Dans l’ombre et la lumière des deux meilleurs films de procès de l’année, Arthur Harari, l’homme de la situation

Publié le par Manon Marcillat,

Il est à l’affiche de Le Procès Goldman, l’excellent film de Cédric Kahn, actuellement en salle – quelques semaines après la sortie d’Anatomie d’une chute.

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Si Arthur Harari ne devait retenir qu’une de ses casquettes, ce serait celle de réalisateur, qu’il garderait vissée sur sa tête, ne s’estimant pas vraiment scénariste et encore moins acteur. Pourtant, c’est grâce à sa plume qu’il constitue la moitié du duo le plus talentueux du cinéma français – responsable notamment de la Palme d’or Anatomie d’une chute, qu’il a coécrit avec sa compagne Justine Triet – et grâce à sa parole éloquente et ses mots précis – devant et derrière l’écran – qu’il incarne un très grand Georges Kiejman, avocat de Pierre Goldman dans Le Procès Goldman.

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Comme réalisateur et après le pari fou d’Onoda, il va nous revenir avec un film de science-fiction, probablement porté par Léa Seydoux, dont il garde encore un peu le secret. Mais pour ne rien négliger, c’est de son tricorne qu’on a choisi de lui parler.

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Entretien.

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Konbini | Il s’avère que vous aviez beaucoup de points de convergence avec Pierre Goldman, Arieh Worthalter et le film de Cédric Kahn en général. Le Procès Goldman est un film que vous ne pouviez pas refuser ?

Arthur Harari | Effectivement, j’avais lu le livre de Pierre Goldman, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, qui était un des points de départ de mon premier film, Diamant noir, et Arieh Worthalter, qui vient d’une famille de diamantaires, avait lui aussi inspiré mon film. L’activisme de Pierre Goldman lui-même était également très proche de celui de mes parents quand ils étaient jeunes. C’était particulièrement troublant, mais même s’il n’y avait pas eu tous ces hasards, le film m’aurait intéressé, car il était passionnant à faire.

Alors que vous présentiez deux films de procès à Cannes cette année, ce qui semble être un cas de figure assez inédit, vous n’aviez pourtant jamais mis les pieds dans une salle d’audience ?

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Je n’avais pas de contact particulier avec le monde de la justice et je n’avais jamais assisté à un procès, mais comme tout le monde, ça m’intéresse. Écrire un film de procès, puis tourner un film de procès, m’a mis dedans, mais tout ça n’est pas venu d’un intérêt que j’aurais identifié par moi-même.

Justine [Triet, ndlr] est obsédée par la justice, elle a vu des procès plus jeune, elle avait déjà abordé ce sujet dans Victoria, et l’idée d’y revenir pour se concentrer de manière presque exhaustive sur un procès, c’était son intention à elle. On a conçu l’histoire d’Anatomie d’une chute ensemble mais c’est elle qui m’a amené à m’y intéresser et à rencontrer des avocats. D’ailleurs, je l’ai fait sans avoir vu de procès et j’ai fait tout ça à distance.

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Anatomie d’une chute et Le Procès Goldman ne sont pas des films de procès comme les autres, car le procès est censé être l’endroit de la vérité. Or dans ces deux films, l’importance est surtout de croire en son propre jugement et non pas de connaître la vérité à tout prix ?

Oui, la place de la parole dans ces deux films finit par créer une complexité et une opacité qui est très troublante. Dans les deux cas, elle est loin de nous rapprocher de la vérité. Au contraire, elle ne fait que créer une distance et une ambiguïté qui oblige à s’en remettre à autre chose qu’à la preuve.

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Justement, pour cela, vous mettez les spectateurs dans une position active. Anatomie d’une chute n’apporte pas immédiatement toutes les réponses et les clés aux spectateurs, elles se font souvent attendre. Le Procès Goldman brise presque le quatrième mur en faisant circuler une photo d’Arieh Worthalter durant le procès et en interrogeant les jurés, et ainsi le spectateur, sur son identité.

Effectivement, dans les deux cas, il y a une manière d’utiliser les ressources du genre du film de procès en proposant au spectateur une part très active et dans une forme en partie expérimentale. Dans le film de Justine, on voulait utiliser toutes les cartes qu’on avait pour tenter de nouvelles choses et en réinvestissant de manière incertaine des formes classiques.

Dans le film de Cédric, j’étais au cœur de la fabrication, car j’étais acteur, mais je l’ai aussi vécu comme spectateur, et j’ai eu cette sensation d’être très convoqué. C’est la position la plus forte je trouve, celle de ne pas avoir la sensation de faire un chemin qui est tout tracé pour soi mais de faire un chemin qui est en partie libre et incertain, dont on n’arrive pas complètement à expliquer tous les tenants et les aboutissants. Si j’ai l’impression de vivre la même chose que tout le monde, je suis un pion, et c’est moins intéressant.

Dans ces deux films, il y a aussi quelque chose de la foi et de l’obsession, on y répète sans relâche qu’on est innocent et on y justifie sans relâche sa vie privée. Cette obstination, on la retrouve aussi et plus que tout dans Onoda. Cette thématique vous parle particulièrement ?

La puissance destructrice et enfermante de la subjectivité, c’est quelque chose qui me fascine. J’ai effectivement pu voir un parallèle entre Anatomie d’une chute et Onoda, notamment dans l’isolement du personnage principal qui devient une forme d’énigme et ne tient qu’à son obstination qui finit par l’isoler du reste du monde. Ça pose la question de comment se positionner de l’extérieur par rapport à cette typologie de personnage.

Avec Onoda, j’ai voulu trouver un chemin pour qu’un personnage comme ça ne soit pas un pur étranger, une pure surface froide qu’on ne comprend pas. Je me suis demandé comment ce type pouvait résonner avec nous alors qu’il est culturellement, socialement, politiquement et géographiquement à l’opposé, afin de créer un chemin vers lui. Certains spectateurs et critiques ont trouvé le film très froid, sans empathie, alors que j’ai voulu proposer une forme de miroir pour qu’on puisse faire corps avec ses émotions, même si l’on n’aurait jamais agi comme lui.

Cette forme d’obstination, voire d’aveuglement, il faut en faire preuve dans le cinéma français pour arriver à faire des films de l’ambition d’Onoda ?

Oui, il y a clairement quelque chose de l’ordre de l’acte de foi. Faire un film, c’est lutter contre l’adversité, c’est croire pendant longtemps à quelque chose qui n’existe pas encore, c’est assez vertigineux.

En tant que scénariste, vous avez coécrit de magnifiques personnages féminins, très complexes, et ancrés dans le réel, parfois presque votre réel. À l’inverse, vos deux longs-métrages en tant que réalisateur portent sur des personnages masculins dans des mondes éloignés de votre réalité. Est-ce de l’ordre du hasard ou y a-t-il une question de légitimité ?

Non, ce n’est pas un hasard, c’est ce qui me semblait être la continuité de l’enfant et du spectateur que j’avais été. C’est également le résultat d’une difficulté à sortir de moi. Pour le moment, sortir de moi m’a amené uniquement à des réalités lointaines mais toujours masculines. Mais ce ne sera pas le cas de mon prochain film, que j’ai écrit avec mon frère cadet, qui sera centré sur un personnage féminin.

Mais je suis arrivé à ça parce que j’ai écrit avec Justine, notamment Anatomie d’une chute. Ç’a été fondateur pour moi, car je n’ai pas écrit les personnages masculins et elle les personnages féminins. C’était assez troublant d’être amené à ce déplacement, d’autant plus dans un film qui n’est pas le mien. Mais effectivement, on m’a souvent fait remarquer que je faisais des films très masculins, et ça m’a questionné.

Je sais que vous aimez beaucoup Wikipédia pour y trouver des histoires. C’est là que vous avez trouvé le sujet de votre prochain film ?

Non, mon prochain film sera de la pure fiction. Mais j’adore Wikipédia, j’y vais quotidiennement et je trouve que c’est la chose la plus intéressante qu’Internet ait produite. J’ai un tribut à payer à Wikipédia pour Onoda car bien que ce soit mon père qui m’ait parlé de cette histoire, ç’a été ma porte d’entrée.

C’est un des seuls endroits où l’utopie d’Internet – un accès communautaire, planétaire et démocratique à l’information – existe encore réellement. En plus, c’est gratuit, car tous ces gens font ça bénévolement. Je donne tous les mois une petite somme à Wikipédia, je trouve que c’est la moindre des choses.

Vous avez essentiellement joué des psychologues et des avocats, des professions de l’éloquence et de la parole. Quel plaisir prenez-vous à cet exercice de jeu dans le jeu ?

On m’a proposé ce genre de rôles car j’aime la parole, les mots, je peux aller très loin dans la rhétorique et dans la joute verbale. Quand il y a de la parole, je suis à mon affaire. Cédric m’avait vu jouer un psychologue dans Sibyl et s’était dit que je pourrais être intéressant pour un rôle de parole.

Il y a effectivement une dimension théâtrale dans un procès et la scène de plaidoirie était celle qui me faisait le plus peur. Le danger était que le par cœur devienne figé et j’étais obsédé par l’idée de transformer le texte en paroles. D’ailleurs, Georges Kiejman ne lisait jamais ses notes, il se lançait dans les plaidoiries sans support. Je l’ai donc pris par le prisme de la fébrilité, aussi parce que c’était le début de la carrière de Kiejman qui n’avait jamais plaidé dans un procès aussi important médiatiquement, intimement et pour sa carrière.

La direction de Cédric était très intéressante car toutes les scènes du film – et en particulier celle-là – étaient filmées à trois caméras, dans leur entièreté. On a commencé à tourner la première plaidoirie de l’avocat général jusqu’à la fin de ma plaidoirie sans couper les caméras. On était tous chargés du flux temporel, de la réalité de ce que venaient de voir les autres, de tous les mots et de toute la tension. Il y avait également un public qui était là et qui ne savait pas ce que j’allais dire. À un moment, un téléphone a sonné, on n’a pas recommencé, on a laissé tourner, on a attendu que ce soit terminé, et on l’a effacé en postproduction. Quand on le sait, on remarque que je m’arrête, que je bute sur un mot et que je reprends, mais c’est un accident qui m’a aidé à créer du vivant et du risque.

Vous avez eu votre premier choc de cinéma lors d’une rétrospective Warner Bros. quand vous aviez 10 ans. Il y a eu une nouvelle rétrospective pour les 100 ans des studios. Y avez-vous vu ou revu des films ?

Non, malheureusement, je n’ai plus le temps d’aller voir de grandes rétrospectives, et ça me manque. Mais ceux dont je me souviens tout particulièrement, ce sont les films avec Humphrey Bogart, j’en garde une image qui est très liée à l’enfance, et c’est pour cette raison que je ne cherche pas forcément à beaucoup revoir ces films.