Elles s’appellent Emily Pellegrini, Kuki, Aitana Lopez et Maia Lima et l’illusion est parfaite : on pourrait croire à des influenceuses en chair et en os. Pourtant, il n’en est rien. Ces modèles, qui pullulent ces derniers temps sur Instagram, ont été générées grâce à une intelligence artificielle qui s’est largement entraînée sur des standards de beauté inaccessibles. Aitana et Maia ont toutes les deux été créées par The Clueless, “une agence de mannequins” virtuel·le·s. En 2023, Meta a lancé sa gamme d’influenceur·se·s sur Instagram. Et souvenez-vous de Lil Miquela, la toute première modèle IA à conquérir le réseau social. Aujourd’hui, on la voit rider tranquillement dans une campagne BMW.
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Car c’est cette question que pose la recrudescence des modèles virtuel·le·s pour les influenceur·se·s : les marques vont-elles pouvoir se passer de leurs services ? Leur place est-elle vraiment menacée ? Leurs revenus publicitaires vont-ils être cannibalisés par ces êtres de pixels ? Les marques et médias ont déjà commencé à s’emparer des IA pour réduire les coûts, en produisant des campagnes entières sans modèle et en créant sans vergogne des images qui se passent du travail des artistes et photographes. Pourquoi, oui et non, les influenceur·se·s sont et ne sont pas menacé·e·s par ces nouveaux·elles concurrent·e·s ?
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Une vraie menace ? Oui…
Oui, car dans le cas de Maia et Aitana (de The Clueless, qui cumulent respectivement plus de 17 000 et 260 000 followers) ou de Lil Miquela (qui en a 2,6 millions), les comptes Instagram rencontrent de véritables succès. Les deux peuvent empiler les contrats avec les marques si elles le veulent, contrats qui ne reviennent donc pas aux mannequins et influenceur·se·s humain·e·s. Ces contrats sont des succès et ces modèles artificiel·le·s savent très bien vendre des produits, selon une étude réalisée par Meta à partir d’une campagne H&M en collaboration avec Kuki, suivie par seulement 4 300 followers et développée par l’entreprise ICONIQ AI.
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L’éthique de ces comptes est encore floue : la transparence n’est pas respectée, et on pourrait les confondre avec de vraies personnes (quand la DA est bien réussie) ; c’est pour cela que cela marche si bien. Dans le cas d’Emily Pellegrini par exemple, il n’est pas stipulé qu’elle est irréelle. Elle possède un nom réaliste qui ne fait pas de jeu de mots avec “IA” comme “Maia” ou “Aitana”, et s’est même créé un “backup account”. Les poses sexualisées de ces trois-là ramènent un public masculin qui booste les visibilités de ces profils, et c’est bien dégueulasse.
Non…
Non, car si on observe la tendance pour la famille IA de Meta, comme le chef Max, ou Emily Pellegrini, qui dépassent difficilement les 5 000 abonné·e·s depuis plusieurs mois, leur croissance n’est pas à envier. C’est sûrement un feu qui ne prendra pas, sauf, peut-être, dans le cas d’Emily Pellegrini qui déclare aussi la guerre aux travailleuses du sexe en ouvrant son propre profil de contenus de charme fanvue. Mais quand même, la nano-influence semble encore être notre apanage, à nous, Humain·e·s.
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Selon Diana Núñez, cofondatrice de The Clueless, ces modèles IA viennent à un moment où le marché de l’influence est surgonflé et où les tarifs semblent indécents. “Nous avons été surpris par les tarifs faramineux pratiqués par les influenceurs de nos jours. Cela nous a fait réfléchir : et si nous créions simplement nos propres influenceuses ? Le reste appartient à l’Histoire. Nous avons involontairement créé des monstres. Mais ce sont de belles œuvres”, explique-t-elle au New York Magazine.
Grosso modo, il devrait y en avoir pour tout le monde, vu l’état de ce marché estimé – par le Financial Times – à plus de 21 milliards de dollars dans le monde. Cette rhétorique peut se tenir si – et seulement si – le marché ne se casse pas la gueule et si les modèles IA ne séduisent pas grandement les marques. Et n’oublions pas un dernier argument : ces mannequins manquent de réalisme. Se demander si ces modèles IA pourraient un jour nous remplacer revient à se poser ces sempiternelles questions auxquelles nous ne pouvons, pour le moment, répondre.
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À terme, les robots vont-ils nous remplacer au travail ? Les photographes et artistes verront-ils leurs images hackées par des IA ? Nous passerons-nous vraiment de leur créativité humaine ? Est-ce que ces modèles 3D nous volent réellement nos boulots quand on sait qu’il y a, derrière les IA, des développeur·se·s noblement embauché·e·s et payé·e·s ? Est-ce que faire appel à des modèles virtuel·le·s ne revient pas à financer des graphistes comme on aurait pu financer à l’époque des dessinateur·rice·s pour une campagne qui préfère un personnage dessiné plutôt qu’un·e Humain·e ? Et après tout, n’est-ce pas une bulle qui va exploser ? Ne va-t-on pas se lasser et se désabonner de toutes ces fausses personnes d’ici quelques mois ? Si des robots sont capables de faire notre travail, qu’est-ce que cela dit de nous, de notre job, et à quoi allons-nous servir ? Voici quelques questions – peu angoissantes – pour l’avenir.