Chaque semaine, Aurélien Chapuis alias Le Captain Nemo revient sur l’actualité du rap avec ses coups de cœur, ses découvertes et les enjeux du moment.
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Dans le teaser du prochain film Astérix, Vincent Cassel se présente en César en faisant le signe JuL. Cette nouvelle apparition du geste des mains version Marseille est peut-être celle de trop. Bon en vrai, Vincent Cassel a fait partie des débuts du hip-hop français et JuL reste l’un des rappeurs les plus importants et constants. Cet été encore, il a marqué des points énormes avec son album Extraterrestre et ses tubes “Superstar” ou “Ténébreux”. JuL est loin d’être ringard, c’est même la plus grosse star de notre musique avec Ninho ; ce n’est absolument pas le propos, ça reste clairement un ovni qui dépasse tous les modèles du genre.
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Le problème est plutôt que le signe JuL est presque devenu un geste habituel un peu provoc à faire sur les photos pour marquer son appartenance à un délire cool. Tout le monde l’a adopté, comme signe de reconnaissance, voire maintenant de récupération. Ces dérivés de signes de gangs californiens des années 1980 et 1990 ont toujours eu plus ou moins la même trajectoire : vraie utilisation dans la rue avec une utilité, un but, puis utilisation pour un sentiment d’appartenance, puis récupération plus ou moins hasardeuse.
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On peut dire ça par exemple du signe W pour Westside ou Westcoast, symbole à l’époque du rap tendance G-Funk. Problème, il est devenu un archétype, un cliché, souvent accompagné d’un “Westsiiiiide” bien appuyé. Souvent, les signes des mains ou des bras sont aussi les versions condensées d’une danse, notamment en ce moment avec l’explosion de TikTok.
Un de ses mouvements a donné l’énorme mode du “Dab”, un mouvement de mouchage dans le coude repris dans le monde entier via les Migos et la trap d’Atlanta du milieu des années 2010, alors qu’il venait potentiellement à la base du basketteur Dee Brown avec son “No Look Dunk”. Le Dab a été repris par TOUT le monde en l’espace de quelques mois. Jusqu’à l’écœurement. J’ai testé de faire un Dab dans l’open space, le niveau de gêne de mes collègues était réellement à son plus haut, au point de leur faire quitter les lieux. C’est fou de se dire qu’on a “ringardisé” un geste.
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On a évoqué ce lien entre danse et tendance avec Cut Killer dans son Music Club. Il nous rappelait qu’au tout début des années 1990, quasiment trente ans avant la création de TikTok, tous les tubes hip-hop avaient leur danse particulière, c’était leur façon de fonctionner dans les clubs et dans la culture. Actuellement aux États-Unis, la nouvelle génération de rappeurs se tourne vers des sonorités plus club comme la jersey drill et les scènes régionales sont très souvent accompagnées d’une danse ou d’un geste. C’est aussi ce qui m’a marqué dans le concert de Kendrick Lamar cette année par rapport à ses précédents, la gestuelle est millimétrée, travaillée, découpée, comme pour créer son propre langage.
Finalement, les mouv’ de danse actuels et les gestes à la JuL ne sont que des déclinaisons de constantes dans le hip-hop et le rap. Mais alors, à quel moment la danse, le geste, devient trop. Quand est-ce que le signe JuL devient ringard comme le Dab ? Eh bien tout dépend pour l’instant encore de qui le fait et dans quel contexte. Pendant le vélodrome de JuL, bien sûr. Dans le nouvel Astérix, bof. Mais ça marque encore une fois l’infusion totale des codes du rap français dans la pop culture.
Le 5 majeur de la semaine
CEO Trayle – “Song Cry”
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Il y a quelque de différent que j’adore chez CEO Trayle. Sûrement son côté “rien à foutre”. Dans ce dernier freestyle “From The Block”, il invoque tous les rappeurs et sonorités que j’aime dans cette musique avec un petit appel du pied au “Song Cry” de Jay-Z, un de mes morceaux préférés ever. C’est trap à l’ancienne, c’est lyriciste romantique, provoc et frondeur. Mon solide rap. CEO Trayle est un rappeur d’Atlanta qui avait commencé à avoir une exposition plus importante il y a quelques mois grâce à son tube nonchalant “OK Cool” et son remix avec Gunna. Tout est plaisant dans ce qui est dit là. Libérez Gunna, offrez à CEO Trayle une carrière digne de ce nom.
H JeuneCrack – “Vrai Crack”
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H JeuneCrack est sûrement un des rappeurs de la nouvelle génération qui m’intéresse le plus. Je le compare un peu à un Yeat au niveau des ambiances sonores, très fouillées et dépouillées, un nouvel amendement au travail de Playboi Carti et Lil Uzi Vert. Mais là où H JeuneCrack change la donne, c’est qu’il y ajoute un côté très textuel avec des flows actuels qui font penser à la scène de Detroit notamment, décalés et décomplexés. “Vrai Crack” est sorti en clip il y a déjà quelques semaines mais il vient d’être intégré au projet 3e cycle sorti vendredi dernier. Il reste un moment très fort de la jeune carrière du Jeune Crack. La Next Gen est à suivre et ce n’est que le début sur Konbini, vu qu’on va y consacrer une partie de notre ligne éditoriale.
Armani Caesar & Kodak Black – “Diana”
Proche du crew Griselda, Armani Caesar est vraiment un ovni dans le paysage de la scène rap de Buffalo aux côtés de Westside Gunn ou Conway. Son nouveau projet The Liz 2 est encore une réussite pour les amateurs du son éthéré, souvent sans batterie de la clique du haut de l’État de New York. Parmi les invités, on retrouve le toujours parfait Kodak Black sur “Diana”, une collaboration étrangement facile. Je suis toujours très client de Kodak, sûrement un des artistes les plus importants des dernières années et, ici, il livre encore une autre facette, sur une boucle sans rythmique supplémentaire. Et puis, il porte un bob Kangol, ça me plaît, LL Cool J, tout ça. Validation obligatoire.
SwaVay – “Kick Door” feat G.Herbo
L’album que j’ai le plus écouté cette semaine est signé d’un rappeur d’Atlanta qu’on avait pu retrouver sur la BO de Spiderman: New Generation. Nouvelle tête hyper-créative d’ATL, il a déjà retenu l’attention de Metro Boomin et enchaîne les bons projets depuis 2018. Son album Almetha’s Son est très costaud niveau composition et rap technique. Sur “Kick Door”, il invite G Herbo, toujours incroyable comme sur son récent freestyle chez les LA Leakers. C’est précis, personnel et solide. Le rap que j’aime.
Esso Luxueux – “Coupe la parole”
Un morceau solo d’Esso Luxueux. Wait. Le premier vrai morceau solo de Esso Luxueux. C’est sur la très bonne Saboteur mixtape vol.1 compilation du label de Deen Burbigo et Eff Gee, et c’est bien. Très bien même. Fouillé, détendu, aérien, je retrouve tout ce que j’aime chez le rappeur du groupe Cool Connexion et du projet Private Club. Ça me rappelle quand je regardais en boucle sa version du “A Little of This” de Grand Puba il y a… 10 ans. 10 piges, damn. Ce qui est fou, c’est que ce nouveau morceau est déjà là depuis longtemps. Deen expliqua en interview avec Mehdi Maïzi qu’ils écoutaient déjà ce track quand ils étaient en tournée et qu’il l’a carrément samplé dans un morceau de son album sorti en 2020, Cercle Vertueux. On entend donc enfin un morceau déjà mythique pour son Entourage. On attend l’album. Quel événement.
Ligne Nostalgique : Paid in Full
Il y a 20 ans sortait le film Paid in Full produit par Roc-A-Fella, l’équipe de Jay-Z. Ce film devenu important dans la culture relate l’histoire vraie de Azie Faison, Rich Porter et Alpo Martinez, trois dealers d’Harlem devenus légendes urbaines.
Après sa chute criminelle à la fin des années 1980, Azie Faison alias A.Z. (rien à voir avec le pote de Nas) joué par Wood Harris a aussi eu une carrière dans la musique avec Mobstyle considéré comme un des premiers groupes de gangsta rap de New York. Il monte par la même occasion un des premiers labels indépendants, produisant ses clips et ses albums entièrement.
En 1990, son associé Rich Porter meurt tragiquement avec son frère Donnell. Azie en fera un morceau en 1991 avec son clip “inspiré de faits réels”. C’est dur, brutal et vrai. Son album Street Wise est du même acabit. Fun fact : Raekwon et Ghostface réutiliseront le même sample que “What’s Going On Black ?” pour leur remix du track “Rainy Dayz”. Sûrement leur hommage à un des premiers rappeurs gangsters de New York où la réalité est exposée au grand jour.
Nostalgie 2 : Dans Paid in Full, Cam’ron joue le célèbre Alpo. Et justement Cam’ron, Jadakiss et Ma$e viennent de faire un morceau ensemble, c’est genre l’alliance du vrai rap newyorkais la plus improbable et explosive depuis longtemps. Il y a du Biggie, il y a du Bad Boy, il y a les trois tireurs longue portée depuis des siècles sur un même titre. Il y a de quoi être heureux.
Bonne semaine !