Connue pour ses incursions dans les genres cinématographiques les plus variés, des grosses franchises aux sagas pour enfants, en passant par des drames et comédies, l’ambitieuse Tilda Swinton est capable de tout. Une constante la définit cependant, son goût audacieux et sans limites pour tout ce qui est étrange.
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Son physique androgyne et sa plastique malléable à merci, sur lesquels les cinéastes ont projeté un spectre de personnages infini, sont peut-être la recette de l’intemporalité de l’actrice qui vient de souffler ses 60 bougies. Sa présence libre, gracieuse et parfois inquiétante a irradié les productions des meilleurs réalisateurs contemporains, de Fincher à Bong Joon-ho, en passant par Almodovar, les frères Coen ou Danny Boyle. Celle qui peut aussi se targuer d’être la muse des non moindres Jim Jarmusch, Wes Anderson et Luca Guadagnino a d’ailleurs reçu, en guise de cadeau d’anniversaire, le prix d’honneur pour l’ensemble de sa carrière à la Mostra de Venise 2020.
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Pour s’accorder sur ses plus grands rôles, il faudrait d’abord comprendre le phénomène Tilda Swinton, mais comment saisir l’insaisissable ? Si on ne peut trouver le code pour déchiffrer cette carrière atypique, on a choisi de sélectionner cinq rôles qui illustrent au mieux la pluralité du talent brut de ce véritable caméléon du cinéma. Sorcière cruelle, ministre tyrannique, vampire amoureuse, mère dévastée et danseuse possédée : bienvenue dans l’univers singulier de Tilda Swinton.
Le Monde de Narnia, d’Andrew Adamson
Tilda Swinton accompagne notre cinéphilie depuis 2005. Encore trop jeunes pour apprécier la puissance d’un Vanilla Sky ou la poésie d’un Broken Flowers sorti trois ans auparavant, c’est sous les traits de la Sorcière blanche, affublée de dreadlocks blondes et démunie de sourcils, que l’on fit la connaissance de l’actrice.
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Dans cet univers féerique peuplé d’animaux étranges et autres créatures mythologiques, Tilda Swinton est aussi belle qu’inquiétante, tentant de dissimuler sa cruauté pour attirer dans ses filets la joyeuse fratrie Pevensie. Dans Le Monde de Narnia, l’actrice a assis son appétence toute particulière pour les rôles de femmes de pouvoir, grâce à son interprétation de sorcière toute-puissante. Elle est ainsi devenue l’une des rares actrices emblématiques d’un cinéma indépendant exigeant, dont le visage est également connu de toute la jeune génération.
Snowpiercer, le Transperceneige, de Bong Joon-ho
De flair, la déroutante Tilda Swinton n’en manque pas. Adoratrice du cinéma de Bong Joon-ho, elle a profité de la première incursion hollywoodienne du cinéaste pour s’embarquer dans cette aventure, alors même qu’elle souhaitait mettre sa carrière en pause. En prenant part au casting de cet ambitieux film de science-fiction à huis clos, elle a tenu l’une de ses performances les plus mémorables.
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Pour Snowpiercer, l’actrice a fait évoluer le rôle de l’intransigeante ministre Mason, décrit dans le script original comme un “homme affable en costume”, en celui d’une dictatoriale dame de fer de la nouvelle ère glaciaire, à grand renfort de prothèses en silicone, fausses dents et lunettes rétro. Leadeuse des gardes armés, affublée d’une diction à couper au couteau et vociférant de stridents “Know your place“, elle est chargée de conduire des enfants désormais orphelins vers un destin inconnu en tête de train. Un conglomérat clownesque des pires despotes contemporains dans un seul et même corps, pourtant bien frêle.
Only Lovers Left Alive, de Jim Jarmusch
Parmi les nombreuses métamorphoses de Tilda Swinton, c’est le costume de vampire qui lui semble être taillé sur mesure. Peau diaphane et visage anguleux, elle s’est récemment amusée de son physique vampirique dans un caméo pour la série What We Do in the Shadow, adaptée de l’excellent Vampires en toute intimité de Jemaine Clement et Taika Waititi. C’est un hommage à son rôle de vampire nonchalante et distinguée dans l’hypnotique Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch.
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Elle y campait Eve, une vampire amoureuse installée à Tanger et inquiète pour son mari aux tendances suicidaires qui vit de l’autre côté de la planète, dans un Détroit postapocalyptique. Elle a un visage fait pour ce rôle de vampire optimiste, qui veut croire en la nature humaine et qui irradie ce récit gothique et romantique de sa présence apaisante, toujours folle amoureuse de son misanthrope de mari, quant à lui lassé de la cupidité des hommes qu’il surnomme les zombies. L’actrice a d’ailleurs récemment ressuscité la figure immortelle du zombie dans The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch (décidément abonné aux titres bien poétiques).
We Need To Talk About Kevin, de Lynne Ramsay
En 2011, le terrifiant film de Lynne Ramsay avait eu l’effet d’un coup de scalpel. Puissant par sa réalisation, dérangeant par son sujet et mémorable par la performance de Tilda Swinton, il autopsiait une relation malsaine entre une mère dépassée et un fils possédé, la révélation Ezra Miller.
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Les deux partageaient ce même physique froid et tranchant. L’actrice, teinte en brune, qui se murait derrière un visage à la fois hautain et désemparé, nous a fait osciller entre la détestation de cette mère indigne qui n’a pas su aimer son fils et la compassion pour la première victime de ce monstre aux élans sociopathes. Car en décimant sa classe, son père et sa sœur cadette à coups de flèches, mais en laissant la vie sauve à cette mère qu’il exècre, Kevin la punit de la pire des manières. Et à l’écriture de ces quelques lignes, notre estomac se noue une nouvelle fois en souvenir de ces deux rôles criants de vérité.
Suspiria, de Luca Guadagnino
Quand l’annonce du remake de Suspiria est tombée, tout le monde a pris peur. Revisiter ce film culte de Dario Argento semblait être la pire des idées. L’actrice principale, Dakota Johnson, jusque-là surtout connue pour la série de films 50 Shades of Grey, et son réalisateur, Luca Guadagnino, qui venait de signer le romantique Call Me By Your Name, ne collaient pas vraiment à l’esthétique angoissante du giallo à l’italienne, mais c’est Tilda Swinton qui a mis tout le monde d’accord.
Une fois de plus, impossible de ne pas saluer sa performance en professeure de danse tyrannique dans un institut de sorcière, glaçante, glaciale, livide et donc parfaite. Si Madame Blanc n’est pas au centre du récit, c’est elle — et les nombreuses transformations physiques difficilement regardables — qui nous traumatise. À noter que c’est aussi elle qui incarne, à grand renfort de maquillage et de prothèses, le vieux psy, Jozef Klemperer.
Article écrit en novembre 2022, mis à jour en novembre 2024