C’est une histoire de liens qui unit Andrea Moreno à son art. L’artiste vénézuélienne conte ses souvenirs du pays qui l’a vue naître, avant son exil à 17 ans, et son adolescence dans les années 2000. La Galerie du 19M Marseille célèbre son travail à travers une exposition qui court jusqu’au 26 mai 2024 et qui rassemble des artistes, designers et artisan·e·s originaires, pour la plupart, de la cité phocéenne.
Publicité
Andrea Moreno présente à cette occasion deux œuvres, Tita et La Currundinga, réalisées en collaboration avec l’Atelier Montex. Derrière chacune de ces œuvres se cachent le récit de son histoire familiale et de son enfance, les maillons soudés qui l’enchaînent à ses proches et la vie qu’elle a laissée au pays. Derrière chacune de ces structures fragiles, qu’elle définit comme des “équilibres miraculeux”, se cache sa mémoire fragmentée, composée de souvenirs vifs, délavés par le temps ou oubliés, qu’elle répare inlassablement. Rencontre.
Publicité
Konbini | Bonjour, Andrea ! Présente-nous ton travail, qu’explores-tu dans tes œuvres ?
Andrea Moreno | Mon travail parle des souvenirs d’architecture, des récits et objets domestiques qui sont liés au Vénézuela, d’où je viens et que j’ai dû quitter à 17 ans. Dans le tissage, on retrouve cette notion de réparation et mes œuvres abordent cette réparation et la résilience qui l’accompagne. Mon art célèbre les gens qui bricolent un peu et réparent des biens avec leurs moyens. Mon travail est aussi un peu humoristique !
Publicité
“Dans le tissage, on retrouve cette notion de réparation”
Peux-tu nous raconter la création de Tita, cette fragile installation en forme de hamac, exposée au sein de la Galerie du 19M Marseille ?
Publicité
J’avais fait une installation d’un rideau composé de chaînes, qui s’est cassé lors d’une précédente exposition. L’idée que j’ai eue pour la Galerie du 19M était de partir sur la réparation de ce rideau. Ces chaînes réparées forment donc aujourd’hui le hamac que je présente ici, qui s’appelle Tita. J’ai regroupé les pièces brisées de ce rideau cassé avec d’anciennes pièces que j’avais dans mon atelier et que je pouvais réutiliser.
Ces morceaux sont faits en plein de matériaux différents : il y a du grès aplati, du grès émaillé, de la porcelaine… C’est un patchwork de plein de techniques et de pièces en céramique. J’ai d’abord bossé sur un dessin avec Aska Yamashita de l’Atelier Montex, qui a proposé une nouvelle réinterprétation en ajoutant des chouchous, des scoubidous, des paillettes, des perles. C’était magique comme collaboration car elle a capté tout de suite tout ce qui se passait dans ma tête. Ces broderies viennent unir les pièces, créer des liens au sein de la structure.
Publicité
“Mon hamac est fragile, comme un souvenir brisé”
Pourquoi avoir choisi la forme d’un hamac ?
J’ai choisi le hamac car la broderie est très pratiquée dans la région d’où je viens au Vénézuela, et elle produit beaucoup de hamacs. Mon arrière-grand-mère brodait aussi, et c’est son prénom, Tita, qui donne le titre de l’œuvre. Cela rend hommage à ce lieu qui est magique, avec plein de savoir-faire. Mon œuvre a la forme illusoire d’un hamac, car en même temps, ça n’en est pas vraiment un. Mon hamac est fragile, comme un souvenir brisé, reconstruit et rempli de plein de choses différentes.
Publicité
À côté de Tita, tu présentes La Currundinga, pourrais-tu nous en parler ?
La tour, c’est la maison de mes grands-parents. Ce sont des souvenirs très précis et en volume. Les formes simplifiées correspondent à des arepas, un pain typique vénézuélien. L’ovale est la chaise en face de la table à manger. Et la sculpture noire, c’est une pièce qui est inspirée des pêcheurs locaux, avec des textures plastiques qui rappellent les crustacés, le corail. Au centre, il y a un rectangle qui renvoie à la forme des iPhone car quand j’ai perdu mon grand-père, j’avais lancé une série autour de ces smartphones parce que j’ai plein de souvenirs de sa mort dans mon téléphone. Les deux structures sont fragiles, j’appelle ça des équilibres miraculeux.
Comment as-tu pensé tes couleurs ? Ont-elles un lien avec le Vénézuela ?
J’aime les couleurs vibrantes. À Caracas, il y a une lumière très spéciale qui fait ressortir l’intensité des couleurs. J’aime les teintes festives car elles représentent bien d’où je viens aussi. Et puis, il y a des tons noirs, comme des souvenirs oubliés ou plus sombres. Il y a du pastel pour symboliser les souvenirs un peu lavés par le temps, et de l’acidulé qui montre des moments plus vifs et nets.
Tita est très grande et dynamique. Combien de temps as-tu mis à construire ce hamac avec Aska Yamashita, de l’Atelier Montex ?
Deux semaines ! Je trouve la rapidité déclencheuse. J’aime bien le côté bricolé, fait à l’arrache, ça contribue à mon processus créatif, quand les choses sortent vite. C’est risqué mais j’aime le stress qui naît de ça, il y a beaucoup d’énergie et d’aléatoire. Je n’aime pas contrôler les choses.
Tu as quitté le Vénézuela à 17 ans, et on retrouve une dimension candide propre à l’enfance et à l’adolescence dans tes œuvres.
Les années 2000, je ne les oublierai jamais. Ces années sont liées à la joie et à la fête. Je suis touchée par cette période parce que beaucoup de gens sont partis du Vénézuela juste après. J’essaie toujours de me connecter à mes origines.
Et on voit très bien la notion de filiation, avec l’hommage à ton arrière-grand-mère et ces maillons…
Les maillons forment cette union. C’est assez fou car j’ai montré cette pièce à ma famille et on m’a rapporté que mon grand-père avait chez lui un hamac, que je n’avais jamais vu car c’était il y a très longtemps, et que mon hamac était sa copie conforme. Tout le monde voyait mon œuvre comme “le hamac du grand-père” ! Comme une réminiscence inconsciente.