En Ukraine, on déboulonne les statues soviétiques et ça crée l’embarras et le débat

Publié le par Konbini avec AFP,

© Yuriy Dyachyshyn/AFPTV/AFP

"La société ukrainienne est traversée par un débat : est-ce qu’on doit conserver ces monuments ?"

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À Lviv, grande ville de l’Ouest de l’Ukraine, une statue de la première femme à être allée dans l’espace, Valentina Terechkova, gît au sol, son casque éclaboussé de peinture rouge. La région, à la frontière avec l’Union européenne, avait été la première en Ukraine à déboulonner ses monuments soviétiques, sous l’impulsion d’un mouvement national visant à effacer tout vestige du pouvoir de Moscou dans cette ancienne république de l’URSS. Mais une fois mis à terre, qu’en faire ? La question est particulièrement complexe depuis l’invasion russe de février 2022, qui a renforcé le rejet des symboles liés à la Russie.

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“La société ukrainienne est traversée par un débat : est-ce qu’on doit conserver ces monuments ?”, explique Liana Blikharska, historienne et chercheuse au musée Territoire de la terreur. À l’extérieur du musée, qui présente les récits des répressions soviétiques et des déportations de Juif·ve·s, se trouvent plusieurs statues abattues. Selon Liana Blikharska, le personnel a cédé quand les autorités locales lui ont demandé d’abriter ces objets. “Il n’y avait aucun autre musée ou endroit pour les stocker, donc nous avons accepté.”

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“Front idéologique”

Le déboulonnage de statues n’est pas une nouveauté en Ukraine. Le pays en a déjà renversé des milliers dans les années 1990, celles célébrant par exemple la révolution bolchevique. Une nouvelle vague a débuté en 2014, quand la Russie a annexé la péninsule de Crimée, et a redoublé de force après l’invasion en 2022. L’an dernier, l’Ukraine a voté une loi de “décolonisation”, visant à renommer les rues et faire tomber les monuments liés à Moscou. La région de Lviv a été la première à achever sa “décommunisation” en démontant 312 monuments rien qu’en 2023, a annoncé le mois dernier le gouverneur local, Maksym Kozytsky.

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Parmi eux, la statue de Valentina Terechkova, cosmonaute soviétique devenue une élue pro-Kremlin et qui a aujourd’hui 86 ans. Installée en 1983, sa statue a été remisée en novembre. Pour Andriï Godyk, qui dirige le groupe de travail régional chargé des monuments, cela incarne le “front idéologique” de la guerre contre la Russie. “Notre génération fait le travail de nos parents, qui aurait dû être mené à bien au début des années 1990”, dit cet homme de 35 ans. Anna Gerych, journaliste et cofondatrice du groupe Décommunisation de la région de Lviv, considère qu’il est impossible de garder ces monuments en place quand “les gens meurent aux mains de ces mêmes occupants” russes.

Opposition locale

Lviv occupe une place particulière en Ukraine, car elle faisait partie de la Pologne voisine jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le russe n’y est pas beaucoup parlé, contrairement à l’Est du pays, et il y a relativement peu de symboles soviétiques. Malgré cela, Andriï Godyk affirme que le déboulonnage des monuments soviétiques s’est heurté à une opposition locale. “Parfois, des gens se tiennent devant notre équipement et disent : ‘Nous ne vous laisserons pas le démanteler’, relate-t-il.

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Selon lui, les habitant·e·s sont particulièrement réticent·e·s lorsqu’il s’agit de monuments aux mort·e·s, notamment celles et ceux portant les noms de membres de leurs familles tombés au front pendant la Seconde Guerre mondiale. D’autres, au contraire, apportent des camions ou tracteurs pour aider à faire tomber les statues. À travers le pays, les autorités locales ont adopté des approches diverses. Dans la capitale, Kyiv, des monuments ont été déplacés vers un terrain d’aviation fermé. Pour Andriï Godyk, mettre ces monuments devant un musée est un choix “discutable”, étant donné que des milliers d’habitant·e·s de la région ont péri sous la répression soviétique.

“Vaccin” contre le totalitarisme

L’équipe du musée de Lviv doit désormais trouver comment présenter ces reliques embarrassantes. “Nous n’avons pas une idée claire de la façon dont nous devons travailler avec” ces monuments, explique Liana Blikharska. Pour le chercheur Iouri Kodenko, il est important que ces vestiges restent visibles afin de se “vacciner” contre le totalitarisme et d’éviter “l’effacement de l’Histoire”.

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Pour Liana Blikharska, montrer ces monuments “à valeur culturelle” aide à raconter l’histoire de “ceux qui les ont créés”, notamment des membres de l’intelligentsia dont des proches ont souffert de la répression soviétique. “C’est toujours une histoire de personnes”, dit-elle. Pour Andriï Godyk, l’Ukraine aurait dû commencer ce travail bien plus tôt, car cela aurait contré l’argument du Kremlin selon lequel ses troupes partaient défendre en février 2022 “l’histoire russe, ou notre histoire commune”. “Nous avons une histoire commune, mais nous n’avons pas d’avenir commun.”

Changement de noms de rues en Lettonie

Au-delà des déboulonnages, les noms de grands classiques de la littérature russe comme Alexandre Pouchkine, Mikhaïl Lermontov et Ivan Tourgueniev, ou celui du chercheur Mikhail Lomonossov vont disparaître des plaques de rues de Riga, selon une décision du conseil municipal de la capitale lettone motivée par l’agression russe en Ukraine. Après un débat houleux, le conseil municipal de Riga a voté le changement de nom de plusieurs rues qui portaient des noms liés à la Russie et son histoire. La rue de Moscou, l’une des plus grandes artères de Riga, sera désormais rebaptisée rue de Latgale (Latgalie), retrouvant ainsi son nom d’avant la Seconde Guerre mondiale.

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La plupart des rues portant des noms se référant à l’ère communiste et soviétique, comme Karl Marx ou Lénine, avaient déjà été rebaptisées en 1991 dans l’ensemble du pays pour retrouver leur nom letton historique, mais jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il était considéré comme acceptable d’avoir des rues portant le nom de villes ou écrivains russes jamais liés au régime soviétique. “Aujourd’hui, c’est différent, nous ne pouvons tout simplement pas laisser ces noms”, a déclaré le conseiller Kaspars Spunde au cours des débats. Selon l’un des arguments, les grand·e·s auteur·rice·s et personnages célèbres russes dont les noms seront supprimés n’avaient aucun lien avec la Lettonie : ils n’y avaient jamais travaillé et n’ont jamais évoqué les Letton·ne·s dans leurs œuvres.

Désormais, les rues qui portaient leur nom honoreront des personnalités locales, comme le linguiste Karlis Milenbahs, l’écrivain et poète Janis Klidzejs, le pilote de l’armée de l’air Augusts Sparins, le poète Vilis Pludons et Valerija Seile, l’une des fondatrices de la République de Lettonie en 1918. Le conseil a également décidé de remplacer l’écrivain et dramaturge, pourtant né sur le territoire ukrainien actuel, Nikolaï Gogol, par Emilia Benjamina, grande éditrice dans les années 1920 et 1930. La Lettonie, comme ses voisins baltes la Lituanie et l’Estonie, fait partie de l’Union européenne et de l’Otan et s’est résolument positionnée en soutien à l’Ukraine depuis l’invasion russe.