Dahomey de Mati Diop, qui s’attaque aux pillages que les colons ont perpétrés en Afrique, remporte l’Ours d’or à la Berlinale

Publié le par Konbini avec AFP,

© Les Films du Losange

Présenté à la Berlinale et primé de l’Ours d’or, le film aborde les difficiles restitutions d’œuvres et objets d’art que les colons européens ont pillés sur le continent africain.

A voir aussi sur Konbini

À Paris, le roi Ghézo n’est plus un simple numéro. Il prend vie devant la caméra de Mati Diop qui raconte le retour au Bénin de cette statue et d’autres œuvres pillées par la France pendant l’époque coloniale. Dans le documentaire Dahomey, primé de l’Ours d’or à la Berlinale placée sous la présidence de l’actrice mexico-kényane Lupita Nyong’o, la réalisatrice d’origine sénégalaise aborde l’épineuse question de la restitution des œuvres d’art volées sur le continent africain. Un mouvement amorcé ces cinq dernières années par certains pays colonisateurs, dont la France, l’Allemagne et la Belgique.

Publicité

Lors de son discours à la Berlinale, Mati Diop, trophée dans les mains, a tenu à rendre hommage au Sénégal et a affiché sa “solidarité avec la Palestine” : “En tant que Franco-Sénégalaise, cinéaste afrodescendante, j’ai choisi d’être de ceux qui refusent d’oublier, qui refusent l’amnésie comme méthode. […] Je suis solidaire des Sénégalais qui se battent pour la démocratie et la justice.”

Publicité

Pour raconter l’histoire de vingt-six œuvres pillées en 1892 par les troupes coloniales françaises au royaume du Dahomey, dans le centre-sud du Bénin actuel, composé alors de plusieurs royaumes, Mati Diop fait parler en voix off la statue anthropomorphe du roi Ghézo. Dans la langue du Bénin, le fon, il se plaint de ne plus porter de nom, seulement un numéro, “le 26”, dans les réserves du musée du quai Branly, à Paris.

Il décrit son arrachement à sa terre, sa vie en exil, puis son récent rapatriement dans un musée de Cotonou, la capitale du Bénin. Pour cette narration, “il était particulièrement important que la statue s’exprime dans une langue du Bénin et non le français, la langue du colonisateur”, souligne la réalisatrice afrodescendante née à Paris.

Publicité

“Ces trucs”

Les présidents français Emmanuel Macron et béninois Patrice Talon, à l’origine de cette restitution qui a eu lieu le 10 novembre 2021, n’apparaissent pas dans le film. Pour Mati Diop (Grand Prix à Cannes en 2019 pour Atlantique, la plus haute distinction après la Palme d’or), il ne s’agissait pas de célébrer cette initiative politique. Au contraire, la réalisatrice de 41 ans voulait souligner que le retour de ces vingt-six trésors était très peu “par rapport aux 7 000 œuvres encore captives au musée du quai Branly”.

Publicité

La deuxième partie du film se penche sur la réception de ces statues dans un pays totalement transformé depuis leur départ et qui les avait partiellement oubliées. Lors d’un débat, un étudiant béninois explique qu’il a grandi avec les dessins animés de Tom et Jerry et qu’il n’avait aucune connaissance de l’existence de ces “trucs”.Dahomey nous pousse à nous interroger sur toute l’histoire transmise depuis l’enseignement primaire, secondaire et universitaire” au Bénin, constate Gildas Adannou, étudiant de l’université d’Abomey-Calavi, auteur et réalisateur de 29 ans, dans un entretien à l’AFP. Mati Diop aimerait que son film soit “vu dans un maximum de pays africains”. “Il faut le montrer aux premiers concernés”, dit-elle à l’AFP.

“Travail de transmission”

“J’ai envie qu’il soit montré dans les universités, dans les écoles. Il y a un vrai travail de transmission à faire”, ajoute Mati Diop. À l’image de la France, l’Allemagne se penche aussi sur ses restitutions coloniales, comme l’illustre un documentaire, The Empty Grave, réalisé par l’Allemande Agnes-Lisa Wegner et la Tanzanienne Cece Mlay, présenté aussi à Berlin mais pas en compétition pour l’Ours d’or.

Publicité

Cette fois, l’histoire est montrée à travers la perspective des descendant·e·s de Songea Mbano, un leader rebelle, pendu et décapité par les Allemands avec soixante-six de ses combattants, après le soulèvement des Maji-Maji, ou Maï-Maï, dans l’actuelle Tanzanie. Le crâne de ce leader rebelle a très probablement été transporté ensuite en Allemagne dans un musée ou une collection ethnologique, comme de nombreux ossements de l’époque, en vue d’être étudié. En novembre dernier, le président allemand Frank-Walter Steinmeier a promis que Berlin tenterait de le retrouver, tout en demandant “pardon” pour les crimes coloniaux commis par son pays.