Connaissez-vous Johanna Bonger ? Car c’est elle qui a rendu célèbre le peintre Vincent van Gogh

Publié le par Donnia Ghezlane-Lala,

© Bloomsbury Visual Arts ; © Vincent van Gogh/Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais/Patrice Schmidt

Elle était l’épouse de Théo, le frère du grand peintre, et sans elle, les œuvres de Vincent van Gogh n’auraient jamais autant traversé le temps et connu le succès.

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Si Vincent van Gogh et le génie de ses tableaux, méprisés de son vivant, ont pu être reconnus après sa mort, c’est grâce à l’épouse de son frère Théo, Johanna Bonger. Si Théo van Gogh, galeriste et collectionneur, s’est acharné à faire connaître l’œuvre de son frère, il n’a malheureusement réussi qu’à vendre deux toiles du grand maître néerlandais. Théo est mort six mois après son frère, emporté par la syphilis, par la “tristesse et le surmenage”. C’est donc le travail de sa femme, Johanna van Gogh-Bonger, mère veuve à seulement 27 ans, témoin éternelle de la relation forte entre les deux frères et héritière de leur collection d’art, qui a payé.

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La jeune femme, qui n’a rencontré que deux fois Vincent van Gogh au cours de sa vie, lui a pourtant dédié son existence. Leur première rencontre a eu lieu pour la première fois à Paris, deux ans avant la mort du peintre, mais ce dernier a rapidement déserté la capitale pour Auvers-sur-Oise car le fracas urbain ne lui correspondait pas. Il n’y aura d’ailleurs rencontré que très peu de professionnel·le·s et pair·e·s pour pouvoir se faire un nom dans le monde de l’art. À cette époque, Johanna Bonger trouve qu’il a bonne mine, et selon elle, l’autoportrait qu’il avait fait derrière son chevalet était le plus représentatif de son apparence. Lors de la seconde rencontre, cette fois-ci à Auvers-sur-Oise, Théo et Johanna venaient d’avoir leur bébé. Attendri, l’artiste a présenté à l’enfant les animaux des alentours. C’était un souvenir bien agréable, juste avant sa mort, et il s’est excusé de ne pas être en si bonne santé pour les voir plus souvent.

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Le documentaire Van Gogh, deux mois et une éternité, réalisé par Anne Richard et disponible sur Arte, ainsi qu’un ouvrage publié aux éditions Bloomsbury, reviennent sur le rôle qu’a joué Johanna Bonger (qu’on appelait “Jo”) dans le succès du grand peintre néerlandais. Tout commence à la mort de son mari Théo, avec qui elle a partagé une union de dix-huit mois. Jo Bonger se retrouve avec toutes les œuvres que Vincent van Gogh a léguées à son frère ainsi que les offrandes qu’il a faites au couple de son vivant et que Théo peinait à vendre. La jeune veuve, seule avec son enfant, décide de quitter Paris pour rentrer aux Pays-Bas, avec ces 200 toiles. Elle le sait : ces œuvres sont le fruit d’un génie qu’il faut faire reconnaître et chacune mérite d’être exposée dans de grands musées.

Couverture de l’ouvrage “Jo van Gogh-Bonger: The Woman Who Made Vincent Famous”, de Hans Luijten, aux éditions Bloomsbury.

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Une mission à remplir

À sa mort, son mari lui a donné une mission : celle de faire vivre l’œuvre de son frère Vincent, de “la montrer et la faire apprécier au plus grand nombre”, un défi avorté, qu’il n’a pas réussi à relever avant sa disparition. Jo Bonger a deux problèmes à surmonter : le premier est le stockage des œuvres, car elle n’a pas l’espace nécessaire, et le second, le temps, car elle doit travailler pour subvenir aux besoins de son enfant. Pour trouver des solutions à ces deux problèmes, elle tient une pension de famille, de quoi la renflouer mais aussi lui permettre de profiter de l’espace pour exposer les œuvres de son beau-frère.

Elle honore ainsi la promesse qu’elle a faite à son mari : célébrer la mémoire de Vincent van Gogh, à tout prix. Pensionnaires, voisin·e·s et passant·e·s se rendent dans cette maison d’hôtes par curiosité. La plupart font la grimace, trouvent qu’il s’agit d’une “patte vulgaire” ou que les couleurs sont “trop criardes”, affichent leur mépris pour les tableaux du grand maître, qui ne suivait pas les modes et les conventions. Johanna Bonger, elle, voit de la beauté : elle sollicite alors les intellectuel·le·s de son quartier, elle leur apporte les toiles à domicile pour les exposer, s’acharne : “Je ne serai jamais en repos tant qu’ils n’apprécieront pas les œuvres de Vincent van Gogh”, écrit-elle.

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Elle subit également le sexisme et le classisme des hommes qui méprisent son savoir, son œil critique, son recul sur les œuvres de son beau-frère. Si Théo lui a transmis une partie de son savoir, Johanna Bonger doit tout apprendre et réapprendre en autodidacte pour gagner en crédibilité dans ce milieu élitiste. Un jour, elle a une révélation : pour saisir tout le génie de Vincent van Gogh, il faut connaître les tumultes de son esprit, ses lettres, ses rêves. Sans ça, le public ne verra que des croûtes. Elle adopte une autre approche pour faire reconnaître les tableaux : elle fait circuler les lettres du peintre dans des cercles de critiques d’art. Cette stratégie est un succès : elle reçoit des demandes de prêts d’œuvres et les tableaux de Vincent van Gogh peuvent commencer à circuler en dehors de sa pension.

Vincent van Gogh, Nature morte : Vase avec quatorze tournesols, Arles, 1888. (© National Gallery, Londres)

Une lueur d’espoir derrière les Tournesols

Malheureusement, les toiles sont mal exposées, avec peu d’informations sur elles et sur le peintre, hormis ce crédit inscrit sur leur cartel : “Feu Vincent Van Gogh”. Le temps passe et voilà déjà deux ans que Théo et Vincent sont partis, que Johanna Bonger tient cet héritage à bout de bras et tente douloureusement d’achever sa mission. Subitement, le vent tourne : les lettres mises en circulation auraient-elles fonctionné ? Grâce au critique d’art et peintre Jan Veth, elle peut enfin organiser une première exposition solo d’envergure sur Vincent van Gogh, aux Pays-Bas.

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Les avis sont mitigés ; certains critiquent le fait qu’on expose “un malade mental”, ce à quoi Jan Veth répond qu’il s’agit plutôt d’un “martyr ayant sacrifié sa vie au nom de l’art”. Comme toute femme méritante de l’époque, son nom est invisibilisé et seul Jan Veth est acclamé. Tant pis, elle poursuit sa mission et se met à chercher un biographe pour figer la vie de Vincent van Gogh ; son choix s’arrête sur le “copain Bernard”. Enfin, à la lumière de cette biographie, les toiles de Vincent van Gogh sont appréciées à leur juste valeur : on commence à parler d’un artiste en avance sur son temps, et ses couleurs plaisent. Le pari de Johanna Bonger est réussi. Elle se fait un nom et devient la représentante officielle des œuvres de l’artiste.

Finaude, elle indique les prix derrière les toiles et décoche les œuvres qui ne sont pas à vendre, comme ces deux versions des Tournesols qu’elle voudra conserver jusqu’à la fin de sa vie. En véritable femme d’affaires, elle fait monter la cote de Vincent van Gogh. Elle se met à écrire pour une revue féministe et finira par organiser, en autonomie totale, la plus grande rétrospective consacrée à Vincent van Gogh jusqu’à ce jour. 450 œuvres, dont 200 tableaux, 200 dessins et des extraits inédits de la correspondance entre les deux frères, sont exposées. Son dernier grand projet est l’écriture d’un livre, qu’elle édite à partir de ces fameuses correspondances. Peu après, Vincent van Gogh entre dans les plus grandes collections européennes, comme elle le rêvait. Entre-temps, elle se remarie, mais Théo et Vincent continuent de faire partie de sa vie.

Avant sa mort, elle fait exhumer le corps de Théo, enterré dans un cimetière néerlandais, pour le faire reposer aux côtés de son frère, à Auvers-sur-Oise. Atteinte de la maladie de Parkinson, elle décède à 62 ans, en 1925, avec pour seul héritier son fils (né de son union avec Théo), qui porte le prénom de Vincent, et ses quatre petits-enfants. Ses héritier·ère·s décident d’ouvrir une fondation ainsi qu’un musée, plus tard, en 1973, à Amsterdam, où leur collection est transférée.

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Vincent van Gogh, Racines d’arbres, 1890, Auvers-sur-Oise. (© Musée Van Gogh, Amsterdam/Fondation Vincent van Gogh)

Si vous voulez voir les dernières œuvres de Vincent van Gogh en vrai, rendez-vous au musée d’Orsay jusqu’au 4 février 2024. Et si vous voulez en savoir plus sur Johanna Bonger, lisez cet ouvrage aux éditions Bloomsbury.