Après avoir remporté la récompense suprême au Festival de Cannes et non content de signer le meilleur démarrage pour une Palme d’or en quinze ans (avec 262 000 tickets vendus au terme de son premier week-end d’exploitation) depuis Entre les murs de Laurent Cantet en 2008, Anatomie d’une chute continue de cartonner en France (et même à l’international) et devrait atteindre le million d’entrées sur notre territoire d’ici la fin du mois.
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Face à un tel succès critique et public, la France a donc très logiquement choisi de ne pas envoyer Anatomie d’une chute à Los Angeles pour représenter nos couleurs aux Oscars 2024, lui préférant La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung, lauréat du Prix de la mise en scène à Cannes et pas encore sorti en salle, célébrant la bonne chère dans une France bourgeoise de 1885.
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Un choix qui déconcerte – même de l’autre côté de l’Atlantique – et qui joue contre son camp en sabotant les chances de la France de remporter l’Oscar du meilleur film étranger face au grand favori, The Zone of Interest, lauréat du Grand Prix au Festival de Cannes envoyé par la Grande-Bretagne (même si envoyer une Palme d’or ne veut pas dire être systématiquement retenu, comme ce fut le cas avec Titane, soumis par la France pour concourir à l’Oscar du meilleur film étranger mais qui n’avait pas été sélectionné dans la short list de l’Académie).
Mais La Passion de Dodin Bouffant a enthousiasmé les critiques US au Festival de Cannes et fait figure de publicité géante de l’art de vivre à la française à laquelle pourraient être sensibles les Américains, justifiant donc le choix de la commission. Le 21 décembre prochain, on saura si le film figure dans la short list (d’une quinzaine de films en général) annoncée par l’Académie des Oscars et dans les cinq finalistes dévoilés début janvier.
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Mais au-delà de l’aberration, qu’Anatomie d’une chute ne représente pas la France aux Oscars malgré sa Palme d’or, son succès public comme critique et toutes ses qualités interroge politiquement. Tout le monde se souvient du discours engagé et polémique de Justine Triet au Festival de Cannes, où, après les remerciements de rigueur, la réalisatrice attaquait la Macronie sur sa gestion de la crise sociale de la réforme des retraites mais aussi sur sa politique qui “casserait l’exception culturelle française”. Quelques minutes avant, en recevant son Prix de la mise en scène, Tran Anh Hung remerciait de façon conventionnelle ses acteurs, ses producteurs, sa femme et Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes.
La ministre de la Culture Rima Abdul Malak avait immédiatement réagi au discours de Justine Triet dans un tweet, se disant “estomaquée par son discours si injuste”. Quant aux félicitations du président de la République (qui les avait adressées à Julia Ducournau, dernière Française à recevoir la Palme d’or), elles se font toujours attendre.
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Justine Triet a-t-elle été punie pour son engagement par les membres de la commission en charge de sélectionner le film qui représentera la France aux Oscars, dont les sept membres – deux exportatrices (Sabine Chemaly et Tanja Meissner), deux producteurs (Patrick Wachsberger et Charles Gillibert), deux réalisateur·rice·s (Mounia Meddour et Olivier Assayas) et, depuis l’an passé, une personnalité qualifiée (le compositeur de musique Alexandre Desplat) – sont nommés par la ministre de la Culture ? Difficile de ne pas voir derrière ce choix une manipulation politique assez douteuse.
Mais rien n’est cependant perdu pour Anatomie d’une chute, puisque Neon, son distributeur américain, s’est empressé d’annoncer qu’il entrait en campagne pour faire concourir le film dans d’autres catégories, plus “prestigieuses”, soit celles du meilleur film, de la meilleure réalisation, de la meilleure actrice et du meilleur scénario original. Bien que ce ne soit pas incompatible (on se souvient du grand chelem de Parasite en 2020), ne pas attribuer l’Oscar du meilleur film étranger à Anatomie d’une chute pourrait pousser l’Académie à récompenser le film autrement.
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Il va cependant falloir que le distributeur (qui avait également distribué Parasite) mette la main au portefeuille, puisque derrière les nominations aux Oscars, il y a surtout du lobbying et des sommes démesurées dépensées par les studios pour faire aimer leur film par les votants et donc s’assurer des votes. Et cette année la concurrence sera rude. Face à Anatomie d’une chute, Barbie, Oppenheimer, Killers of the Flower Moon ou Poor Things seront certainement nommés ; face à Justine Triet, c’est Martin Scorsese, Yórgos Lánthimos, Greta Gerwig ou Christopher Nolan qui pourra l’emporter ; face à Sandra Hüller, Lily Gladstone ou Emma Stone pourra être préférée par l’Académie.
Anatomie d’une chute n’a pas encore dit son dernier mot.