Est-ce que le succès de KONGOLESE SOUS BBL de Theodora a des raisons de faire polémique ?

Publié le par Sandra Gomes,

Le morceau devenu viral fait grincer des dents certains internautes qui soulèvent la question de la représentation des musiques caribéennes.

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Quelle folle semaine pour Theodora ! L’artiste dont on vous parlait très récemment pour la mixtape rafraîchissante BAD BOY LOVESTORY n’a visiblement pas fini de faire parler d’elle. Ce week-end, c’est la reine Shay qui l’invitait à partager la scène du Forest National, l’équivalent de notre Zénith de Paris, pour un concert bouillant devant une foule complètement conquise. Mais la montée d’adrénaline a dû commencer un peu plus tôt, le mardi 12 novembre, quand, dans un post sur X/Twitter de Laurent Bouneau, directeur des programmes Skyrock, on apprenait l’entrée en playlist du morceau “KONGOLESE SOUS BBL” sur la radio légendaire.

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La jeune Theodora s’est donc retrouvée aux côtés des mastodontes des charts tels que GIMS, SDM, Niska ou encore Ninho, habitués des lieux et qui n’ont pas l’habitude de faire de la place aux petits jeunes. Même si la rotation en radio nationale n’est pas une fin en soi et encore moins pour des artistes comme Theodora qui ne visent pas à créer une musique mainstream, il s’agit toujours d’une forme de consécration et plus concrètement d’une mise en avant qui amène un public taille XXL et une rémunération qui ajoute du beurre dans les épinards un peu secs des débuts de carrière.

Des TikTok et un hit : success-story moderne

C’est sur la plateforme chinoise que le morceau est devenu viral. Les créateurs de contenu se sont vite approprié “KONGOLESE SOUS BBL”, y voyant dans sa rythmique accélérée et son récit qui bascule entre le quotidien morose d’un jeune d’aujourd’hui et la fantaisie sans limites de Theodora un parfait terrain de jeu pour lip syncs et chorégraphies, certains frisant même l’obsession pour ce morceau, enchaînant quotidiennement les vidéos depuis plusieurs semaines. Il doit peut-être y avoir un peu de magie et une part de mystère que personne n’arrive encore à expliquer pour faire propulser des titres à cette échelle. Mais ils ne sont pas fous, ces jeunes, ça fonctionne, les millions de vues s’accumulent, et de ce titre qu’on n’aurait pas vu en haut des classements tout le monde devient addict.

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Derrière le phénomène, la musique

Dans le clip de “KONGOLESE SOUS BBL”, qui cumule plus d’un million de vues aujourd’hui, on peut voir l’artiste arborer une coiffure des plus techniques qui représente le drapeau de la République démocratique du Congo, entre autres grillz et manucure sophistiquée. Dans une ambiance de fête en appartement, le morceau appelle au lâcher-prise et à la célébration. Produit par Jeez Suave, frère de Theodora et compositeur à qui l’on doit une bonne partie de sa discographie, “KONGOLESE SOUS BBL” emprunte les sonorités du bouyon, genre musical originaire de la Dominique, régulièrement mélangé et associé à d’autres styles ces dernières années pour créer des tubes entraînants.

Mais derrière le succès d’un morceau qui semble insouciant, des internautes sont montés au créneau pour dénoncer l’utilisation du bouyon par une artiste qui n’est pas originaire des terres d’où provient le genre. Si dans ces posts qui cumulent des centaines de milliers d’impressions on doit parfois d’abord faire l’effort d’ignorer des commentaires qu’on pourrait qualifier de xénophobes, on a pu lire des pistes de réflexion sur la mise en lumière des artistes caribéens : “Il y a quelque temps de cela les HollyG ravageaient tout avec ‘Bandit’ & ‘Lèw Gadé’ mais silence radio de la part des médias français ! Que faut-il faire pour que les Antilles se fassent respecter ?”

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Manque de représentation, à qui la faute ?

Comparer des artistes et des morceaux entre eux et essayer de théoriser le chemin du succès semblent être un calcul bien trop périlleux et approximatif, mais la question de la représentation des scènes caribéennes mérite d’être posée.

C’est d’ailleurs ce que répondra rapidement la jeune artiste, qui a su faire face à la vague de questionnements sur son sujet du mieux qu’elle le pouvait dans un thread posté dimanche 17 novembre dans lequel elle rappelle d’abord son amour et sa reconnaissance pour le genre : “Moi j’ai fait un son bouyon parce que j’aime les musiques afro-caribéennes, à aucun moment j’ai eu la prétention de dire que j’ai créé quelque chose d’inexistant. J’ai parlé des origines du bouyon en story, j’ai vécu à l’île de La Réunion et j’ai pas découvert le bouyon sur TikTok.”

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Puis elle poussera la réflexion sur la responsabilité de ce que les internautes pointent du doigt : “La problématique elle vient d’en haut : des radios, des médias, des plateformes auxquelles les Caribéens n’ont pas accès. En vérité cette inaccessibilité elle résulte aussi d’un racisme envers les gens d’outre-mer et les différents créoles.”

Pour tenter de comprendre ces avis qui font débat, on a interrogé Emmanuel “Shorty” Foucan, fondateur du média Loxymore, qui documente les cultures urbaines caribéennes et organise des événements réunissant la fine fleur des artistes caribéens, et Mana, journaliste et créatrice des médias Rap’Elles et TRUSTMAG.

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Konbini | Comment vous expliquez ces réactions ? Et est-ce qu’elles sont en partie justifiées, selon vous ?

Mana | Si la musique antillaise est bien exportée en France, ses acteurs restent largement absents des représentations médiatiques. Pire encore, cette musique est parfois travestie et renommée, comme dans le cas du zouk, qui a été requalifié en “pop urbaine” lorsqu’il est repris par des artistes non caribéens.

Shorty | Les réactions peuvent s’expliquer par une frustration plus profonde ressentie par la communauté artistique antillaise, qui perçoit un manque de reconnaissance et de retour proportionnel à leur contribution à la culture musicale française. Le groupe HollyG, par exemple, malgré un énorme succès populaire et des dizaines de millions de vues, ainsi qu’une présence notable dans les soirées à travers l’Europe et une nomination aux BET Awards, ne reçoit qu’une couverture médiatique minimale, voire nulle en France. Cette situation crée une perception de déséquilibre, où les artistes antillais sentent qu’ils doivent lutter dix fois plus pour ne jamais obtenir une visibilité et une validation similaires à celles que reçoivent d’autres artistes avec moins d’efforts APPARENTS. Du coup, lorsque “KONGOLESE SOUS BBL”, un morceau bouyon interprété par une artiste non antillaise, est rapidement promu, cela est perçu non seulement comme une appropriation culturelle, mais aussi comme une preuve de cette inégalité de traitement. C’est un sujet bien complexe entre appropriation culturelle, reconnaissance et visibilité médiatique qui amène la question financière : qui va gagner de l’argent avec ces musiques ?

Est-ce que vous constatez une différence de traitement médiatique spécifique aux artistes antillais ?

Shorty | Il y a clairement un décalage dans la façon dont les médias hexagonaux traitent les artistes antillais. Par exemple, prenons Kassav, les créateurs du zouk, qui ont énormément contribué à la musique française avec un succès international fou (premier groupe français à remplir le Stade de France, ils sont cités par Miles Davis), mais qui n’ont jamais vraiment eu la reconnaissance médiatique qu’ils méritent. Ce n’est pas un cas isolé. Aujourd’hui, Kalash remplit des salles comme Bercy, devient une icône sur la scène mode et mène également des engagements politiques, tout en continuant à aligner les hits (en créole). Il est clairement dans le top des prestations du festival Yardland. Malgré tout, leur reconnaissance dans les grands médias reste limitée. C’est un peu comme si, malgré des millions de vues et des carrières solides de 20 ans avec plusieurs albums à leur actif, ces artistes des Antilles étaient toujours en attente d’un véritable coup de projecteur national, à part peut-être sur des médias dits “communautaires” comme Tropiques FM. Il semble qu’on ait encore du chemin à faire pour que le traitement soit à la hauteur de leur apport à la culture musicale française.

Mana | Ce problème dépasse largement l’industrie musicale et s’inscrit dans une dynamique discriminatoire, paternaliste et raciste. Les Antilles françaises ont toujours été reléguées au second plan, exclues des décisions politiques et sociales prises pour la France. Cette marginalisation se reflète dans l’industrie musicale, qui est un miroir de la société : l’arrivée tardive des plateformes de streaming, l’invisibilisation des artistes caribéens, et le manque de reconnaissance de leur contribution culturelle en sont des exemples criants.

Est-ce que l’exemple de “KONGOLESE SOUS BBL”, c’est une forme de dépossession d’une culture, selon vous ?

Mana | Bien que cette indignation soit légitime et découle de plusieurs années d’exaspération face à l’invisibilisation des artistes caribéens, elle ne vise pas la bonne personne. Theodora n’est pas responsable de cette situation, et selon moi cela ne relève pas d’une appropriation culturelle. L’appropriation culturelle ne consiste pas simplement à reprendre des codes culturels, mais à les réutiliser tout en invisibilisant les acteurs de la culture d’origine, dans un contexte de domination qui permet à d’autres de s’en attribuer la paternité et d’en tirer un profit injuste. Dans le cas de Theodora, il n’y a aucune tentative d’appropriation : elle a collaboré avec des artistes caribéens tels que Jahlys et s’assure toujours de rappeler l’origine du bouyon. D’ailleurs, dans le thread explicatif qu’elle a publié en réponse à la polémique, elle a pris soin de clarifier ces points.

Shorty | Je ne pense pas que le morceau de Theodora soit un exemple de dépossession culturelle. Au contraire, je trouve ça bien, et ça démontre l’influence de ces musiques un peu underground sur des jeunes générations d’artistes de partout. Si on se renseigne un peu sur l’artiste, on peut voir qu’elle a été entourée d’Antillais et on ressent dans son morceau tous les codes du bouyon. Je pense qu’elle a bien apprécié les HollyG et a voulu créer sa musique avec ses influences. Son album est clairement un mélange d’influences, dont du shatta qui vient de la Martinique.

Il est quand même intéressant de noter que c’est le premier succès médiatique bouyon sur la scène hexagonale et que cela a été très rapide. Comme l’a justement dit Theodora dans son tweet : le problème ne vient pas d’elle mais du traitement médiatique.

Theodora n’est pas la première à s’imprégner des influences caribéennes, comment vous expliquez que ce sujet soit soulevé via une jeune artiste comme elle ?

Shorty | Je pense que le cas de Theodora a résonné très vite et très fort car déjà son morceau est bon : elle a su capter les codes et les reproduire à sa sauce. Aussi, le bouyon est vraiment populaire et apprécié par des générations d’Antillais. C’est la musique populaire actuellement aux Antilles. Des morceaux peuvent carrément buzzer avec uniquement des extraits TikTok ou Snap ! Il y a aussi de nombreux succès bouyon actuellement qui mériteraient d’être relayés, voire signés en maison de disques pour bénéficier de la force de frappe de ces grosses machines : Aknose, 1T1, JIXELS, Shanika et bien d’autres.

Malheureusement, on est obligé de noter aussi qu’il est plus facile d’attaquer une femme noire en France plutôt que de blâmer toute une industrie qui semble mettre la scène antillaise de côté. Concernant la frustration de ne pas jouir des fruits du succès de ces cultures, je la partage.

Vous pouvez retrouver les travaux de Shorty sur Loxymore, et ceux de Mana sur Rap’Elles et TRUSTMAG.

Pour ne pas faire porter sur les épaules de Theodora le poids des lacunes de tout un système, il est bon de mettre en exergue que son arrivée en playlist sur Skyrock est le résultat d’un succès viral et organique qui dépasse encore l’entendement des boss des radios, à mille lieues de se poser des questions sur l’origine des morceaux qu’ils font tourner et la juste représentation des artistes.

Une chose est sûre, le morceau plaît, ce qui pourra peut-être contribuer à faire découvrir un genre à de nouvelles oreilles peu averties et à continuer de propager le bon son, par la force.