Entre les lignes de la page Wikipédia, Niki est davantage une œuvre d’art qu’un biopic

Publié le par Manon Marcillat,

(© Wild Bunch)

Rencontre avec Céline Sallette, la réalisatrice de ce formidable premier film.

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“Ma vocation, je l’ai trouvée chez les fous”, lance Niki de Saint Phalle dans le biopic présenté à Cannes en mai dernier, avec Charlotte Le Bon, stupéfiante dans le rôle de l’artiste luttant contre ses démons intérieurs. Pour son premier long-métrage, l’actrice Céline Sallette s’est penchée sur le cas Niki de Saint Phalle, artiste franco-américaine rendue célèbre pour ses plantureuses Nanas et ses Tirs.

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Plutôt qu’un biopic formel des débuts jusqu’à la reconnaissance, Céline Sallette s’est concentrée sur une période de dix ans et a choisi d’explorer comment les traumatismes de Niki de Saint Phalle ont façonné son art, que l’on ne verra jamais à l’écran mais qui traverse de bout en bout ce formidable film, de la mise en scène aux costumes. Entretien avec une réalisatrice transformée par son projet, que l’on a rencontrée à Cannes à quelques heures de la projection officielle de Niki.

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Konbini | Vous avez eu envie de raconter la vie de Niki de Saint Phalle à l’écran après avoir entendu une interview d’elle. Ce sont donc ses mots avant son art qui vous ont touchée ?

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Céline Sallette | Oui complètement. Dans cette interview qui date de 1965, on comprend immédiatement qu’elle est très en avance sur son temps alors que le type qui l’interview lui parle de torchons et compare son art à un travail de ménagère. Elle est face à lui avec son bleu de travail plein de peinture, son carré dingue et ses yeux de biche, elle est très belle et elle lui rentre dedans. Elle est sidérante et Charlotte lui ressemble tellement qu’il y a eu une sorte d’évidence.

Quand vous avez décidé de vous lancer dans ce projet, connaissiez-vous à la fois son œuvre et sa part d’ombre ?

Non, c’est en lisant sa biographie que j’ai eu en tête la première et la dernière image du film, d’abord celle de la période où elle est mannequin, femme-objet et elle-même image et la dernière scène du film où elle s’est coupé les cheveux très courts, elle est armée d’un 22 long rifle et tire sur des tableaux. Manifestement, il s’est passé quelque chose entre ces deux images et je savais que le film se situait là.

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Ce n’est en rien un biopic classique et ce ne sont pas les moments marquants de sa carrière que vous choisissez de raconter mais plutôt ce qui se passe entre les lignes de la page Wikipédia…

L’œuvre de Niki que je choisis de montrer à l’écran, c’est comment elle change et transforme ce qu’elle a vécu. Il y a des points de rencontre, par exemple elle trouve l’art à l’hôpital quand elle se bat avec la maladie mentale, et les scènes que j’ai choisi de mettre dans le film sont les scènes clés de sa transformation. Ce sont des choses hors biographie mais fondamentales.

Quand on se penche sur des profils aussi créatifs, est-on obligé de mettre sa mise en scène au service de cette créativité ? Par exemple, certains split screens dans le film sont presque des tableaux…

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Oui, l’enjeu était de ne surtout pas être naturaliste, d’autant plus qu’on ne pouvait pas se servir de ses œuvres. J’ai été obligée de créer mes images et ma poésie en hommage à Niki. C’est par exemple de là que viennent les écrans séparés, qui caractérisent à la fois le réel et les secrets qui hantent sa vie, mais aussi la dimension mythologique qui existe dans l’œuvre de Niki et qui devait donc exister dans le film.

Y a-t-il uniquement des questions de droits d’auteur dans le choix radical de ne jamais montrer l’œuvre de Niki de Saint Phalle dans le film ?

Oui, sans ça il n’y aurait pas de film. Nous n’avions pas le droit de filmer ses œuvres et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a jamais eu de films sur Niki de Saint Phalle alors qu’elle a inspiré beaucoup de cinéastes et d’artistes. Susan Sarandon, par exemple, a voulu faire un biopic sur sa vie. J’ai choisi de faire le film depuis le point de vue de l’œuvre mais ce qui m’intéressait le plus, c’était de la voir se transformer. L’œuvre que l’on regarde, c’est celle qu’elle accomplit à l’intérieur d’elle-même. Puis si on avait montré ses œuvres, le spectateur les aurait certainement jugées et ce n’est pas le sujet.

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Les looks de Charlotte Le Bon dans le film sont également des œuvres à part entière…

Les couleurs et les vêtements que porte Charlotte sont aussi des hommages à l’œuvre de Niki. On évolue des palettes de gris à davantage de vie, d’exubérance et d’affirmation. Tout a servi à raconter ce parcours d’émancipation.

Même si l’on ne voit pas son art, vous vouliez impérativement que votre actrice soit, elle aussi, artiste ?

Charlotte ressemble tellement à Niki que c’est presque comme si je ne l’avais pas décidé, c’est quelque chose qui devait avoir lieu. Mais le fait qu’elle soit artiste et réalisatrice, qu’elle ait cette double nationalité, cette exubérance et cette drôlerie participe évidemment à la puissance du rôle.

Dans le genre du biopic, on a plus d’anti-modèles que de modèles. Quelles ont été vos inspirations ?

J’ai évidemment vu des longs-métrages qui m’ont inspirée mais le film s’est beaucoup dessiné dans mes expériences d’actrice car je sais que des choses merveilleuses peuvent advenir si le cinéma se pousse un peu. Par exemple, je ne voulais pas de projecteurs, de machinerie, de script ou de maquilleuse sur le plateau. La mise en scène c’est aussi la façon dont on choisit d’organiser son plateau et comment on laisse les choses advenir ou émerger. J’étais également à l’écologie sur le casting, par exemple c’est mon fils qui joue le fils de Niki et ce sont ses copains qui font de la figuration. J’avais envie de choses très simples pour que le cinéma n’embarrasse pas ce qu’il pouvait y avoir de vivant.

Vous avez eu un rôle dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, qui s’affranchit également des codes du biopic. Est-ce que ça a été une forme d’inspiration pour vous ?

Évidemment, Sofia a tellement de confiance et de savoirs qu’il n’y a jamais de cris sur le plateau mais beaucoup de douceur, de grâce et d’harmonie. C’était exemplaire donc j’ai essayé de prendre ça d’elle.

Pour vous, il y a eu la Niki du début, quand vous vous êtes lancée dans le projet, et la Niki d’aujourd’hui, après des années à travailler sur elle. Qui est-elle pour vous désormais et qu’est ce qui a changé dans votre façon de la percevoir ?

Il y a une telle profondeur et une telle richesse dans ce qu’elle nous a légué que je suis complètement bouleversée par Niki. Ma vie est totalement différente maintenant que je l’ai rencontrée et dans sa roue, j’ai moi aussi réussi à accéder à une forme de réalisation. Il y a dix ans, j’étais dans une situation catastrophique dans ma vie et je savais qu’il fallait que je change. J’ai passé dix ans à être obsédée à l’idée de me transformer et la transformation de Niki a elle aussi duré dix ans. Je boucle donc un cycle d’une décennie avec ce film et j’ai l’impression de naître un peu à moi-même.