En 2014, le fabricant allemand Arri annonçait la sortie de sa toute nouvelle caméra, l’Alexa 65, conçue pour filmer en 6k (6560 x 3102). Alors que le modèle avait initialement été pensé pour des plans très spécifiques ou des publicités, le fabricant a été surpris de l’engouement qu’il a suscité dans le milieu du cinéma.
Publicité
Si filmer en 65mm est une pratique répandue depuis plus d’un demi-siècle, l’utilisation du grand format a récemment changé. Depuis trois ans, des réalisateurs ont adopté cette technologie, d’ordinaire plutôt réservée aux films à gros budgets et aux franchises, pour filmer des films plus confidentiels. Une nouvelle génération de cinéastes utilise désormais le plan large pour ses propriétés immersives qui changent la donne dans le triptyque personnage/caméra/spectateur.
Publicité
Au-delà d’une évidente meilleure résolution de l’image, c’est le nouveau rendu de l’espace à l’image qui incite des cinéastes à innover techniquement.
Une Française en cheffe de file
Des cinéastes précurseurs ont commencé à s’emparer de la 6K en 2016. Le premier à shooter entièrement avec l’Alexa 65 est Greig Fraser pour Rogue One. En France, au même moment, Rebecca Zlotowski s’essaye à cette technologie pour Planetarium. Pour ce film, la réalisatrice et Georges Lechaptois, son directeur de la photographie, avaient envie d’aborder le plan large différemment, sans effet d’images anciennes avec du grain. La résolution 6k s’est donc avérée parfaitement adaptée à leur projet.
Publicité
Pour Greig Fraser, cette nouvelle caméra a changé les règles du jeu au cinéma et il incite vivement ses pairs à tester cette nouvelle technologie dans leurs films, afin qu’elle ne soit plus réservée uniquement aux productions à gros budget : “On ne devrait pas compartimenter notre approche cinématographique et la technologique qu’on utilise en fonction du genre du film qu’on réalise.”
Le plan large est généralement utilisé dans les films d’action, les westerns ou bien les films de guerre, les plans panoramiques ne semblant guère indiqués pour les ambiances intimistes. Mais le 65mm permet également de filmer des plans dans la profondeur sans pour autant se rapprocher du sujet, ce qui donne un rendu plus englobant et donc, paradoxalement, plus intime.
Le Joker et sa performance physique
Todd Phillips, le réalisateur de Joker, est un aficionado de la pellicule et n’envisageait pas de faire une exception pour son nouveau film en cédant aux sirènes du numérique. Mais pour Lawrence Sher, son directeur de la photographie, le plan large était plus adapté pour filmer la transformation d’Arthur Fleck en Joker. Indie Wire nous raconte d’ailleurs comment Sher a réussi à convaincre Philips d’adopter la technologie 6k.
Publicité
À ce moment-là, les quelques caméra 65mm disponibles sur le marché étaient monopolisées par Sam Mendes pour James Bond et par Christopher Nolan pour Dunkerque, des films d’action et de guerre. Logique. C’est trois mois avant le début du tournage que Lawrence Sher a décidé d’amener Todd Phillips en repérage à New York, sur les différents lieux clefs du tournage. Il raconte : “On s’est déplacé aux quatre coins de la ville pour shooter des images en 35mm et en 65mm. On les a ensuite étudiées une à une et on a adoré le rendu du 65mm.”
Car la nouvelle caméra d’Arri permet de se rapprocher du sujet tout en filmant son univers et ce qui l’entoure, sans risque de déformation ou d’effet fisheye, ce que redoutait Todd Philipps.
“On allait devoir être proches de Joaquin [Phoenix] physiquement, notamment dans les scènes dans son appartement. On a donc pensé que rapprocher la caméra de lui aurait un réel impact psychologique, permettant au spectateur de se connecter au personnage et de lui procurer un vrai sentiment d’intimité. Avec la caméra Alexa 65, on n’a plus besoin de filmer en 21mm ou en 24mm pour avoir ce rendu de proximité physique et psychologique”, raconte Lawrence Sher
Publicité
Pour Barry Jenkins, qui s’est servi du 65mm pour Si Beale Street pouvait parler, cette technologie permet également de capturer toute l’essence d’une performance physique d’un acteur, comme celle de Joaquin Phoenix, et offre un rendu quasi psychédélique pour le spectateur.
Roma et son récit intimiste d’une enfance mexicaine
Pour Roma, Alfonso Cuarón a également été convaincu par son directeur de la photographie de passer du 35mm au 65mm. Pour lui, c’était le moyen de bénéficier du meilleur compromis entre profondeur de champ et taille du cadre. “Ça rapproche l’arrière-plan tout en restant dans un plan large. En fait, ça permet d’ajouter de l’information à l’image“, a déclaré le réalisateur mexicain, séduit.
Publicité
Le 65mm lui a permis d’explorer en profondeur la relation entre l’arrière-plan et le premier plan – dans le cas de Roma, la relation entre le personnage et le monde qui l’entoure, sans mouvement de travelling. Il se dégage de tout cela une véritable sensation d’intimité avec le personnage que seul un cadre plus resserré autorisait. C’est ce sentiment de proximité avec le personnage principal qui fait d’ailleurs toute la force de Roma.
“Avec Roma, Cuarón utilise à la fois le ressort de l’intimité et du monumental pour explorer les profondeurs de la vie ordinaire“, a très justement analysé Manohla Dargis pour le New York Times.
Si vous voulez aller plus loin, on vous suggère la lecture de l’article d’Indie Wire et de ce mémoire de recherche sur la renaissance du cinéma 65mm par la caméra Alexa 65.