Terry Gilliam à nouveau rattrapé par la malédiction de Don Quichotte

Publié le par Marie Jaso,

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“Tout ce qui pouvait foirer a foiré.” Voilà comment Nicolas Pecorini, chef opérateur, décrivait dans le docu Lost in La Mancha l’expérience du tournage de L’Homme qui tua Don Quichotte, le tristement célèbre projet de Terry Gilliam d’adaptation du plus célèbre ouvrage de Miguel de Cervantes.

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Réalisé en 2002, le documentaire de Keith Fulton et Louis Pepe relatait la première tentative désastreuse de tournage en 2000, lorsque l’Univers entier semblait s’acharner contre le film : conditions météorologiques calamiteuses (pluies torrentielles au milieu du désert), restrictions budgétaires, rapatriement en urgence du regretté Jean Rochefort (à l’époque dans le rôle-titre) pour hernie discale, abandon de Johnny Depp et Vanessa Paradis (engagés sur d’autres projets et ne pouvant plus se permettre de composer avec les retards de production), maltraitance animale (un cheval affamé est mort sur le plateau), survol d’avions de chasse (ruinant les prises de vues)…

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Après deux décennies de péripéties malheureuses et une réputation de “film maudit” (Terry Gilliam a eu l’idée d’adapter le roman de Cervantes dès 1990), poursuivre l’aventure L’Homme qui tua Don Quichotte relève, au choix, du masochisme ou de la folie. Mais qu’importe car l’ex-Monty Python et réalisteur de Brazil, L’Armée des douze singes et Las Vegas Parano ne se laisse pas facilement décourager. Inlassablement, il se remet de chaque coup dur et fait renaître de ses cendres son phénix aux ailes brisées.

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Il y a quelques mois, le cinéaste annonçait même avoir terminé son long-métrage, après six tentatives et une moyenne de deux réécritures par an. Mais c’était sans compter sur la ténacité de la malédiction.

Deux hommes pour un film

Retour en 2016. Faute de fonds, la production de L’Homme qui tua Don Quichotte est toujours sur pause. Terry Gilliam, bien décidé à relancer le projet (pour la cinquième fois), se tourne alors vers Paulo Branco – producteur portugais reconnu dans le milieu – afin de l’aider à récolter les 16 millions d’euros nécessaires au tournage. Les étoiles finissent par s’aligner au-dessus de la tête du cinéaste : le scénario est prêt, tout comme les plans de tournage, entre le Portugal et l’Espagne, à l’automne 2016.

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Par amour du projet, Gilliam décide de mettre sa fierté de côté : fin avril 2016, il cède ses droits d’auteur-réalisateur à Alfama, la société de Branco également détentrice des droits du scénario, qui s’engage de son côté à respecter les choix du réalisateur.

Mais très vite, des tensions s’immiscent entre les deux hommes aux tempéraments de feu : le producteur n’a finalement pas le budget nécessaire, malgré ses nombreuses sollicitations (auprès de France Télévisions, TF1 et Canal+) et s’avère désireux de marquer de son nom un projet qu’il présente comme le sien. Il s’attelle alors à démanteler tout ce que Gilliam avait mis en place jusqu’ici : les choix de casting, les équipes techniques, les dates de tournage…

Méfiants vis-à-vis du producteur, d’importants investisseurs (Amazon, Kinology) mettent fin aux négociations pourtant avancées et se retirent progressivement de ce film à la dérive. Terry Gilliam supporte de moins en moins l’impétuosité d’un producteur bien au-delà de son rôle, et lui fait part de son mécontentement dans un mail : “Toutes tes ­demandes sont totalement incompatibles avec le contrat écrit que j’ai signé.”

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Deux hommes pour un film : un choc des ego incompatible avec la volonté de mener à bien le projet d’une vie. Fustigeant le “comportement déloyal et trompeur” de Branco, Gilliam signe la fin d’une collaboration impossible. La réaction du producteur déchu ne se fait pas attendre. Il suspend la mise en œuvre du film et proroge ses droits sur le scénario. Qu’à cela ne tienne : si L’Homme qui tua Don Quichotte se fait sans lui, il ne se fera pas.

Cela n’a pas affecté la détermination du cinéaste. Bien décidé à reprendre le contrôle de la production – et récupérer ainsi ses droits d’auteur, de réalisateur et de scénariste nécessaires à la relance du projet – Terry Gilliam dépose plainte en Espagne, au Royaume-Uni et en France.

Après près de 20 années de galères (le mot est faible), le réalisateur, épaulé par un nouveau producteur, réunit les 16 millions d’euros nécessaires au tournage et relance ce dernier au printemps 2017, avec Jonathan Pryce et Adam Driver dans les rôles principaux (celui de Don Quichotte a été pensé successivement pour Jean Rochefort, Robert Duvall, John Hurt et Michael Palin, et celui de Toby pour Johnny Depp, Ewan McGregor, Owen Wilson et Jack O’Connell).

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Mais alors que tout commençait à lui sourire, le cinéaste est à nouveau rattrapé par son infortune. Cherchée, cette fois. Tenace, Paulo Branco s’est en effet penché sur un contrat déposé par Gilliam au CNC. Il a été ravi de découvrir que ce dernier avait demandé à être payé 750 000 euros au Panama, où il détient une société depuis 1980 par l’intermédiaire du cabinet d’avocats Mossack Fonseca, au cœur de l’affaire des “Panama Papers”.

“C’est ça, l’idole de la gauche britannique, le donneur de leçons ? Moi, j’aurais refusé de le payer au ­Panama ! Et comment a-t-il pu bénéficier, dans ces conditions, de fonds publics, notamment d’Eurimages ?” s’est offusqué le producteur.

Si l’avocat de Gilliam affirme que c’est “assumé et légal vis-à-vis du fisc britannique” et dénonce le comportement de Brando, “grand pervers qui a orchestré un braquage organisé”, c’est aujourd’hui à la justice française d’en (re)débattre. En mai dernier, un premier jugement donnait raison à Branco en proclamant la validité du contrat l’unissant à Gilliam, empêchant au film d’être exploité sans l’accord préalable du producteur. L’affaire est aujourd’hui devant la Cour d’appel de Paris. Permettra-t-elle L’Homme qui tua Don Quichotte de sortir enfin dans les salles obscures et Terry Gilliam, de trouver la paix ? Verdict attendu le 15 juin.