Critique : Doctor Strange 2, le premier film d’horreur signé Marvel

Publié le par Arthur Cios,

(© Marvel Studios / Disney)

Un film d’horreur plutôt soft, mais tout de même.

A voir aussi sur Konbini

2020 venait de commencer, le mot Covid-19 n’était cité que par quelques médias scientifiques, nous étions insouciants. Du côté de Marvel, les choses s’avéraient plus compliquées. Notamment pour un certain Scott Derrickson, le cinéaste derrière le premier Doctor Strange, qui devait rempiler pour sa suite très attendue et explorer le désormais célèbre multiverse. Le 9 janvier 2020, le réalisateur américain annonce sur Twitter qu’il ne fait plus partie du projet.

Publicité

Publicité

En cause, des “différends créatifs”. Comprendre : Derrickson avait un autre film en tête. L’homme à qui l’on doit le fabuleux Sinister avait clamé haut et fort qu’il voulait faire de ce Strange le premier film d’horreur du MCU. Son départ semblait signifier une autre vision, et tout le monde a commencé à craindre pour l’ambition du bousin. Et puis, Disney a déniché un autre réalisateur pour ce projet, et pas des moindres : Sam Raimi, le monsieur derrière la trilogie horrifique de génie Evil Dead et celle de Spider-Man première du nom, avec Tobey Maguire et Kirsten Dunst.

Une bonne et une mauvaise nouvelle. Que l’on aime ou non le Marvel Cinematic Universe enclenché en 2008 avec Iron Man, force est de constater que la vision de Disney est davantage un ensemble cohérent qu’un agrégat d’œuvres artistiques marquées du fer de leurs réalisateurs. Là où DC permet à Matt Reeves ou Zack Snyder d’être plus libres artistiquement, le Marvel de Disney a plutôt une uniformité visuelle et scénaristique. La preuve avec James Gunn qui, une fois libéré de ce carcan, a pu se lâcher avec un Suicide Squad.

Publicité

Du coup, nécessairement, deux questions se posaient concernant cette suite : ce Doctor Strange in the Multiverse of Madness serait-il encore un film d’horreur ? Est-ce que Sam Raimi réussira à laisser son empreinte, n’agissant pas uniquement comme un “yes man” ? Spoiler : oui et oui. Explications.

Un Marvel qui prend des risques

Ne nous leurrons pas, il s’agit bien d’un film Marvel. Un bon blocksbuster qui transpire les fonds verts et les bastons cosmiques de personnages capés, qui contient son lot de caméos, de références plus ou moins pointues, d’exploitation de catalogue, que d’aucuns nommeront “fan service”, l’humour en moins – ce qui est bien senti, vu le ton du film. D’ailleurs, Raimi semble s’ennuyer quand les scènes n’ont pour but que de faire avancer l’artillerie de Disney. Le cadrage devient plat et le montage plan-plan (rarement des champs-contrechamps nous ont autant sauté aux yeux). Ce n’est pas ce qui l’intéresse.

Publicité

La preuve par la structure branlante. On évacue le plus vite possible les tenants et aboutissants du film, on expédie des scènes de dialogue pour passer vite à la prochaine. Ce Docteur Strange a l’odeur du film fraîchement charcuté en salle de montage. Pour ne rien spoiler, le héros est confronté à sa Némésis et à ses motivations au bout de vingt grosses minutes. Le reste est donc une pérégrination dans la folie du multiverse, où Raimi peut s’amuser à faire ce qu’il aime le plus : tenter des trucs.

Le film fourmille d’idées, de tentatives. Il se passe visuellement plus de choses en une séquence que dans certains longs entiers du MCU. La caméra bouge dans tous les sens, fait des zooms, tourne en permanence. Avec la marge de manœuvre limitée qu’il a, Sam Raimi réussit à revenir à son premier amour, à savoir l’horreur qui sent le système D mais avec le budget et la technologie pour accompagner ses folles envies. Sur l’image, de drôles de démons débarquent, des images horrifiques et morbides viennent titiller nos rétines. On a comme l’impression de voir un faux nanar à l’intérieur d’un blockbuster, et c’est rafraîchissant.

Rafraîchissant car rare. Ce n’est pas courant de voir un film du MCU sortir dès qu’il le peut des codes des productions Feige, dont semble même se moquer effrontément Raimi – incroyable que Disney ait laissé passer cette deuxième scène post-générique. On sent le malin plaisir [attention spoiler] qu’a le cinéaste à massacrer certains personnages, autant sur le plan physique que psychologique. Il est évident que les plus puristes risquent de détester le traitement des protagonistes, surtout celui de Wanda, qui s’éloigne de la “subtilité” de WandaVision pour affronter plus frontalement ce qui tourmente l’héroïne – ne vous méprenez pas, on adore WandaVision, mais avoir deux approches différentes d’un même personnage ne nous choque pas.

Publicité

Un bordel à toute vitesse

Outre la forme, c’est également sur le fond que le film est un vrai projet de Raimi. On retrouve des thèmes intimement liés aux sujets qui ont toujours été au cœur des récits du cinéaste, notamment des Evil Dead. Des personnages héroïques et torturés (Ash, mais aussi Spider-Man ou Darkman), face à des forces de sorcellerie noire (Evil Dead, Jusqu’en enfer et Oz) et qui affrontent des doubles maléfiques (Bad Ash et Good Ash dans Army of Darkness, Spider-Man et son symbiote dans Spider-Man 3). Le tout à cause de bouquins magiques (le Necronomicon), et avec des zombies (l’Army of Darkness, mais il y en a un dans Strange qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Darkman).

Bref, vous l’aurez compris : Sam Raimi imprime sa patte et il est impossible de dire que le film n’est pas de lui. Peut-être un peu trop, tant le fond et la forme entraînent la formation d’un beau bordel. Ça déborde, et c’est parfois indigeste. Mais ne préfère-t-on pas ce genre de maladresse que la mollesse d’un blockbuster lambda ?

Publicité

Surtout si tout ceci a pour but de faire peur. On parle d’un film Marvel PG-13, car évidemment que l’on ne peut pas tendre vers de l’horreur pure. Souvenez-vous des gouttes de sang effacées numériquement après la sortie de Falcon and the Winter Soldier. Ce n’est pas l’ADN de la maison que de montrer des effets trop cradingues. Ce serait faire la fine bouche de ne pas reconnaître ce qu’a réussi à imposer Raimi. Dans le premier quart d’heure, un poulpe géant se fait arracher son gros globe oculaire bien sale, que l’on voit de près tomber au sol.

En toute honnêteté, je ne pense pas que je conseillerais le film à mon petit-cousin de 10 ans, lui qui est fan du MCU. Je sais que c’est le genre de long-métrage qui m’aurait fait faire de nombreux cauchemars à son âge. Certains diront que le film n’est pas assez courageux, qu’il aurait fallu aller plus loin. D’autres qu’il n’est pas assez dans la veine du MCU. Sans doute que tout le monde a raison, si ce n’est que c’est peut-être ce qui en fait le plus intéressant depuis les derniers Avengers. De loin.