Confiance, distance et dignité : comment photographier l’euthanasie ?

Publié le par Konbini avec AFP,

© Simon Wohlfahrt/AFP

"C’était un moment extrêmement fort. Et je pense que d’avoir été là, c’est sûr que ça ne laisse pas indemne."

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Simon Wohlfahrt, photographe de l’AFP à Bruxelles, a été en contact pendant presque un an avec Lydie Imhoff, une Française qui demandait l’euthanasie, avant de capturer en images, avec le vidéaste Dimitri Korczak, ses derniers moments en Belgique.

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Légale tout en étant très encadrée depuis 2002, l’aide active à mourir y est entrée dans les mœurs, contrairement à la France, où le débat est vif avant l’examen d’un projet de loi prévu avant l’été. Dans ce “Making Of”, les journalistes de l’AFP racontent la relation qu’ils ont nouée avec Lydie Imhoff, les conditions dans lesquelles elle a accepté leur présence, et les difficultés qu’ils ont rencontrées face à ce sujet aussi grave que polémique.

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Premier contact

Au départ, c’est un médecin généraliste bruxellois qui s’occupe beaucoup de patient·e·s français·es venant en Belgique pour bénéficier d’une aide active à mourir, le Dr Yves de Locht, qui met en contact l’AFP avec Lydie Imhoff, raconte Simon Wohlfahrt. Originaire de Besançon, cette femme de 43 ans, hémiplégique de naissance, était aussi malvoyante et souffrait de la maladie de Crohn. Elle perdait progressivement l’usage de ses membres suite à un grave accident de handi-cheval, qui avait été sa passion.

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L’équipe de l’AFP la rencontre pour la première fois en mars 2023, lorsqu’elle vient consulter un psychiatre bruxellois, afin d’obtenir le feu vert pour entamer la procédure. Lors de ce premier échange, les journalistes constatent immédiatement l’effet “libérateur” pour elle de la réponse positive du médecin et entrevoient déjà sa détermination et son humour – noir, le plus souvent.

Claudette Pierret, militante pour le droit à la mort, pose pour une photo chez elle à Longwy, dans le nord de la France, le 31 janvier 2024. (© Simon Wohlfahrt/AFP)

Pendant les dix mois qui séparent ce feu vert théorique de l’euthanasie elle-même, le 1er février dernier, Simon Wohlfahrt échange avec elle de nombreux coups de fil et textos, et commence à prendre la mesure de la personnalité à laquelle il a affaire. “Elle m’envoyait régulièrement des blagues par messages, des mèmes, elle était vraiment portée sur l’humour”, raconte le photographe.

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“Une fois, elle m’envoie une photo de son lapin avec des herbes de Provence dessus, en mode : ‘Cette fois-ci, il va finir en civet.’ […] Elle se moquait de nous aussi tout le temps, pour elle, on était ses paparazzi…” Qu’est-ce qui l’a poussée à exposer ses derniers jours devant leurs caméras ? “Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait partir à l’étranger. […] Je pense qu’il y avait vraiment une critique de cet aspect”, avance le photographe.

“Est-ce que l’on reste dans la chambre au moment de l’injection ?”

Tout au long de ces échanges, les deux journalistes ont le temps de s’interroger sur ce qu’ils pourront montrer, ou pas, de ses derniers moments. Il était clair que Lydie serait “en total contrôle de son image”, et pourrait demander à tout moment d’arrêter le reportage, dit Simon Wohlfahrt. “La base de tout ce reportage, c’était vraiment une relation de confiance.”

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Un médecin tient une seringue remplie de thiopental, un barbiturique utilisé dans la pratique de l’euthanasie, dans un hôpital en Belgique, le 1er février 2024. En 2022, 2 966 personnes ont été euthanasiées en Belgique, selon la commission fédérale de surveillance. Sur ce total, 53 résidaient en France. (© Simon Wohlfahrt/AFP)

“Un des points centraux évidemment, c’était : est-ce que l’on reste dans la chambre au moment de l’injection ? Et là, c’était tout à fait clair pour Lydie qu’elle ne voulait pas qu’on soit présent et qu’on la photographie à ce moment-là. Voilà, c’est sa dignité, c’est son choix […]. On a juste respecté sa volonté et en fait, tout au long du reportage, ça s’est fait un peu comme ça : il y avait des moments qu’elle voulait garder pour elle.”

Même si elle blaguait beaucoup, “la souffrance était tellement à l’intérieur d’elle-même qu’elle ne voulait pas forcément la partager avec nous”, dit Dimitri Korczak. “Ce qui a rendu le chemin qu’on a parcouru avec elle encore plus touchant, puisqu’elle nous a offert cette opportunité de l’accompagner sans nous donner le plus dur. Le plus dur, elle l’a gardé pour elle.”

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Sujet clivant

Mais malgré la confiance établie avec les journalistes, l’euthanasie reste un sujet polémique, ce qui a compliqué le reportage. “C’est tellement controversé que des gens ne voulaient pas apparaître à la caméra, pour ne pas être associés à ce sujet”, dit Simon Wohlfahrt. “On a eu des aides-soignants qui s’occupaient de Lydie qui ne voulaient pas apparaître. […] Il a fallu discuter avec les gens, les rassurer. Certaines personnes ont accepté, d’autres non.”

Même l’hôpital belge où s’est déroulée la procédure ne voulait pas être identifié, de peur de voir de nombreux·ses Français·es les appeler pour se renseigner sur la procédure d’euthanasie. Dans ce contexte “clivant”, les deux journalistes se voulaient avant tout des témoins, des “observateurs” gardant toujours une certaine distance avec Lydie.

“Malgré l’attachement que j’ai pu avoir, tous les moments qu’on a eus, où on a rigolé, où on était hors-champ […], on avait quand même cet objectif journalistique de ramener quelque chose qui collait le plus à la réalité”, dit Dimitri Korczak. “On a simplement raconté l’histoire d’une personne, parmi des dizaines de Français chaque année qui viennent en Belgique pour bénéficier de cette procédure”, poursuit-il. “On a essayé de la montrer avec le plus de dignité possible, le plus de respect possible, sans être voyeurs.”

Se réfugier dans la caméra

Face aux émotions que suscite un sujet aussi lourd, “sur le moment, on se réfugie un peu dans la caméra, dans le travail”, dit Simon Wohlfahrt. Mais une fois qu’ils sont rentrés chez eux et visionnent leurs images, l’armure tombe. “C’était un moment extrêmement fort. Et je pense que d’avoir été là, c’est sûr que ça ne laisse pas indemne”, dit le photographe.

Dimitri Korczak dit avoir été “bouleversé” pendant plusieurs jours. “Ça m’est arrivé de juste regarder les images pour la revoir”, revoir son regard “très doux”, qui “nous traversait d’une certaine manière”. Le reportage terminé et diffusé, ils espèrent avoir rendu un bel hommage à une “femme exceptionnelle” et avoir réussi à transmettre “un peu de cette émotion” qui les a eux-mêmes ébranlés, dit Simon Wohlfahrt.

Propos recueillis par Michaëla Cancela-Kieffer à Bruxelles, édités par Catherine Triomphe à Paris.