En 1990, alors que vous résidez à New York, vous décidez de rejoindre Act Up. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
Publicité
La découverte de ma séropositivité, en 1985. J’étais en collocation avec une amie, à Paris. Elle m’a dit que j’avais reçu une lettre suite au test de dépistage. Je lui ai demandé de l’ouvrir et j’ai su. Au départ, pour moi, c’était dans l’ordre des choses : je suis gay, il n’y avait pas vraiment de prévention, on n’avait pas trop accès aux capotes. C’est quand j’ai vu d’autres personnes tomber malade et mourir que je me suis dit qu’on nous cachait des choses.
Publicité
Quels étaient alors les traitements proposés ? Et, psychologiquement, comment êtes-vous parvenu à surmonter cette période pleine de peur et d’incertitude ?
Aux prémices de l’épidémie, les traitements étaient très lourds, contraignants et inefficaces. J’en ai testé plein. Il fallait se lever plusieurs fois la nuit… Je n’avais plus de travail à cause de la maladie. L’impression de ne pas avoir d’autre choix que de militer m’a assailli. Militer, c’est voir en face de vous des gens qui sont certes malades mais pas dans l’impuissance, dans l’inactivité, dans l’abattement ou dans une constante position de victimes… La vraie image, c’est celle du malade debout et vivant.
Publicité
Revenons à New York…
Oui… Il faut aussi savoir que mes deux meilleurs amis sont morts du sida. J’ai réalisé à ce moment que je pouvais être le prochain sur la liste. C’est justement ce qui m’a poussé à rallier New York. Je voulais vivre à fond tout en m’engageant, en parallèle, pour la lutte contre la maladie. J’ai d’abord rejoint l’association GMHC, un équivalent d’AIDE, qui travaillait plus au soutien qu’à la prévention, avant de me diriger vers Act Up sur les conseils d’un ami. J’aspirais, encore une fois, à quelque chose de plus militant.
Qu’avez-vous découvert de l’autre côté de l’Atlantique ?
Publicité
Un groupe extrêmement fort, diversifié, mêlant vieilles militantes lesbiennes, gays et autres minorités – noire, latino, asiatique. Il y avait une vraie énergie et une théâtralité propre à la ville de New York. L’association était très construite. Les gens se montraient rapides, énergiques. L’idée, c’était de devenir experts dans l’information. Il fallait que nous, les malades, nous documentions pour comprendre ce qui nous arrivait. Il n’y avait pas Facebook, Twitter et la puissance d’Internet pour cela. On notait tout, pour qu’il reste une trace. On dévorait ce qui nous tombait sous la main pour en apprendre le maximum.
En 1991, dès votre retour en France, vous tapez à la porte d’Act Up Paris. Quel a été votre premier ressenti ?
Il n’y avait pas la même énergie entre les deux villes. L’ambiance n’était pas terrible, ça m’a un peu refroidi au départ. À New York, nous étions entre 400 et 500 militants tandis qu’à ses débuts, l’antenne parisienne n’en comptait qu’une quarantaine. Les choses ont changé par la suite. Je me souviens, nous arrivions à 19 heures. Il y avait l’accueil des nouveaux, ceux qui venaient avec leurs bagages, leurs envies, leur motivation. Ils connaissaient tous Act Up et savaient pourquoi ils s’engageaient. Pour montrer la maladie. Pour informer les gens. Très vite, le groupe a pris plus d’importance grâce à ses actions, ses interventions, ce qui m’a, in fine, ramené au côté collectif et communautaire new-yorkais. J’ajoute également que l’association a permis de canaliser la colère qui habitait ses nouveaux arrivants.
Publicité
Comment perceviez-vous la presse. Comme un allié ou un ennemi ?
Ce qui est sûr, c’est qu’on avait besoin d’elle, notamment à une époque où l’image prenait de plus en plus d’importance. Raison pour laquelle nous réalisions des opérations coup de poing, spectaculaires, des actions très visuelles. On utilisait les sifflets pendant les manifestations pour attirer l’œil et l’attention. Beaucoup de journalistes ne comprenaient pas ce qu’on faisait. [Réflexion] Je crois que pour nous, ils étaient soit des alliés soit un outil. On savait en tout cas qu’il fallait leur donner ce qu’ils voulaient, mais comme nous le voulions. Vous voyez ?
Qui finançait l’organisation ?
Publicité
Nous faisions, à l’origine, des quêtes. Nous vendions aussi des T-shirts, des ventes aux enchères avaient lieu puis il y a eu le premier Sidaction, en 1994. Nous avons ainsi pu obtenir quelques financements. Il est parfois arrivé que certaines personnalités fassent des dons, comme Alain Chabat. Il avait participé à une émission pour laquelle il avait été payé et nous a reversé son cachet. C’était autour de 30 000 francs, ce qui n’était pas rien !
Et l’État ? Vous aidait-il ?
Le budget d’Act Up était très limité. Il n’y avait que des bénévoles sauf à partir de 1995. Cette année-là, nous avions pris une salariée. C’était une espèce de contrat d’insertion et cela avait d’ailleurs créé un vrai problème. “Est-ce qu’on devait salarier des gens ?” Telle était la question soulevée. Nous étions en tout cas contre l’État donc il ne nous aidait pas. Il nous est arrivé de séquestrer un ministre de la Santé… […] Il y avait quand même certaines subventions, de la part des laboratoires par exemple. On leur demandait de l’argent. C’était la moindre des choses. Cela dit, l’argent n’a jamais été un problème, ni le moteur. Nous n’avions que le local à payer. C’était le plus gros de nos dépenses. Le reste, nous le faisions avec trois bouts de ficelle.
Vous avez été président d’Act Up de 1994 à 1996. Quelle est l’action dont vous êtes le plus fier ?
La capote sur l’obélisque de la place de la Concorde, même si ce n’était pas sous ma présidence [sourire]. Entre 1994 et 1996, nous avons mené plusieurs petites opérations et c’était déjà super. Leur répétition faisait prendre conscience du problème. En 1995, nous avons apporté notre soutien et notre aide aux malades étrangers, lesquels étaient souvent expulsés, puisqu’ils perdaient leur travail. Ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine, vers le sud, où ils n’avaient plus accès aux traitements. En gros, on les conduisait à la mort. Pour contester, il nous est arrivé de bloquer des aéroports. […] Le monde disait encore : les médicaments au nord, la prévention au sud.
L’arrivée de la trithérapie a vu le nombre de militants chuter au milieu des années 1990. Vous quittez l’association autour de 2000. Pourquoi ?
J’avais moins de temps, beaucoup de travail. Il fallait laisser place aux jeunes. Et puis il y avait une certaine lassitude. Nos actions avaient moins d’impact. Passer trois heures par semaine dans une réunion me plaisait moins. Mais je suis resté proche d’Act Up. […] Aujourd’hui, on ne pourrait plus faire les mêmes actions. Tout est surprotégé. On est dans un État beaucoup plus sécuritaire. Avant, il suffisait de pousser la porte pour atteindre un ministre.
Le bouleversant 120 battements par minute de Robin Campillo revient sur le quotidien d’Act Up. Le jugez-vous fidèle à ce que vous avez vécu ?
Tout est très juste. Aucun détail n’a échappé au réalisateur. Il s’est énormément renseigné. Quand j’ai vu les premiers clichés du tournage, j’ai vraiment eu l’impression que c’était des photos d’époque. Le film est très juste pour ça et pour sa façon de saisir l’énergie. Il représente la communauté, un groupe soudé, dont les membres étaient comme les doigts d’une main. Act Up n’a jamais été filmé comme ça, c’est évident. Les gros plans nous permettent d’être avec les personnages, de voir le fonctionnement de l’intérieur et de l’extérieur.
Avez-vous assisté au tournage ?
Non, pas du tout. Cela dit, il y a deux ans, Robin Campillo est venu me voir avec un morceau de script. Nous avons parlé pendant deux bonnes heures. J’ai évoqué avec lui des souvenirs… Il me semble les avoir retrouvés dans le film. Son désir premier était de respecter les gens qu’il représentait à l’écran. Ce n’est pas un biopic mais c’est très fidèle.
Aujourd’hui, quelle importance revêt ce projet selon vous ?
Il est important parce que pour beaucoup de gens, notamment les jeunes générations, ce segment temporel, c’est un peu la préhistoire. Ce sont des choses qu’ils ne connaissaient pas du tout.
Propos recueillis par Pauline Mallet et Mehdi Omaïs