À Stalingrad, quartier du nord parisien, sur une des façades du gymnase Château-Landon, s’élance une athlète. Les yeux clos, elle semble tenir en lévitation au-dessus de sa barre. Mais l’athlète ne vole pas – pas littéralement en tout cas. Maryse Éwanjé-Épée est représentée en plein saut en hauteur, elle qui fut la détentrice du record de France de la discipline de 1983 à 2007. La fresque est apparue en juin dernier sur ce gymnase du 18e arrondissement, dans le cadre de l’Olympiade culturelle organisée pour les Jeux olympiques.
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Malgré la violence que représentent les JO, le peintre Lassana Sarre a fini par accepter la proposition de la Mairie de Paris, avec une idée bien précise en tête. Au téléphone, il retrace : “Le Fonds d’art contemporain de Paris m’a proposé ce projet de ’24 œuvres’ réalisées par des artistes émergent·e·s. L’idée était de faire des œuvres in situ autour de complexes sportifs. J’ai accepté parce que mon travail tourne autour de l’héritage, de la mémoire, de figures importantes effacées par le cheminement colonialiste et par la censure. Je fais en sorte d’inscrire des figures historiques importantes qu’on a un peu étouffées.”
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En visitant l’endroit qu’on lui propose, “un gymnase où traînent les mecs du quartier, avec une école à côté, une piscine en face, un centre municipal avec des ateliers de théâtre”, Lassana Sarre se dit que l’opportunité représentera une belle occasion de poursuivre son travail autour de la mémoire et lui permettra de mettre en lumière des athlètes mis·es de côté dans l’histoire du sport français, à savoir les athlètes originaires des DOM-TOM.
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“J’ai aussi beaucoup travaillé autour du sport ces deux dernières années. Ma série Courir pour être curieux s’intéresse à comment on grandit en banlieue et comment s’émanciper hors des clichés. […] Plus jeune, je faisais pas mal de sport et je me renseignais sur les figures du sport en France. Dans les DOM-TOM, il y a une grosse population de sportif·ve·s, dans l’athlétisme et l’escrime notamment. Il y a une analyse sociologique à mener sur ce sujet, sur le rapport de ces athlètes avec la métropole : les gens se sacrifient pour venir en France et ne sont pas toujours reconnus. Je suis tombé sur une athlète que je connaissais plus jeune, Maryse Éwanjé-Épée, une femme noire, monstrueuse de talent, qui a maintenu son record de saut en hauteur hyper longtemps, de 1983 à 2007. Je me suis dit que j’allais lui rendre hommage, la représenter en énorme, elle et son reflet, sur ce gymnase, l’inscrire dans la ville.”
La championne olympique est représentée avec son double, dans une composition symétrique, en plein saut. L’action réfère à la carrière de Maryse Éwanjé-Épée mais aussi aux métaphores que peut charrier sa discipline : “Le saut en hauteur, ça parle de plein de choses – l’idée de toujours aller plus haut notamment. Je parle beaucoup d’ascension sociale dans mon travail. J’essaie d’apporter une symbolique des passions.”
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Dualités
La fresque est pleine de dualités, dont le peintre se joue. Il fait cohabiter la sérénité du visage de l’athlète avec l’exigence de sa discipline : la rapidité du moment avec cette suspension immortalisée, “après l’échec ou après l’exploit, l’instant où l’athlète est le plus en sérénité”. Il intègre la légèreté du mouvement dans un quartier et une ville en constante agitation. La précision technique de la peinture s’accompagne d’une volonté d’inachèvement chère à l’artiste : “C’est souvent, dans mes peintures, cet aspect non fini. Sur le T-shirt de la sportive par exemple, le mur est apparent. Ça permet à la réalité de transpercer.”
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Peindre sur ce “très vieux gymnase, avec très peu de couleurs aux alentours”, a “fait beaucoup de bien” à Lassana Sarre, qui cherche dans son travail à “peindre des sujets qu’on n’a pas trop l’habitude de voir”. En sortant des galeries, il touche un public plus large, notamment “des jeunes enfants métisses, noirs, blancs, qui [lui] demandaient pourquoi il y avait cette figure noire en plein dans la rue”.
“C’était même politique de la peindre elle”, résume le peintre, qui vient du graffiti et souligne son intérêt de longue date pour “les murales, la dimension politique de l’art dans la rue, l’histoire de la révolte, de la culture des populations”. Avec sa fresque, Lassana Sarre semble remplir ses objectifs d’“inspirer les générations futures” tout en nous persuadant de fermer un peu les yeux et de profiter d’un moment de suspension.
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Vous pouvez retrouver le travail de Lassana Sarre sur son compte Instagram.