En juillet 2022, Raphaël Barontini visitait pour la première fois le Panthéon. “Je ne savais même pas que c’était visitable”, nous confie l’artiste en riant, lors de notre rencontre dans son atelier. Sa visite ne s’effectuait pas dans le cadre d’une petite journée touristique mais dans le but de préparer sa carte blanche artistique, en collaboration avec le programme “Un artiste, un monument” qui fait dialoguer “la production d’un·e artiste à un monument”.
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Impressionné par l’édifice parisien, ses volumes, sa monumentalité, sa charge historique, l’artiste souffle s’être senti un peu apeuré par l’ampleur du projet mais ne pas avoir hésité une seule seconde à l’accepter : “C’est le Panthéon, le Centre des monuments nationaux tenait à ce que ce soit l’aspect mémoriel lié à l’histoire de l’esclavage de mon travail qui y soit mis en valeur, je ne pouvais pas me permettre de voir les choses en petit”, s’exclame-t-il au milieu de ses créations, de gigantesques bannières et tentures, des costumes somptueux cousus de bleu indigo et de fils d’or.
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Dans son atelier de Seine-Saint-Denis où il s’affaire aux derniers préparatifs de l’exposition avec son équipe, Raphaël Barontini détaille son projet pensé pour “questionner le lieu et son histoire, interroger qui on panthéonise ou pas” : “Dans la continuité de l’effort de faire entrer au Panthéon plus de femmes et de figures symboles de la Résistance, je suis heureux de mettre en lumière, grâce à cette exposition, des figures méconnues de cette histoire.” Ces interrogations et mises en lumière des histoires effacées, oubliées, font partie intégrante de son travail, lui qui a grandi dans une famille guadeloupéenne et italienne “très militante”, en Seine-Saint-Denis.
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Au Panthéon, son exposition “We Could Be Heroes” s’articule en trois parties qui célèbrent “des figures héroïques de la lutte contre l’esclavage, connues ou méconnues, ayant contribué à jouer un rôle marquant dans son abolition”. Les immenses portraits composites sérigraphiés qui accueillent le public comme une haie d’honneur forment “un Panthéon imaginaire de figures historiques pour la plupart caribéennes mais aussi de la Guyane et de la Réunion”. “Ce sont des personnages qui ont vraiment existé, je me suis basé sur des biographies de personnes réduites en esclavage à un moment de leur vie et qui s’en sont affranchies.”
“Une archéologie des images”
L’artiste tient à rappeler qu’il ne partage pas un travail d’historien mais bien de plasticien, qu’il “offre des interprétations, des propositions artistiques et poétiques” dans lesquelles il laisse la part belle à l’imagination. Les bannières célèbrent plusieurs personnes réelles ayant lutté pour leur liberté et celle de leurs compatriotes dont on dispose de peu d’éléments biographiques. Les portraits sont des patchworks, où les visages (parfois d’anonymes) sont accompagnés de symboles, d’objets divers, de paysages : “Cette technique de superposition coïncide avec la façon dont j’imagine mes personnages : ils sont composites et hétéroclites. Je réunis des images tirées de l’histoire de l’art – des bustes antiques, des paysages de peintures flamandes des XVe et XVIe siècles, un bicorne de Napoléon –, le tout comme une archéologie des images.”
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La base historique de laquelle est parti l’artiste est sertie d’une part fictionnelle. Celle-ci découle de la dimension artistique du projet, certes, mais elle est aussi inévitable, puisque l’histoire de ces personnes est lacunaire : “Les photographies dont on dispose sont liées à l’histoire coloniale, elles datent de la période entre 1870 et 1930. Ce sont des photos ethnographiques, quasi scientifiques, d’inventaire. Ce sont des images qui me posent problème : elles ont été prises avec un regard raciste, exotisant – dans les photos de femmes, par exemple, il y a toujours un sein qui dépasse.”
Raphaël Barontini a donc choisi des photographies “où les personnes sont montrées avec beaucoup de prestance, des photos où elles posent de trois quarts – tandis que, souvent, dans les photos ethnographiques, les gens posent de face ou de profil, il y a un côté photo de prison”. Parfois, note l’artiste, “il y a très peu d’ancrages biographiques”. Qu’à cela ne tienne, ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas célébrer ces individualités mais aussi “les masses” qui ont résisté et lutté pour leur liberté.
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Le projet vise à l’inclusivité, autant du côté des personnes célébrées que du public, sachant à quel point “le sujet est peu travaillé en France d’un point de vue sociétal” et que “le travail sur l’esclavage n’est pas seulement à destination des personnes afro-descendantes”. L’exposition s’accompagne d’une performance qui donnera vie aux questions soulevées par Raphaël Barontini. Elle sera composée d’une pièce sonore signée Mike Ladd et d’une “procession collective du Mas Choukaj, groupe de musiciens de carnaval antillais basé en Seine-Saint-Denis, mettant à l’honneur les figures historiques honorées sur les bannières”. Les performeur·se·s porteront des costumes confectionnés en collaboration avec des élèves de l’École Duperré, à Paris.
L’ambiance sera donc aussi à la fête, puisque, malgré “la violence effroyable” du sujet, Raphaël Barontini explique ne pas avoir voulu “créer quelque chose de victimaire”, où les seules images de personnes noires avant le XXe siècle sont des iconographies racistes et déshumanisantes : “Je voulais proposer un contrepoint, un pas de côté. Je voulais célébrer les esprits de résistance, l’engagement, le collectif, les anonymes et les masses en plus d’individus précis. Il y a encore plein de sujets et de personnages inconnus”, note l’artiste. La preuve que ce n’est que le début.
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Raphaël Barontini présentera sa carte blanche “We Could Be Heroes” du 19 octobre 2023 au 11 février 2024 au Panthéon de Paris. La performance aura lieu le 22 octobre à 16 h 30. L’exposition “Oser la liberté. Figures des combats contre l’esclavage” débutera au Panthéon de Paris le 9 novembre, jusqu’au 11 février 2024.
Konbini, partenaire du centre des monuments nationaux.