C’est en travaillant sur un projet traitant du “cycle de la vie et de la mort des animaux de la ferme” que la photographe Alessandra Sanguinetti a rencontré deux cousines argentines, Guillermina Aranciaga et Belinda Stutz. “Je suis devenue amie avec Juana, qui est aussi la grand-mère de Guillermina et Belinda. Je passais beaucoup de temps avec elle, à parler des animaux et de la vie, à photographier ses poules et ses cochons. Et les filles étaient toujours dans les parages”, raconte la photographe, qui est aussi fille de fermier·ère·s, à la Fondation Henri Cartier-Bresson.
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Face aux sollicitations joueuses de Belinda et Guillermina, Alessandra Sanguinetti finit par ajouter dans son champ, aux côtés des animaux de cette ferme des environs de Buenos Aires, ces deux jeunes et nouvelles protagonistes. Nous étions en 1998 et les deux cousines avaient 9 ans. Cet été-là, l’artiste états-unienne était bien loin d’imaginer que ce projet marquerait son œuvre sur deux décennies, qu’elle photographierait les évolutions, les bouleversements et les âges de ces jeunes filles. “J’ai compris à ce moment-là que j’avais une histoire très importante à raconter, qui n’avait jamais été racontée.”
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Négligeant son projet initial et les immortalisant de moins en moins aux côtés des animaux de la ferme, Alessandra Sanguinetti a mêlé sa vie à la leur de manière très naturelle, a grandi, elle aussi, à leurs côtés. Elle se mêle à leurs jeux, à leur ennui, aux célébrations de leurs anniversaires, à leurs tumultes intérieurs, à leurs contemplations, à leurs rêves et réalités. Au fil des images, leurs jeux dessinent et annoncent de plus en plus leur avenir.
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Elle les voit donner naissance à leurs enfants après avoir tant “joué à la maman” dans les champs. Elle les voit s’amuser à recréer Ophélie, de John Everett Millais. Elle voit leurs deux corps se transformer et s’étreindre face à un ciel nuageux et sombre. Elle voit leur regard perdre l’étincelle de l’enfance et se refermer à l’âge adulte. “Dès qu’on prend du recul et qu’on regarde les années passer, on commence à discerner ce qui est de l’ordre des choix, des décisions personnelles et de ce qui nous échappe.”
Plus le temps passe, plus les photos de Guille et Belinda relèvent du portrait esseulé : une par image, elles jouent moins, se fréquentent moins, s’enferment dans une vie familiale et conjugale. Guille et Belinda se sont vues grandir à travers le regard de Sanguinetti ; Sanguinetti a grandi au contact de Guille et Belinda. Sur les murs de la Fondation Henri Cartier-Bresson qui expose sa série Les Aventures de Guille et Belinda, les images défilent “comme un roman graphique” aux côtés d’images familiales de ses deux sujets privilégiés, qui rappellent que derrière “chaque instantané se cache une vie entière”. Le projet d’Alessandra Sanguinetti dit beaucoup : sur ces vies rurales qu’on ne représente jamais, sur le temps qui passe, sur le passage universel de l’enfant à l’adulte, sur le fait de grandir à deux et en même temps, sur les liens qui nous lient, qui résistent ou qui s’effacent.
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Les Aventures de Guille et Belinda d’Alessandra Sanguinetti est exposée à la Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris, jusqu’au 19 mai 2024.