Aux États-Unis, le streaming est désormais pris en compte dans le système : 1 500 vues ou écoutes équivalent à un album vendu ou dix titres achetés. Un élargissement qui pose quelques questions sur les ambitions de l’industrie musicale et la pertinence des récompenses décernées aux artistes.
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Il est loin le temps où les albums s’écoulaient par millions d’exemplaires. Rappelons-nous de l’année 1982, quand Thriller sortait chez Epic Records. L’album est toujours, aujourd’hui, le plus vendu de tous les temps : plus de 30 millions de copies achetées dans le monde, selon la Record Industry Association of America (RIAA). Grâce à cet opus, Michael Jackson aurait pu, aujourd’hui, exposer une trentaine de disques de platine dans son salon. Une époque bel et bien révolue.
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En 2016, la RIAA a pris la décision de comptabiliser les écoutes en streaming en plus des ventes. Dorénavant, 1 500 écoutes sur YouTube ou Spotify sont équivalentes à un album ou dix titres vendus. Dans un communiqué de la RIAA publié le 2 février, Cary Sherman, président de l’association, justifie ce nouveau système par le besoin de s’adapter à un changement des modes de consommation de la musique :
“L’écoute de musique, albums et chansons, a grimpé en flèche. Aussi, cette tendance n’a pas encore été représentée dans notre certification d’album. Moderniser notre certification en incluant le streaming musical est la prochaine étape logique.”
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En résumé, le marché du streaming prend de plus en plus de place dans l’industrie : les plateformes se multiplient et se concurrencent entre elles, les offres diffèrent peu et les catalogues sont énormes. En termes de chiffres, le streaming représentait, en 2015, près de 1 000 milliards d’écoutes au total. La RIAA veut suivre le mouvement.
“Une évolution naturelle”
Guillaume Leblanc, directeur du Snep (Syndicat nationale des éditions phonographiques), adhère à cette logique. Contacté par Konbini, il parle d’ailleurs d’une tendance qui touchera la France dans les mois à venir, au plus tard, l’an prochain :
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“Cela fait partie d’une évolution naturelle. Vu le poids croissant du marché du streaming dans la musique, c’est normal que les certifications prennent ce type de consommation en compte.”
Les États-Unis, l’Allemagne également et bientôt la France… Selon le directeur du Snep, “tous les marchés vont s’y mettre”. Adrien Toffolet, journaliste chez Society et cofondateur du site et label musical DumDum, nous confie qu’il trouve cette équivalence étrange :
“C’est un peu bancal, parce qu’un single n’a rien à voir avec un album entier.”
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Selon lui, “ce nouveau système c’est purement la reconnaissance de la culture du streaming”. Une reconnaissance qui résonne comme un nouveau pacte établi entre les distributeurs et les plateformes de streaming :
“Il y a toujours eu une guerre entre l’industrie de la vente physique et digitale et les acteurs du streaming. C’est une façon pour les acteurs du numérique de montrer qu’ils sont devenus indispensables dans l’industrie.”
Pour le journaliste musical Nico Prat, cette équivalence est purement “absurde” :
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“On est face à une vieille industrie du disque qui peine à se renouveler pour se sortir de sa crise. IIs sont allés chercher du chiffre là où il y en a encore.
Classer 1 500 vues comme un chiffre de vente c’est tout mélanger. On va nous annoncer des chiffres complètement extravagants. Le visionnage sur YouTube, l’écoute en streaming et l’achat sur iTunes, ce sont des choses différentes.”
Guillaume Leblanc, du Snep, voit l’intégration de YouTube dans la comptabilisation comme une action inévitable et indispensable. “C’est un nouveau système d’écoute. On est à la réalité de l’usage, on est obligés de tenir compte de ces nouveaux usages.”
Face au succès du streaming audio et vidéo, difficile d’ignorer son impact dans l’industrie musicale. “Il faut prendre ces écoutes en considération, concède Nico Prat. Mais la RIAA prend le problème à l’envers.”
Vers la fin du disque d’or ?
Et si ce nouveau système de certification menait à la prolifération des disques d’or et de platine, est-il possible que la valeur symbolique de ces prix soit menacée ? Pour Adrien Toffolet, la question ne se pose même pas :
“Il y a déjà eu une perte de la valeur du disque d’or et de platine, quand en 2006, en France, le quota d’albums vendus à atteindre a été revu à la baisse parce que ce n’était plus représentatif en raison de la chute des ventes.”
Aujourd’hui, un disque d’or français correspond à 50 000 exemplaires vendus alors qu’avant 2006, il représentait 100 000 copies écoulées (soit le disque de platine actuel). Aux États-Unis, il faut vendre 500 000 albums pour espérer décrocher l’or et 1 million pour obtenir le platine.
Et si ces chiffes avaient déjà été diminués dans le passé, les Américains n’ont décerné aucun disque de platine en 2014. Il y a deux ans, pas un seul artiste n’a passé le million de copies vendues outre-Atlantique, physiques et numériques confondues. Avec des scores aussi déplorables, accepter le streaming comme outil de mesure dans la certification peut ressembler à une tentative désespérée de sauver l’image des récompenses décernées par la RIAA et à terme, le Snep.
Et si certains craignent de voir les albums délaissés, Nico Prat est d’avis qu’il ne faut pas s’en faire une montagne :
“Beaucoup d’artistes prétendent raconter une histoire à travers un album, et c’est rarement le cas. La culture du single me dérange pas. Si un single est bon, les gens l’écouteront. L’album pas forcément.”
Considérer un single écouté 1 500 fois comme un album vendu n’a donc pas vraiment de sens, dans la mesure où il est un produit en lui-même, tout comme un album ou un clip. Pour les deux journalistes, ces prix ne représentent déjà plus rien. Nico Prat conclut :
“Le disque de Platine n’a plus de valeur. Ça fait plaisir au label, ça permet à l’artiste d’accrocher un joli truc dans son salon. C’est le genre de chose pour lesquelles les maisons de disques s’inquiètent mais elles feraient mieux de s’inquiéter d’autre chose. De leur vente justement.”