codes ne semble pas plaire à tout le monde. Dans le café où nous nous rencontrons, je montre à Féris Barkat un commentaire qui m’a interpellée, lu sous l’une de ses publications : “Tu devrais utiliser des mots plus adaptés pour capter l’attention des jeunes et le respect de tous, pas seulement des jeunes !” Loin de l’énerver, ce commentaire lui permet de dérouler son raisonnement :
“C’est la posture de l’insolence. C’est un truc que je faisais naturellement au début, et je me dis que c’est à théoriser. Je ne prétends pas avoir fait une découverte fondamentale en sociologie mais je trouve que c’est une posture intéressante pour éviter l’erreur du transfuge qui s’adapte trop à son nouveau milieu, qui devient lisse et qui se fait la caution du système. L’idée c’est de dire : je peux maîtriser vos codes, je connais les chiffres, mais je ne vais pas les utiliser – je peux les utiliser, mais volontairement, et précisément parce que je sais à qui je m’adresse, qui je veux convaincre et qui je veux emmener, je ne vais pas les utiliser.
Au début je faisais ça parce que c’était ma manière de parler, de rigoler, puis c’est devenu conscient. Je ne voulais pas donner de crédit aux ministres ou aux gens que je rencontrais juste à cause de leur position. Si j’accorde de l’importance à cet ordre hiérarchique, je crédibilise un ordre social et une domination que je refuse de base. Pourquoi je changerais parce que je suis en face d’eux et qu’ils m’ont servi de l’eau dans un verre un peu doré ? Non, ça ne marche pas comme ça.”
“C’est important d’absolument déconstruire les codes”
Malgré son jeune âge, Féris Barkat se rend bien compte qu’il peut faire office de modèle pour nombre de jeunes qui le suivent et que ses actes sont donc scrutés. Mettre de côté ses codes pour mimer ceux du système établi pourrait “laisser penser aux gens que c’est ça la réussite”. “C’est important de maîtriser les codes, et c’est encore plus important d’absolument les déconstruire après. Sinon, ça te fait croire que ta personne n’aura jamais sa place dans n’importe quelle autre sphère que la tienne, ce qui est faux.”
Ces stigmatisations sont légion, venant autant de détracteur·rice·s que d’admirateur·rice·s, qui partent d’un postulat commun, “s’imaginant que tu ne peux pas connaître les chiffres si tu es habillé en jogging”. C’est là que se nichent les discriminations les plus pernicieuses : quand le simple fait d’être soi devient un acte militant. Mais Féris Barkat travaille dur à casser les clichés et les enfermements. Le militant est également présent sur YouTube, où il crée des contenus afin de “toucher un plus grand nombre de personnes”. Prochainement, c’est une vidéo tournée avec l’expert du climat Jean-Marc Jancovici et les humoristes Fary, Fatou Guinea et Kémil qui va sortir pour lui permettre de parler de justice sociale de la façon la plus accessible possible.
“J’ai l’impression de ne pas être la même personne qu’il y a six ou sept ans. Les perspectives étaient trop réduites, je ne me serais jamais imaginé être là, je ne savais même pas ce que ça voulait dire ‘associatif’. […] C’est motivant ce qu’on fait, de voir qu’on a un impact, les mamans qui appellent Sanaa pour nous remercier… Mais parfois, j’ai peur que ça projette trop d’espoir. J’ai déjà reçu des messages de la part de personnes en place qui me disaient : ‘Voilà ce qu’il va se passer pour toi dans les cinq prochaines années.’ Les gars, à tout moment, je disparais et je pars au Mexique.” La leçon est d’importance, c’est une leçon d’action, du refus de se laisser définir par autrui. C’est une leçon de confiance en soi, en les autres, en la souplesse de nos existences, qu’on n’a jamais fini d’apprendre.
Les recos de Féris Barkat
- Un animé : L’Attaque des Titans d’Hajime Isayama.
- Des artistes : Zamdane et Tif.
- Un peintre : Artemile.
- Un film : Little Girl Blue (2023) de Mona Achache.
Vous pouvez suivre Féris Barkat, Sanaa Saitouli et Abdelaali el Badaoui sur Instagram, ainsi que le compte de Banlieues Climat.