“Mélissa purée, lève-toi et viens danser !” Cette phrase, je l’entends environ quinze fois par soirée, à mon plus grand désarroi. Non pas que je n’aime pas cela ; en réalité, je me débrouille plutôt bien avec un ou une partenaire. Confiez-moi un +1 et, en toute subjectivité, je m’inscris à Danse avec les stars quand vous voulez.
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Mais toute seule, c’est mort de chez mort. Je suis aussi raide que la frange de Clara Luciani (coucou, Clara), incapable de bouger le bassin, voire juste les épaules. Au mieux, il se passe quelque chose au niveau de la tête, comme un métronome ou, à l’ancienne, les petites figurines de chien qui bougent la caboche dans les voitures ; au pire, ça part sur une danse de daronne blanche dans une salle des fêtes qui fait de grands gestes avec ses bras comme pour engloutir on ne sait quoi. Mais en bon ascendant Scorpion que je suis, j’aime les défis. Et quand j’ai vu que Calvin Harris faisait son unique date en France dans les Ardennes, je me suis dit go, repoussons donc un peu les limites de ma maladive timidité.
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Direction le Cabaret Vert, aussi appelé “Le Cab” par les amateurs du festival écolo, qui a lieu chaque année à Charleville-Mézières, pas si loin de la frontière belge. J’en vois déjà certains lever les sourcils derrière leur écran, mais pour votre gouverne, l’événement a toujours eu son lot de têtes d’affiche (inter)nationales. Juste cette année ? Zola, The Chemical Brothers, les Black Eyed Peas, et Calvin Harris, donc. Comme le boug ne joue qu’à partir de 23 h 30, j’ai le temps de m’échauffer. Je passe voir dans l’ordre Aime Simone, Damso, puis Hamza (en parlant de grosses têtes d’affiche, preuve que je n’avais pas menti). Le morceau “Mwaka Moon” me reste en tête, “911” me décoince quelque peu, je tape vite fait du pied en toute discrétion, mais ce n’est pas encore tout à fait ça, et avec “Free YSL”, ça se passe déjà un peu mieux, mais pas (encore) envie de rejoindre un pogo peuplé d’hommes manifestement pompettes et à moitié dénudés, ça va aller.
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Pudeur et bling-bling
Puis arrive le fameux moment du début du set du DJ, bien planqué derrière son matériel. Si vous ne savez pas trop à quoi ressemble le blondinet bientôt quarantenaire, la soirée ne vous aurait pas aidés. Ici, oubliez les grands écrans avec un visage bien zoomé, ils ne servent qu’à prolonger le décor et les effets. La star, c’est la table de mixage et rien d’autre. Une forme de pudeur en quelque sorte, dans laquelle je me reconnais bien volontiers, même si pudeur peut paradoxalement aussi rimer avec bling-bling.
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Et en ce sens, le show est généreux en effets ! Des flammes ici, de la fumée par là, des lumières partout, quasi tout le temps. Le front row sur les premiers sons m’éblouit et est clairement la cause de mes yeux rouges à l’heure de l’écriture de ces mots – mais purée, ça valait le coup. Le truc, c’est que si je suis dans l’ambiance, je ne danse toujours pas. Je regarde à droite, à gauche. Personne ne me cala, je pourrais me lâcher, mais je n’y arrive pas. Les gens sont comme moi, admiratifs, la bouche grande ouverte, dévorant chaque effet spécial, mais ne brillent pas par leur choré. Je décide donc d’affronter ma plus grande phobie et de prendre du recul – littéralement – afin de mieux me confondre avec le centre de la foule, qui a l’air de beaucoup plus kiffer sans être figée par le visuel de la scène – et pour cause, ils ne voient pas grand-chose.
Dua qui ?
Je m’y glisse, non sans forcer, et c’est… spécial. Ça sent un peu la bière, un peu la transpi, mais surtout la bière et surtout la transpi. Les effluves de festoche, quoi. Avec l’odeur de la bouse de vache en prime, car on est en pleine nature dans les Ardennes je vous rappelle. Au gré des tracks, je ne m’en sors pas trop mal, et je tape mon plus gênant mouvement d’épaules sur “One Kiss” de Dua Lipa, aka la chanson préférée des cabines d’essayage de la fast fashion, reproduisant sans même m’en rendre compte la fameuse choré virale que la chanteuse avait réalisée à Lollapalooza il y a quelques années. Je vous la glisse ici, si jamais ; c’est important, la culture générale.
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Bref, c’est timide, mais ça arrive. J’enchaîne les danses, esquivant ceux qui penseraient qu’il s’agit là d’une invitation – pitié. Sauf que… non. Quelque chose cloche, encore et toujours. Les titres s’enchaînent, mais je n’arrive pas trop à m’amuser. J’ai tout donné, mes joues sont rougies par l’effort et la sudation. Je pourrais partir, la tête haute. Ben oui, en soi, j’ai réussi à offrir quelques mouvements bancals à une foule d’inconnus, le défi est relevé. J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Bref, j’ai à la fois 5 et 70 piges. Mais j’ai envie d’encore profiter du show. Alors je me retire là où je sais que je serai la meilleure danseuse : dans un petit coin en hauteur, réservé à la presse et aux partenaires. Moyenne d’âge ? 60 balais. Des gens bien habillés, qui prononcent probablement “Damsou” ou “Calvain Ari” et qui se servent en petits fours au pesto et en flûtes de champagne à volonté. On fixe parfois un peu trop mes tatouages et mes bras levés dès que résonne “This Is What You Came For” de Rihanna, mais qu’importe, j’ai affronté bien pire quelques lignes plus haut. Ici, je suis bien, et je laisse mon corps s’émanciper. Être la plus extravertie des introvertis est peut-être ma destinée, après tout. Alors, à quoi bon lutter ?