Des salles de concert aux salles d’accouchement, le virage bien négocié de Melvin Boomer

Melvin Boomer n’a qu’une seule série et un unique film inscrits à sa filmographie à l’heure où l’on écrit ces lignes, mais il s’est déjà frotté aux deux extrêmes du spectre cinématographique. Dans Le Monde de demain, la minisérie de Katell Quillévéré et Hélier Cisterne qui retrace les premiers pas du mythique duo de rap français NTM, sa transformation et prestation en JoeyStarr — supervisée par le rappeur lui-même — a été unanimement saluée.

“J’ai mis beaucoup de temps à me défaire de ce personnage. J’étais dans un rapport d’agressivité permanent avec mes proches et mes amis, je faisais tout le temps des vannes piquantes.”

Dans Sage-Homme de Jennifer Devoldere, il est Léopold, un étudiant en médecine qui, faute d’un classement suffisant aux concours, choisira une réorientation en maïeutique. La peur de décevoir son père, qui élève ses quatre garçons seul depuis la mort de leur mère, va le pousser à mentir sur la véritable nature de ses études dans l’espoir de réintégrer médecine dans trois ans, grâce à un concours passerelle.

Nouveau départ

Si Melvin n’a jamais porté la blouse rose des sages-femmes, il a enfilé les chaussons roses des cours de danse classique durant ses années à l’Académie Internationale de la Danse.

“Je viens du monde du breakdance, un milieu testostéroné, et puis pendant quatre ans, j’ai mis mes collants et mes petits chaussons de danse tous les matins à 8 heures.

J’étais entouré de femmes et il y avait une certaine transmission, à la fois en termes de danse, mais aussi personnellement. Ça m’a servi pour la composition du personnage de Léopold car il y a cette même notion de transmission dans le film.”

Sa performance dans Le Monde de demain ne hissera pas sa candidature au sommet de la pile puisqu’au moment des castings pour le film, la série n’était pas encore disponible sur nos écrans. C’est donc sans l’appui — mais également sans le miroir déformant — de sa prestation en JoeyStarr que Melvin a prouvé, face à 200 autres acteurs, qu’il était la parfaite moitié de Karin Viard pour qui le rôle de Nathalie, la sage-femme qui sera sa tutrice de stage, a été écrit.

Melvin admet sans détour que ce radical changement de registre était volontaire et bien intentionnel.

“Je l’ai totalement pensé comme ça car même si la série n’était pas encore sortie, j’étais conscient de la catégorie dans laquelle ça risquait de m’enfermer. Je suis tissemé, j’ai joué JoeyStarr, un rôle très fort, j’étais lucide. Et ça n’a pas loupé, dès que Le Monde de demain est sorti, on ne m’a proposé que des projets sur le hip-hop, la cité et des rôles de voyous.”

De la série au long-métrage, d’un charismatique modèle bien réel qui inspire et chapeaute sa transformation à un personnage de composition, du monde du hip-hop dont il maîtrise les codes aux mystères d’une maternité, Melvin va prendre un tout nouveau départ qui va lui permettre d’oublier et de faire oublier JoeyStarr.

“Pour incarner JoeyStarr, j’avais perdu du poids et reproduit presque tout ce qu’il faisait et ce qu’il était pour vraiment me mettre dans sa peau. C’est principalement passé par le corps, la gestuelle et l’imitation et comme je suis danseur, c’est plus facile pour moi. Mais on peut vite être dans la caricature, donc la limite est fine.

Léopold, je l’ai créé de toutes pièces, je n’avais pas de modèle mais en même temps, je pense que dans ce personnage, il y a 70 % de moi.”

Après la composition du personnage, viendront la pratique et les stages à la maternité de l’hôpital Saint-Joseph à Paris où l’acteur pourra assister à deux accouchements pour se familiariser avec ce nouveau monde et ce métier impénétrable, objet de fantasmes et d’illusions.

Il sera le témoin privilégié d’une naissance sans complication, “idéale et harmonieuse”, et d’un autre accouchement, plus difficile, où le nouveau-né viendra au monde en détresse respiratoire et devra être réanimé. “Jennifer avait écrit le scénario du film bien avant notre stage à la maternité mais tout ce qu’on a vu dans cet hôpital se passera dans le film.”

Présent en salle d’accouchement pour travailler un personnage de fiction, Melvin se retrouvera aux premières loges du moment le plus intime et important de la vie d’inconnues. Pour décompresser, il met ses écouteurs et danse, en plateau, en coulisses ou dans les couloirs de la maternité.

“Tu te sens de trop car tu es juste là pour préparer un rôle et face à toi, il y a une femme qui fait quelque chose d’incroyablement beau et difficile. C’est assez terrifiant parce qu’à tout moment, ça peut tourner au drame. Tu as parfois envie d’aider mais tu n’es pas qualifié.

Moi j’étais dans un coin de peur de déranger mais heureusement, la sage-femme n’a cessé de m’impliquer.”

Sa précoce envie de changement l’a conduit à frapper à la bonne porte car Sage-Homme est une réussite. Bien que le scénario soit un peu scolaire et la fin un brin convenue, c’est un film qui sait mêler l’intime au politique avec finesse. La sphère familiale de Léopold est composée avec nuance et la scénariste Cécile Sellam a su contourner les clichés attendus de la représentation d’une famille monoparentale, modeste et immigrée sur grand écran. Le père de Léopold n’est pas le père autoritaire ou misogyne que son apparente dureté ou les mensonges de son fils pourraient laisser à croire. C’est un père qui communique peu mais qui sait également faire preuve de beaucoup d’instinct quand il s’agit de comprendre ses garçons.

Politique, le film montre les accouchements et le corps des femmes avec un réalisme rarement vu dans un film familial et grand public : vulve, placenta et cours de masturbation féminine dispensé par Karin Viard à son jeune stagiaire, la caméra de la réalisatrice ne s’embarrasse d’aucune fausse pudeur. Au contact de ses collègues de l’hôpital et de ses camarades de promotion, Léopold deviendra sage-femme de profession mais aussi un homme sage, qui écoute, qui apprend et qui comprend.

Sportif et fils de sportifs de haut niveau — son père pratique le MMA et sa mère le roller (ou le patinage artistique selon les sources) en compétition — pour son premier film, Melvin s’est immergé dans le monde de la petite enfance, que sa mère pratique au quotidien dans son métier. Sa petite sœur, quant à elle, veut devenir sage-femme. La pomme ne tombe donc jamais loin de l’arbre.

“Je suis complètement matrixé car mon prochain projet est totalement en lien avec mon père. Je ne peux rien dire mais si tu réfléchis bien, tu vas tout de suite trouver. Le destin me fait quand même une blague sacrément cool.”

À vos paris.