Que retenir d’Aretha Franklin en priorité ? Ses tubes tels que “Respect“ ou “Think“ ? Son engagement pour les causes afro-centristes ? Ses ballades envoûtantes ? Peut-être que tout cela se résume en une chose : sa voix. C’est elle qui porte toute sa personne, qui est reconnaissable entre mille, qui donne à la discographie de la chanteuse décédée jeudi à l’âge de 76 ans une cohérence, une constance. Qu’elle officie sur de la soul type Motown ou plus sudiste, sur du disco ou sur des morceaux tirant sur le r’n’b plus nu-jack, sa voix n’a pas changé. C’est le fil rouge de sa carrière, ce qui la rattachera toujours à ses racines, même sur des albums très produits comme ceux qu’elle a pu sortir durant les années 1990-2000. La voix d’Aretha Franklin est un repère, et ce qui la définit le mieux se résume en un mot : gospel.
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Fille d’une star du gospel
Le gospel, c’est la base musicale d’Aretha Franklin. Elle fait partie de ces artistes soul qui ont tout appris de cette musique, comme Curtis Mayfield ou Donny Hathaway. D’autres, comme Minnie Riperton ou Diana Ross, en proviennent, mais ont perdu cette filiation (ça n’est pas un jugement de valeur). Ceux qui sont de la catégorie d’Aretha Franklin sont restés extrêmement attachés au gospel, y reviendront à de nombreuses reprises durant leur carrière. Il faut dire que la Reine de la Soul a baigné dedans, et pas qu’un peu.
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Son père, le révérend Franklin, n’était pas n’importe qui.
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“C’était une superstar du gospel, raconte Nicolas Rogès, auteur du livre Move On Up, La soul en 100 disques (Le Mot et le Reste, 2018). Il était du genre à aimer les belles voitures, les belles femmes, les beaux costumes… Cela pouvait être assez mal vu dans le milieu, puisque c’est une musique religieuse. Il était de ceux qui transgressaient, qui transformaient la musique sacrée en musique profane. Aretha Franklin a grandi là-dedans, casser les codes et les conventions ne lui faisait pas peur.“
Le passage déterminant de Columbia à Atlantic
Les dix premières années de sa carrière, passées chez la maison de disques Columbia, sont celles qui la verront embrasser les ballades soul et les chansons parfois plus radiophoniques, plus dans les clous. Avec de superbes réussites, d’ailleurs. Mais c’est passant chez Atlantic que le gospel fait son grand retour dans sa discographie. Lorsque les arrangements sont plus massifs, les chœurs plus grandiloquents, il transpire. Car en quittant Atlantic, elle part enregistrer dans les mythiques studios de Muscle Shoals, en Alabama. Difficile de faire plus gospel comme destination.
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“Le truc avec cette chanteuse, c’est qu’elle a une putain de voix, ajoute Nicolas Rogès. Tu peux la mettre sur des arrangements soul, disco ou nu-jack, elle reste là, point. Elle a un timbre très gospel, ça ne part pas. Dans n’importe lequel de ses albums, on a l’impression d’entendre un peu de gospel, c’est obligatoire. Al Green, c’était un peu la même chose. Les chanteurs de soul sudiste se distinguaient certes par des arrangements différents de ceux de la Motown de Detroit, mais aussi par leurs voix plus rauques, plus brutes. Ça donne des frissons, c’est assez peu descriptible. C’est aussi ça la soul.“
“Say A Little Prayer“, l’exemple parfait
Parmi ses nombreux tubes, la chanson qui sent peut-être le plus le gospel est “Say A Little Prayer“, sortie en 1968. Quand on l’écoute avec un peu plus d’attention qu’à l’accoutumée, on remarque qu’Aretha est très en retrait sur ce morceau : les premières voix que l’on entend, ce sont celles de ses choristes chantant “pray for you“. Elle entonne ensuite le couplet, mais sur le refrain, elle ne dit que trois mots : “Forever“ et “and ever“.
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En fait, ce sont ses choristes qui le chantent en entier, fait rarissime dans la soul américaine, qui plus est pour un des plus grands tubes du genre. Ici, Aretha Franklin se positionne plutôt comme la soliste d’une chorale. Cette dernière, comme dans le gospel, chante en chœur sur le refrain, et laisse la soliste s’exprimer sur les couplets. C’est une structure classique du genre, et pour la reproduire sur disque, à un tel niveau de notoriété, il faut vraiment s’appeler Aretha Franklin.
Trente années après “Say A Little Prayer“, en 1998, Aretha Franklin s’encanaille avec la chanteuse des Fugees, Lauryn Hill, pour interpréter le titre “A Rose Is Still A Rose“. Et devinez ce qui rassemble les deux artistes… Le gospel, Lauryn Hill l’a longuement pratiqué dans sa scolarité, et intègre dès les débuts de sa carrière solo une dimension spirituelle dans ses chansons (“To Zion“, “Forgive Them Father“…). Au début de ce morceau, Aretha Franklin se lance dans une forme de monologue semblable aux sermons que son père distillait à ses fidèles, et qui l’ont bercée durant son enfance. Le gospel est toujours là, malgré l’âge, malgré les arrangements nu-jack, malgré la proximité de Lauryn Hill avec le hip-hop.
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Et ce sera la même chose lorsqu’elle se produira en live au Gospel Fest, ou avec une horde de choristes à la Maison-Blanche en 2015. C’est sa marque de fabrique, sa patte sonore, et ce pourquoi ses tubes sont aussi singuliers. Aretha Franklin incarnait à merveille ce gospel tantôt profane, tantôt sain, comme son père avant elle. On ne change pas.