Sexy Dance, Street Dance, Save the Last Dance… La chanson était toujours plus ou moins la même : l’histoire d’amour impossible entre une gracieuse danseuse en tutu et un danseur de hip-hop musclé. Comme la nôtre, et plus encore, l’adolescence de Marion Barbeau a été bercée par ces films de danse ultra-formatés.
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“Je les ai tous vus, mais moi, c’était surtout ‘Danse ta vie’ que j’aimais car c’était interprété par de très bons danseurs du New York City Ballet, donc la danse était d’une qualité folle. En tant que petite ballerine, c’était un régal pour moi.”
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La petite rat d’opéra était pourtant loin de se douter que, quelques années plus tard, elle passerait de l’autre côté de l’écran pour incarner une de ces ballerines en réorientation. Car filmer de vrais danseurs dans de la fiction, c’est également le parti pris qu’a choisi Cédric Klapisch dans son quatorzième long-métrage, En corps, qui suit la renaissance artistique et amoureuse d’Élise, une danseuse étoile blessée.
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Ici, le réalisateur “dansophile” troque les studios de danse du New York City Ballet et les rues de la Grosse Pomme contre la scène du théâtre du Châtelet et la Grande Halle de la Villette à Paris. Pour incarner ce voyage, il a choisi d’offrir le rôle principal sur-mesure à Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris.
Comme son personnage à l’écran, Marion commence la danse très jeune, dans une petite école hors de la capitale. À ses côtés, une mère investie qui l’accompagne avec assiduité à ses cours et un père qui ne comprend pas grand-chose à la passion de sa fille. Mais, à la différence du père largué et (génialement) interprété par Denis Podalydès, le sien n’a jamais dénigré la danse. “Si on écoutait beaucoup de rock à la maison, la danse classique était autant valorisée que d’autres domaines artistiques”, nous confie la danseuse.
La suite pour Marion et Élise, c’est une professeure qui repère leur talent et les pousse à présenter le concours de l’école de danse de l’Opéra de Paris. “Dans le film, Élise vit très bien cette période, moi pas du tout. J’étais celle qui pleurait tous les soirs. Mais j’y ai rencontré ma meilleure amie, qui l’est toujours d’ailleurs.”
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Marion Barbeau ne fera jamais de mauvaise chute. La seule fois où elle sera forcée d’arrêter de danser, ce sera pendant le premier confinement en 2020. Dans le film, Élise se morfond, “tout ce temps passé et se dire que ça n’a servi à rien”, avant de parvenir à soigner ses maux grâce à la danse contemporaine. Cette pause imposée sera également ce qui donnera à Marion l’envie d’ouvrir ses horizons.
“J’ai adoré cette période car j’ai dansé tous les jours, mais pour moi, comme je le voulais. Depuis que j’ai commencé la danse, on m’a toujours dicté comment je devais danser et ce que je devais faire. Là, j’ai enfin pu comprendre ce que je voulais vraiment et faire mes propres choix.”
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Peu de temps après, en novembre 2020, elle prendra donc congé de l’Opéra et entamera le tournage d’En corps aux côtés d’acteurs professionnels – Muriel Robin, Pio Marmaï, François Civil et Souheila Yacoub – et des danseurs de la compagnie du chorégraphe israélien Hofesh Shechter dans leur propre rôle.
Si le réalisateur du Péril jeune est un habitué de l’Opéra – il a notamment filmé plusieurs captations de spectacles et réalisé un documentaire sur Aurélie Dupont, alors étoile –, Marion Barbeau était ouverte à toutes les propositions et même à un film où il n’aurait pas été question de danse. Une seule condition : des sensibilités en adéquation.
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“Ce que j’aime chez Cédric, c’est qu’il a un profond respect pour la danse, il ne voulait pas refaire ‘Black Swan’, avec tout le respect que j’ai pour ‘Black Swan’. Il voulait que les moments de danse soient des bijoux. On n’avait pas envie de hiérarchiser les styles de danse. Si Élise trouve la liberté par le contemporain, le classique fait partie intégrante d’elle.”
Pour l’apprentie actrice, triple dose de travail. Elle devra apprendre les nombreuses chorégraphies du film, mais aussi comprendre comment dompter l’œil d’une caméra, elle qui est habituée aux regards d’une foule de spectateurs en direct. “Quand tu danses devant une salle, tu penses à la vision totale du corps et à la globalité de tes mouvements. La caméra, ce sont des zooms. Le premier plan du film par exemple, c’est juste une main, donc j’avais toute ma concentration sur cette main.”
Surtout, Marion devra devenir Élise et composer ce personnage qui lui ressemble mais qui n’est pas elle. Les parallèles entre leurs deux trajectoires sont nombreux et elle a donc dû procéder à un travail de désidentification. “Pour ça, j’ai travaillé avec une coach. On a d’abord énuméré les adjectifs qui définissent Élise, j’ai ensuite sélectionné ceux qui s’appliquaient aussi à moi et ceux qui m’étaient étrangers. Ça m’a permis de créer une distance pour construire le personnage.”
Si c’est le jeu qu’elle a dû apprendre de toutes pièces, c’est sur la danse que Marion s’est mis le plus de pression. “C’est normal, c’est mon domaine. Puis cette fois, ça va rester figé sur une pellicule.” Et en tant qu’amateur de ballets, Cédric Klapisch a veillé au grain et son amour de la danse infuse tout son film, du rythme à la musique, du montage au cadrage.
Marion Barbeau est un électron libre et rares sont les danseurs de l’Opéra qui s’émancipent de la prestigieuse institution comme elle le fait. Et comme la première danseuse ne semble pas pressée de retrouver la scène, elle a choisi de prolonger son congé sabbatique pour un an.
Mais si, comme Élise, Marion renaît par le contemporain, la danse classique coulera toujours dans ses veines. “Si je suis plus tournée vers le contemporain en ce moment, ça ne m’a pas donné envie d’arrêter le classique. Ce projet m’a aussi permis de me dire que j’aime profondément le langage de la danse classique et que ça fera toujours partie de moi.” Pour la première fois depuis qu’elle a commencé la danse, elle ne sait pas ce que la suite lui réserve.