Du club théâtre de Vernon à la scène de la Comédie-Française, Birane Ba nous a raconté son parcours fulgurant

Publié le par Manon Marcillat,

(@peterbucks)

Il fait aujourd’hui partie de l’impeccable distribution de Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry.

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Après l’émouvant Pupille qui nous plongeait au cœur des problématiques de l’aide sociale à l’enfance et des enfants nés sous X, Jeanne Herry ausculte dans son nouveau film un autre dispositif social, celui de la justice restaurative.

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Je verrai toujours vos visages. Derrière ce titre poétique, un film sur un pan méconnu de la justice qui consiste à faire dialoguer condamnés et victimes pour tenter de réparer et se réparer. Devant la caméra de la réalisatrice, une victime de braquage, d’un vol à l’arraché et d’un home-jacking vont rencontrer des condamnés pour vols avec violence lors de séances de discussions en prison, encadrées par des médiateurs. Ils ne sont pas leurs agresseurs directs, mais ces rencontres riches en émotions vont permettre aux victimes d’avancer plus sereinement dans leur reconstruction.

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En miroir du huis clos en prison, Chloé va solliciter l’aide d’une médiatrice pour entrer en contact avec son agresseur à elle — son grand frère qui l’a violée pendant son enfance — et leur rencontre est une scène finale d’une puissance et d’une émotion rares, comme l’était déjà la rencontre d’Alice avec Théo, son bébé adopté dans Pupille. Car c’est là que se niche tout le talent de Jeanne Herry qui sait insuffler des enjeux romanesques et beaucoup d’émotions dans des questions de société — pupilles de la nation, justice restaurative — assez peu cinématographiques. En apparence.

Car pour porter ce film construit essentiellement sur de longues discussions de groupe mais aussi de nombreux silences, Jeanne Herry a réuni un casting de choix où se côtoient stars du cinéma français — Leïla Bekhti, Élodie Bouchez, Gilles Lellouche ou encore Adèle Exarchopoulos qui tient ici un de ses rôles les plus intenses — acteurs montants et comédiens de théâtre. Parmi eux, Birane Ba, 28 ans, un des plus jeunes pensionnaires de la Comédie-Française.

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L’art de sculpter le silence

Le comédien a rencontré la réalisatrice en 2020, lorsqu’elle le dirigeait dans la pièce chorale Forums à la Comédie-Française, un texte “qui parlait des forums Internet comme on les connaît mais qui ont été remplacés par les réseaux sociaux. On évoquait tout l’amour mais aussi toute la haine qu’il peut y avoir sur les réseaux sociaux”, se souvient le jeune comédien qui a intégré l’institution tricentenaire en 2018 en tant qu’artiste auxiliaire puis qui fut titularisé pensionnaire en 2019.

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“Artiste auxiliaire, c’est comme un CDD, pensionnaire, c’est un CDI mais tous les ans, un comité décide de qui part et qui reste. Il faut savoir qu’on rentre toujours à la Comédie-Française pour remplacer quelqu’un. On bouche des trous dans un planning donc c’est une petite piqûre de rappel d’humilité. On est toujours de passage.”

Ce n’est certainement pas un hasard si Jeanne Herry a pensé à lui pour son troisième long-métrage en tant que réalisatrice car il y a quelque chose du théâtre dans Je verrai toujours vos visages. On retrouve dans son film cette notion de forum, mais façon Rome antique, où les protagonistes se rassemblent pour débattre, toujours en cercle organisé. Dans le cinéma du lien social de Jeanne Herry, tout passe par la parole qui, sans jamais être du théâtre filmé, permet au collectif de triompher.

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Rythmé et mené par une remarquable direction d’acteurs, Je verrai toujours vos visages nous fait vivre ces sessions de paroles presque en temps réel. Les comédiens monologuent parfois, disent beaucoup mais se taisent aussi souvent, pour écouter. “On m’a dit un jour que l’art de l’acteur c’est de sculpter le silence”, se rappelle Birane Ba qui retrouve dans ce film le temps long de l’écoute, celui qui lui a fait aimer le théâtre dès son plus jeune âge.

“Je me suis inscrit au club théâtre par mimétisme car les grands de mon quartier à Vernon faisaient du théâtre, mais le pouvoir que ça m’a donné, j’ai trouvé ça incroyable. On arrive sur scène et les gens sont là uniquement pour nous écouter alors qu’on est dans une société qui prend rarement le temps de l’écoute. On devient un peu des maîtres du temps.”

Sur le plateau du film, aux côtés d’une pléiade d’acteurs bankable, le jeune comédien a retrouvé certains de ses collègues du Français, Suliane Brahim, Denis Podalydès, à qui il témoigne une admiration sans faille. “Denis a une force de travail incroyable. Il peut avoir le rôle principal d’une pièce, être en même temps au foyer, lire un roman, suivre une discussion sur le vélo, regarder un match de foot et ne pas louper son entrée. Il a cinq cerveaux.”

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Mais il lui faut lui aussi solliciter ses différents cerveaux pour mener de front les tournages, les répétitions et les représentations à la Comédie-Française — “il y a beaucoup, beaucoup de travail, on peut jouer quatre pièces différentes en même temps en plus des répétitions, mais c’est tout ce dont j’ai toujours rêvé” — car c’est dans le prestigieux théâtre de la place Colette que le comédien a eu son premier choc de théâtre au lycée lorsque, interne en classe théâtre à Évreux, on l’emmena voir La Grande Magie, la première représentation de sa vie, à la Comédie-Française et avec… Denis Podalydès. “J’ai tout de suite voulu être à sa place.”

“J’ai commencé le théâtre avant de voir la moindre pièce. Donc c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte de ce qu’était le théâtre. Mais ce n’était pas seulement un choc du lieu, du velours et du doré. C’était ce qu’il représente, 880 personnes qui regardent, écoutent et rigolent en même temps, c’est si rare.”

Après le club de théâtre de son école élémentaire et la classe théâtre de son lycée, l’élève a mis sa fibre artistique de côté pour passer un bac ES, intégrer un BTS en commerce international et décrocher un job dans un magasin de téléphonie. Mais ses premiers amours rattraperont ce natif de Vernon en Normandie, fils d’un ouvrier et d’une femme de ménage d’origine sénégalaise et avant-dernier d’une fratrie de huit enfants, qui a grandi loin des textes et de la maison de Molière.

Il s’inscrira au Conservatoire régional de Rouen, puis passera le concours de la Classe Libre du Cours Florent et sera admis au Conservation National à Paris avant d’être repéré par l’administrateur de la Comédie-Française pour en devenir un des trois plus jeunes pensionnaires de son histoire.

“Je me souviens du moment exact où j’ai réalisé que j’étais à la Comédie-Française. J’étais sur la scène du Français mais ce n’était pas la première fois que j’y jouais. Il y a eu un silence — prévu dans la pièce — et c’est là que j’ai pris conscience d’où je me trouvais. Je suis un peu sorti de mon personnage mais je m’en rappellerai toute ma vie.”

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