Alors qu’il étudie le théâtre au conservatoire de Liège, Arieh Worthalter envoie tout balader, ses études et la carrière qu’il venait tout juste d’embrasser, pour partir parcourir le monde pendant deux ans. Ses pérégrinations le mèneront jusqu’en Colombie-Britannique où il deviendra homme à tout faire dans une pourvoirie, sorte de petit paradis typiquement canadien où l’on vient pêcher, chasser ou simplement profiter de cette nature opulente.
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Dans sa cabane dans la forêt, il joue de la guitare, il lit et regarde le DVD de La Bête lumineuse envoyé par son ami Arthur Harari, un documentaire de Pierre Perrault qui suivait un groupe de citadins opérant leur retour annuel à la nature en partant chasser l’orignal, une tradition au Québec. Une semaine d’excès et d’émotions dans un shack de Maniwaki, où les amitiés faussement viriles charrient leur lot de trahisons et de réconciliations. “Pour moi, c’est le film de voyage par excellence”, nous confie Arieh Worthalter.
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“Cet isolement m’a procuré beaucoup d’apaisement et de calme puis à un moment, ça bascule dans l’autre sens et on a l’impression de ne plus tenir en place car on n’a plus de lien social.” Il faudra donc rentrer. Des années plus tard, de retour sur notre continent, il retrouvera Arthur Harari devant la caméra de Cédric Kahn pour Le Procès Goldman, un huis clos qui reconstitue le procès fiévreux de cet homme accusé d’avoir tué deux pharmaciennes fin 1969 lors d’un braquage à Paris, un rôle qui lui vaudra le César 2024 du meilleur acteur. Comme rien ne se perd et que tout se transforme, il retrouvera également les grands espaces canadiens grâce au Québécois Philippe Lesage qui l’a recruté pour son long-métrage Comme le feu, directement inspiré de La Bête lumineuse.
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Nous sommes ici dans un chalet au milieu de la forêt québécoise où les retrouvailles entre Blake, un réalisateur incarné par Arieh Worthalter, et Albert, son ami et acteur avec qui il ne travaille plus, tournent au vinaigre, entre rancœur et non-dits. Sa fille Aliocha, son fils Max et Jeff, l’ami de ce dernier, très amoureux d’Aliocha, assistent, impuissants, à la dislocation vocale et puérile de leur amitié. Dans Comme le feu, la médiocrité paternelle et l’ego masculin servent de prétexte pour raconter l’adolescence et ses tourments et le long-métrage prend tout son temps pour filmer ces longues et inquiétantes parties de chasse et de pêche ou ces dîners verbeux et arrosés, pour documenter avec beaucoup d’amertume la désillusion du regard adolescent sur des adultes, égoïstes, aigris et même menaçants.
“Blake est coupé de la réalité et des relations humaines et sa capacité à être avec l’autre s’est abîmée. C’est quelque chose que j’ai, moi aussi, expérimenté pendant les six mois que j’ai passés dans la pourvoirie de Colombie-Britannique”, explique Arieh Worthalter, mais c’est cette fois-ci bien entouré qu’il a passé ces trois mois de tournage au bord d’un lac québécois coupé du monde, où, chaque soir après le tournage, l’équipe se retrouvait autour d’un feu.
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Si les voyages en solitaire lui ont été — et lui sont toujours — nécessaires, de sa filmographie récente se dessine une appétence pour la joute verbale. Il est méconnaissable dans Le Procès Goldman, traits tirés, pommettes saillantes et rasé de près et ses bons mots sont si précis, nets et tranchants et son bouillonnement intérieur si palpable que même les yeux fermés, on vit un grand moment de cinéma. Dans Comme le feu, il anéantit une nouvelle fois ses interlocuteurs, d’abord par son charisme et son éloquence puis par son énergie toxique de mâle alpha, au cours des trois scènes de dîner autour desquelles est articulé le film, comme autant d’arènes oratoires. Derrière cette éloquence, se cachent deux hommes cassés : “Je me suis raconté que tous les deux souffraient beaucoup à l’intérieur, il y a une violence active en eux”.
Le Québec constitue la dernière étape du grand tour cinématographique de la francophonie de l’acteur pourtant polyglotte. Après avoir tourné pour Mathieu Amalric ou Patricia Mazuy, on l’a récemment vu en frère paumé aux côtés de sa compatriote belge Virginie Efira dans Rien à perdre de Delphine Deloget, mais c’est surtout sa prestation dans Girl de Lukas Dhont, où il incarnait le meilleur père du cinéma, qui nous restera en mémoire à vie. “Les manières de faire et de produire sont différentes mais il n’y en a aucune que je préfère. Mais les Québécois ont plus d’espace géographiquement donc peut-être qu’ils ont également plus d’espace dans leur créativité…”
Après avoir donné du corps et de la voix à ces personnages verbeux, quel sera le prochain exil d’Arieh Worthalter ?
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