Elle est celle que l’on connaît sans même le savoir. Son esthétique : une masterclass permanente et spontanée de clichés à l’argentique. Ses modèles : Miley Cyrus, A$AP Rocky, PNL, Nabilla ou Justice. Les bases sont posées. Alice Moitié semble aujourd’hui la photographe française immanquable. Alors, l’imaginer s’attaquer à la mode comme elle manipule la pellicule ne semble qu’être intéressant. Autant vous dire que Konbini n’allait pas manquer l’occasion de la suivre dans son rôle de membre du jury mode du Festival de Hyères.
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Côté grand public, le Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de Hyères ne rivalise pas encore avec un Cannes, un Arles ou un Deauville. Mais c’est un fait, c’est the place to be pour tout·e fan de mode qui se respecte en ce bas monde. Depuis bientôt quarante ans, c’est dans la ville varoise la plus californienne que l’on repère les pépites, les perles rares et les futur·e·s génies de la sape. Loin d’être le haut lieu des professionnel·le·s du secteur enguirlandé·e·s du combo cordon + badge d’accès, Hyères se veut au moins aussi pointu et repartagé qu’une bonne vieille Fashion Week.
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Pour ça, les guests d’exception y sont légion. Cette année, sur la bonne dizaine de membres que compte le jury mode, les gros noms s’additionnent. Beaucoup sont des habitué·e·s du front row, comme Bilal Hassani, Daphné Bürki ou encore Sophie Fontanel, et d’autres le créent comme Charles de Vilmorin ou Hubert Barrère, le directeur artistique de Lesage. Sur cette brochette, Alice Moitié est presque la plus novice en la matière. Quoi que ?
Un festival aux airs de vacances
Myd nu comme un ver pour son album All Inclusive, c’est elle, et ses clips aussi. La cover de Civilisation d’Orelsan, toujours elle. Mais quand Alice Moitié n’est pas occupée à étendre son esthétique sur le monde de la photographie, elle n’hésite pas à sortir du rang. “Si on me propose un travail, ça veut dire que je suis en capacité de le faire. C’est un peu ma règle. Et même sans ça, je suis aussi quelqu’un de curieux. Évidemment, ici, mon rôle, c’est plutôt d’être le public. C’est important d’avoir un jury éclectique. Si on fait tous le même métier, c’est beaucoup moins excitant et sensé.” Ici, elle sera l’œil extérieur que ne peuvent être les journalistes et designers du jury. En janvier 2023 déjà, Alice Moitié faisait partie du grand jury du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Pour justifier cette place, elle parlait déjà de sa passion comme d’un argument.
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Cette fois, on met l’ambiance studieuse et les néons de la halle d’Angoulême aux oubliettes. Dans la Villa Noailles de Hyères, le jury se déplace souvent en meute et ondule dans les nombreux couloirs imaginés par Robert Mallet-Stevens. Dans le patio, on se pose à l’ombre sur des tables carrelées, et dans chacune des pièces, on peut tomber sur Camélia Jordana ou Ester Manas qui se mêlent au public. “On rigole tous, c’est vraiment la colonie de vacances. Je pense que Charles a été très intelligent en composant le groupe. Il m’avait découverte avec les photos que j’avais faites de Miley Cyrus, et puis, c’est ma personnalité qui a joué. Je crois qu’il a voulu choisir des gens qu’il aimait avant tout.”
Comme quand elle tourne le clip de “All Inclusive” infiltrée sur un bateau de croisière, Alice Moitié fonctionne à la spontanéité. Résultat, dans un restaurant trop bruyant ou dans le jardin de la villa, tous les endroits sont bons pour se mettre d’accord sur les lauréat·e·s du concours mode. “On s’est posés dans un petit salon de l’hôtel. La règle, c’était que chacun parle sans être interrompu. C’était difficile parce que je ne sais même pas faire un ourlet et il allait falloir dire à des gens dont je n’ai pas le quart des compétences qu’ils n’ont pas gagné.” Alice Moitié ne sait pas coudre une poche de pantalon – en même temps, pour quoi faire ? Est-elle pour autant moins experte ? Ce serait sans compter sur son rapport au style.
Alice Moitié, pleinement stylée
Enlever le sens de la mode à Alice Moitié serait comme lui ôter sa frange blonde : ça ne fonctionne simplement plus. Sur ses réseaux sociaux, il est devenu facile de comprendre que la photographe aime jouer avec ses looks. “J’ai toujours aimé m’amuser et m’exprimer avec mes habits. Ça pose le mood de ma journée. Et quand une tenue ne me plaît pas, ça peut vraiment la ruiner.” Elle accumule les colliers, fait de la chaussette fantaisiste la pièce centrale d’une tenue, revisite le look school girl ou tente de s’en sortir avec une gavroche sans ressembler à Ashley Tisdale en 2008. Un art de la sape qu’elle a emporté dans ses valises ce week-end.
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Pour élever la barre dans un des temples français de la mode, elle a fait ami-ami avec le label Loewe. “C’est moi qui les ai contactés parce que j’adore la marque. Et ils m’ont prêté quelques pièces pour l’occasion. Jonathan W. Anderson mêle l’élégant, l’artistique et quelque chose de joyeux, de fun. C’est un mélange de tout ce que je pourrais vouloir de la mode. Et tu n’as pas besoin d’avoir une énorme culture pour comprendre Loewe. C’est un peu comme le bon vin : ça met tout le monde d’accord.”
Pour rencontrer les finalistes dans le showroom de la Villa Noailles, c’est un jean siglé de la marque qui fait le job. Quand elle assiste au défilé, elle opte pour une robe en viscose rose et des ballerines surmontées d’une peau de mouton. Des choix audacieux qu’elle fait déjà dans son quotidien pour aller à la pharmacie. “C’est bien la preuve qu’être styliste est un métier. C’est super dur ! Je vois que je galère et je me dis : ‘OK, il faut que j’essaie des choses’. Et il faut que je les porte pour savoir ce qui me plaît. Et pas que chez moi !” Quand Alice Moitié évoque la mode, elle parle d’“évidences”, de “désidérabilité”. C’est d’ailleurs sur ces critères que les lauréat·e·s 2023, Igor Dieryck et Petra Fagerstrom, ont été choisi·e·s par le jury. Comme pour sa photo, tout est une question de feeling pour elle. Une technique qui semble lui réussir pour le moment.