Pierre Fautrel a fermé les yeux et a pensé très fort à une image qui illustrerait le texte suivant : “Elle jaillit en cascade depuis le creux d’un volcan, sa pensée embrasse les cieux et son feu parcourt la terre, irrigue ses vaisseaux jusqu’à trouver la lassitude et parfois la colère se tait.” Il a imaginé un volcan entouré de lave sur un fond clair pendant qu’il se faisait analyser le cerveau à l’intérieur d’une machine IRM et une intelligence artificielle a traduit ses pensées sur une œuvre surréaliste qui représente un volcan entouré de lave sur un fond clair.
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C’est presque aussi simple que ça. Si on met de côté les années de travail que Pierre Fautrel, Hugo Caselles-Dupré et Gauthier Vernier, fondateurs du collectif Obvious, ont consacré aux recherches croisées entre les arts et la recherche algorithmique ; les collaborations avec la Sorbonne et l’Institut pour la recherche sur la moelle épinière et l’encéphale (IRME) ; et, entre autres, les heures passées sous un IRM à entraîner la machine et créer une base de données.
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Si “on sait depuis une dizaine d’années que c’est possible de reconstruire une image vue à partir de l’activité de ce cortex visuel”, tel que l’expliquait Alizée Lopez-Persem, chercheuse à l’Institut du cerveau et à l’Inserm, à Radio Canada, générer des images imaginées (et pas forcément des images déjà vues, dont on se souvient) “représente un défi”. C’est en répliquant les résultats d’un article publié par l’Université de Princeton sur le sujet que les trois artistes, des “potes d’enfance”, ont lancé le projet du “mind-to-image”, de l’esprit à l’image. À la suite de ces étapes de réplication, les équipes d’Obvious et de l’IRME ont mis au point des protocoles visant à reconstituer en images les informations recueillies par l’IRM.
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Poser des questions grâce à l’art
Obvious a choisi de placer les algorithmes sur le mode du surréalisme afin de pousser le parallèle avec ce courant qui visait à “aller le plus vite possible entre l’image mentale et la production plastique”, avec l’écriture automatique par exemple, note Pierre Fautrel. Il souligne que l’intérêt de leur projet ne consiste pas tant à savoir si l’œuvre ressemble précisément à ce qu’il avait en tête mais plutôt dans le fait que “les éléments se retrouvent”.
“La prouesse scientifique, c’est ça. Si je pense à ma femme qui sourit, et qu’une femme qui sourit apparaît, c’est ça, la prouesse.” Joint par téléphone, l’artiste chercheur s’émerveille des avancées scientifiques permises par le projet et des réflexions qui en découlent :
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“En tant qu’artistes, notre travail est d’amener des développements et questions philosophiques aux gens d’une manière artistique. La peur de l’IA est encore immense. Notre travail consiste à faire comprendre aux gens les impacts positifs et négatifs de l’IA. L’idée, c’est que quand quelqu’un sort d’un show d’Obvious, il aura une vision plus rationnelle et plus globale de tout ça, même si c’est fait à partir de quelque chose qui paraît très niche.
On voit cependant que l’opinion des gens change sur l’IA. Quand, en 2018, on avertissait tout le monde en disant que l’IA était partout, que des images réalistes générées de façon artificielle pulluleraient bientôt, ce n’était pas forcément pris au sérieux. Aujourd’hui, les gens voient plus de résonance dans notre travail, on propose des projets avec des outils dont ils sentent la puissance au quotidien. Il y a quelques années, certaines personnes étaient terrifiées par les IA et ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, écrivent des discours avec l’aide de Chat GPT.”
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En 2018, leur Portrait d’Edmond de Belamy généré par une IA et vendu près d’un demi-million de dollars chez Christie’s posait la question des œuvres créées par des logiciels et du droit d’auteur·rice de ces nouvelles formes d’art. Aujourd’hui, leur projet de “mind-to-image” interroge les utilisations à venir de nos ondes cérébrales. “Quand une marque sortira un produit qui propose d’utiliser nos ondes cérébrales, le public pourra se dire qu’il a déjà entendu parler de ces potentialités, aura potentiellement déjà réfléchi à ce qu’il accepte ou non”, ajoute Pierre Fautrel.
Le trio a en ligne de mire la création de “nouveaux ateliers de la Renaissance, prendre des chercheurs, des créatifs, rassembler tout le monde et créer des projets qui posent des questions, créer une véritable gamberge entre les arts et les sciences”. L’important, ajoute l’artiste, est “d’être pionnier” dans ce genre de problématiques, d’interroger l’éthique de ces avancées technologiques plutôt que de les suivre aveuglément pour la reconnaissance ou l’argent.
Obvious prépare une exposition pour le mois d’octobre à la galerie Danysz, qui voyagera ensuite dans le monde, aux États-Unis, à Dubaï et en Corée du Sud.
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