Parmi les films qui animent cette fin d’année 2021, Dune de Denis Villeneuve se présente comme une œuvre parmi les plus ambitieuses du catalogue. Nouvelle adaptation du roman du même nom de Frank Herbert, le long-métrage est déjà plébiscité par la critique comme une grande œuvre de science-fiction.
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S’il y a une chose à dire concernant Dune, c’est que l’œuvre originale publiée en 1965 mérite tout autant d’attention que son adaptation sur grand écran. À travers son long récit, Herbert confronte le lecteur à des thèmes universels tels que l’écologie, la politique et le transhumanisme, en dépeignant un univers imaginaire qui apparaît tel un reflet du monde moderne.
Aujourd’hui, plus de cinquante ans après sa publication, ces questionnements se révèlent plus primordiaux que jamais.
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Le désert, la politique et le transhumanisme
Le sable s’étend à perte de vue, le soleil brûle les yeux de ses rayons épais, assèche la peau et étouffe les poumons. C’est dans cet environnement hostile et inhospitalier que Frank Herbert a choisi d’ancrer son histoire. La planète Dune, qui donne son titre au roman, se révèle menaçante, inconfortable et angoissante.
Dune présente un futur alternatif, dans lequel les humains viennent de se libérer du joug de robots et d’intelligences artificielles avancées. Sur les ruines d’un ancien monde s’est bâti un empire intergalactique régi par un système féodal. Plusieurs maisons importantes se livrent une guerre d’influence, tandis que l’Empereur centralise le pouvoir exécutif.
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De prime abord, ce décor de fiction paraît éloigné du monde réel. Pourtant, au fur et à mesure des pages du roman, le lecteur découvre les subtils ponts qui sont dressés par Frank Herbert entre le monde qu’il dépeint et la réalité. Dans son œuvre, l’auteur cristallise les angoisses auxquelles est confrontée l’humanité, telles que l’urgence écologique, la géopolitique d’un monde instable ou le transhumanisme. Aujourd’hui, ces problématiques font toujours écho dans la conscience collective.
Les limites de la conscience humaine
Dans un contexte actuel où les sociétés font face à des impératifs oppressants, Dune met le lecteur face un miroir qui reflète une image anticipatrice des questionnements auxquels il est confronté. Dans l’univers présenté par le roman, la société a banni les robots et les intelligences artificielles.
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Pour remplir les fonctions qui étaient à l’origine assumées par les machines, les humains ont développé des talents particuliers. Ainsi, l’école des Mentats forme des individus aux capacités cognitives équivalentes à celles d’un ordinateur, et l’ordre des Bene Gesserit, constitué de celles qui sont appelées les Révérendes Mères, œuvre à développer les capacités humaines.
Ces deux factions composées de personnes aux facultés améliorées occupent chacune une place importante dans le système féodal du roman. Dune questionne les limites de la conscience humaine, qui se retrouvent constamment redéfinies à l’aune des catastrophes qui ont marqué le monde.
La spiritualité au cœur du récit
Dans ce système où les puissants agissent comme des charognards en s’infligeant les pires coups bas, le jeune Paul Atréides entame une longue aventure au cours de laquelle il doit surmonter différentes épreuves pour trouver sa place. Alors que son père, le Duc Leto, tombe dans une trahison sournoise, le jeune adolescent est livré à lui-même sur la planète de sable.
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Dans son roman, Frank Herbert s’attarde à explorer la psyché de ses protagonistes. Le lecteur est ainsi plongé dans le bouillonnement intérieur des personnages, et partage aussi bien leurs doutes que leurs espérances. Paul suit une évolution à la fois drastique et nuancée. Alors qu’il apparaît innocent et rempli d’incertitudes au début de l’intrigue, il s’affirme de plus en plus, jusqu’à obtenir la position qui lui échoit.
Dune propose d’examiner les relations entre les êtres humains d’un regard mature et nuancé. Les personnages composent avec leurs failles et leur part d’ombre, ce qui les rend profondément humains, et le lecteur se retrouve dans les tiraillements intérieurs des protagonistes qu’il voit grandir. Le cheminement de Paul, en particulier, apparaît telle une allégorie du passage à l’âge adulte.
Le point de vue intérieur permet d’appréhender les différents thèmes auscultés par le roman de manière engageante. Dès lors que le personnage de Paul évolue et gagne en maturité, le lecteur est poussé à reconsidérer le monde qui l’entoure sous un prisme nouveau. Aujourd’hui encore, les problèmes soulevés par Dune sont pertinents, comme la question de la religion et du contrôle de la population.
Dans le roman, Paul est perçu par les tribus autochtones, appelées les Fremens, comme le messie de la prophétie qui les emmènera vers la liberté. Le jeune Atréides embrasse cette identité, et endosse le rôle de Muad’Dib, la “souris du désert”, en se hissant à la tête des populations indigènes. Dune questionne la vision que certaines sociétés nourrissent face à une figure messianique. En confrontant l’évolution de Paul à la perception qu’ont les Fremens de lui, Herbert étudie les causes qui font émerger un “élu” qui prendra la tête du pouvoir.
Un nouveau rapport au monde
Parmi les thèmes abordés dans le roman, l’écologie occupe une place primordiale. Sur la planète Dune, rien n’est plus précieux que l’eau : chaque goutte est l’une des denrées les plus rares et les plus chères. Les Fremens ont élu domicile dans cet océan aride, dans lequel elles ont appris à survivre. Pourtant, si Arrakis (autre nom de Dune) ne semble rien avoir à offrir à personne, elle renferme la richesse la plus inestimable de la galaxie, l’Épice (une poudre se trouvant dans le sable qui permet le voyage intergalactique et sert également de psychotrope), que tout l’Empire œuvre à exploiter.
Ce contraste entre les rouages gigantesques du pouvoir politique et l’austérité du mode de vie des indigènes entraîne le lecteur à reconsidérer les ressources que la Terre lui offre. À une époque où la planète bleue est essorée comme un citron, et où de nombreux écosystèmes sont mis en danger, la sonnette d’alarme que tire Frank Herbert se fait d’autant plus impérieuse.
En 1965, Herbert érigeait ce qui allait devenir un monument de la science-fiction, et, plus largement, de la littérature. Presque soixante ans après, le propos de Dune reste toujours aussi pertinent, par les nombreuses problématiques que soulève le roman, en enjoignant le lecteur à considérer les rapports aux autres, la société et le monde qui l’entoure d’une nouvelle manière.
Alors que l’adaptation de Denis Villeneuve est déjà acclamée par la critique, c’est désormais le meilleur moment pour se replonger dans l’œuvre originale.