Elle a survécu aux massacres. Pas ses parents, ni sa grande sœur. Trente ans après le génocide des Tutsi au Rwanda, Aliette Nyirahabimana a pour seul souvenir de ses proches disparus quelques photos défraîchies. Pour faire vivre leurs mémoires et leurs visages, elle est venue dans un atelier d’artistes de Kigali remettre des clichés au collectif Art For Memories (“De l’art pour les souvenirs”) qui va les reproduire en dessins, “pour que je puisse les garder avec moi”, explique cette femme de 41 ans, émue aux larmes.
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“Mes enfants me demandent souvent quand leur grand-mère a été tuée. Ils me posent beaucoup de questions sur ce qui s’est passé avec la famille”, explique-t-elle. “Alors, qu’ils puissent voir les dessins à la maison leur permettra de se faire une image de ces personnes, comme ma grande sœur qui a été tuée avant de pouvoir se marier ou d’avoir des enfants.”
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Dans l’atelier de la capitale rwandaise, jeunes artistes et étudiant·e·s en école d’art crayonnent sur leurs tablettes et leurs carnets à dessin, reproduisant avec soin portraits et photos de famille d’une époque révolue. “Nous invitons les gens à nous envoyer les images de leurs êtres chers par mail, sur les réseaux sociaux, par WhatsApp et ces photos abîmées, nous les ramenons à la vie”, résume King Ngabo, artiste de 28 ans à l’initiative du projet.
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Depuis son lancement en avril 2023, le collectif a bénévolement réalisé environ 450 portraits de victimes du génocide. Une goutte dans l’océan de sang des 800 000 personnes, majoritairement Tutsi mais aussi des Hutu modérés, tuées entre avril et juillet 1994 par le régime extrémiste hutu.
Réhabilitation
La plupart des artistes du projet – comme plus de 70 % de la population rwandaise, qui est âgée de 30 ans ou moins – n’a pas connu les cent jours de carnage qui ont ravagé ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs. Avec leur travail et au contact de celles et ceux qui viennent leur confier leurs précieux souvenirs, ces artistes découvrent de nouvelles facettes de la tragédie.
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“Quand j’étais enfant, on apprenait le génocide à l’école et à la maison, les parents en parlent parfois. Mais quand j’ai rejoint cette initiative j’ai appris davantage. […] Certaines choses qui se sont passées, certains détails que je ne savais pas”, raconte Manzi Yvan Bryan, 19 ans. “Je pensais savoir plus [de choses] sur le génocide […] parce que j’avais visité beaucoup de mémoriaux”, explique King Ngabo. “Mais je n’avais jamais eu la chance de parler avec des survivants du génocide, comme ce fut le cas cette année durant laquelle nous avons permis aux gens d’amener leurs photos.”
Pour cette génération post-génocide, leur travail est aussi l’occasion de réhabiliter leur art qui a été, avec les médias, un outil de propagande utilisé pour semer la haine contre la minorité tutsi, qualifiée d'”Inyenzi” (“cafards” en langue kinyarwanda). “Des artistes de l’époque ont utilisé le dessin pour répandre leur idéologie du génocide contre les Tutsis”, souligne Mucyo Martin, illustrateur indépendant âgé de 20 ans. “Aujourd’hui, nous, en tant que jeunes artistes qui faisons aussi du dessin, nous avons décidé de corriger cela.”
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