À quoi tient le succès d’un film ? Pour certains, c’est son score au box-office, à l’instar de Barbie ou de Vice-Versa 2 (actuellement au cinéma), dont les records d’entrées dans les salles obscures suffisent pour témoigner du phénomène autour des deux superproductions américaines.
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Pour d’autres, c’est plutôt une affaire de réception critique : quand on se penche sur Past Lives de Celine Song, par exemple, son score au box-office n’a rien d’impressionnant, mais le film s’est retrouvé dans tous les classements 2023 des médias spécialisés. Finalement, pour une poignée de films, c’est Internet qui se charge de définir leur succès, et certains paient le prix fort.
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Quand on s’interroge sur les films Challengers de Luca Guadagnino ou Saltburn de Emerald Fennell, les deux films sont considérés comme réussis pour avoir siégé sur nos timelines connectées et marqué la pop culture au fer rouge au moment de leur sortie.
Pour les moins chanceux, cette expérience sur la Toile ressemble davantage à une mise à mort à coup de memes et de punchlines impitoyables, et on peut dire que Madame Web est un cas d’école en la matière. Emma Roberts, qui joue dans le film, est d’ailleurs formelle : “S’il n’y avait pas eu la culture Internet et le fait que tout soit tourné en dérision, je pense que l’accueil [réservé à Madame Web] aurait été différent.”
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L’accueil en question, c’est le pire reçu par un film de super-héros de toute l’histoire du film de super-héros, aussi critique que commercial. C’est dire. Dans son entretien pour Variety à l’occasion de la sortie de la série Space Cadet, Emma Roberts confie :
“Personnellement, j’ai beaucoup aimé Madame Web. J’ai vraiment apprécié le film. J’ai trouvé que tous les acteurs étaient formidables. La réalisatrice, S.J. Clarkson, a fait un travail remarquable. C’est grâce à elle que j’ai voulu faire ce film. S’il n’y avait pas eu la culture Internet et le fait que tout soit tourné en dérision, je pense que l’accueil aurait été différent. Et c’est ce qui m’énerve dans beaucoup de choses, même dans celles que j’ai faites par le passé, c’est que les gens tournent tout au ridicule maintenant.”
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C’est qu’à l’heure de la course au tweet viral et de la critique Letterboxd golri publiée avant même la fin des crédits, il est devenu impossible de discerner une critique constructive d’une critique dont le simple but est d’être lue et partagée, et pour ce faire, le trashtalk et la dérision restent les meilleures armes.
Ainsi, un tour dans la section commentaire de la bande-annonce de Madame Web ou au cœur de la recherche “Madame Web” sur X/Twitter suffit pour nous prouver que pour beaucoup, ce qui compte dans ce film, c’est son potentiel memesque et humoristique — que beaucoup n’ont pas tardé à comparer avec une forme de sexisme, au vu du casting 100 % féminin du film.
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“C’est comme ça que chaque réplique de Madame Web est délivrée.”
La blague a même été poussée au point de tourner au ridicule une réplique de Dakota Johnson, déjà lors de la sortie de la bande-annonce, à savoir “Il était en Amazonie avec ma mère lorsqu’elle faisait des recherches sur les araignées, juste avant qu’elle ne meure” — on n’a pas toujours compris en quoi c’était drôle (Dakota non plus), mais Internet nous indique que c’est une combinaison du faible niveau d’écriture de la réplique, et d’un manque de panache de l’actrice au moment de la réciter.
S’en sont suivies d’autres déclinaisons humoristiques des différentes séquences du film, qui lui ont valu d’être considéré comme une vaste blague aux yeux d’Internet. L’auteur de ces lignes lui-même n’a jamais vu le film, mais l’imaginaire collectif le pousse à croire que c’est un mauvais film.
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Au vu de la situation, certain·e·s twittos sont monté·e·s au front pour défendre le film et dénoncer la tendance de la culture Internet de démonter de manière compulsive les films (notamment les superproductions de type Marvel), tandis que d’autres ont réagi à la sortie d’Emma Roberts en soulignant que sans ce moment viral sur Internet, le film serait tout simplement tombé aux oubliettes sans même faire parler de lui.
En fin de compte, rappelons-le : le cinéma reste un art subjectif, et un flop ici n’en est pas un ailleurs. La preuve : en mai dernier, soit trois mois après sa sortie en salles, Madame Web a été rajouté au catalogue Netflix américain, et s’est hissé à la deuxième place du classement mondial des 10 meilleurs films de la plate-forme, avec plus de 10,8 millions de vues pour sa première semaine, ce qui équivaut à 20,8 millions d’heures de visionnage. Du coup, ça devient un bon film ? La grande leçon de cette histoire : l’important est de se faire son propre avis, et ne pas toujours croire Internet — encore moins quand il tape sur un film porté par des femmes.