L’ancienne centrale électrique militaire de Matsu, à Taïwan, a été transformée en une installation artistique destinée à la mémoire des bombardements chinois autrefois subis par ce minuscule archipel qui, comme le reste du territoire, demeure menacé par une invasion chinoise. L’exposition “Votre pays a besoin de vous : gloire à Jun Hun”, qui signifie “esprit militaire”, fait partie de la biennale de Matsu, qui se tenait jusqu’à mi-novembre.
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Les œuvres exposées dans le cadre de cet événement organisé à travers Matsu mettent en avant la beauté naturelle de ce chapelet de petites îles rocheuses situées à vingt minutes de bateau de la côte orientale chinoise. Mais certain·e·s artistes, comme le concepteur lumière Liu Ping-yi et sa partenaire Annie Chu, ont choisi d’évoquer l’histoire du conflit armé entre la Chine et Matsu et d’autres petits archipels dépendant de Taïwan.
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À partir de 1954, la Chine a bombardé de manière sporadique ces îles et la situation a perduré jusqu’en 1979, date de l’établissement de relations diplomatiques entre Washington D.C. et Pékin. “Nous voulions utiliser la lumière pour permettre au public de plonger dans le passé afin qu’il comprenne mieux ce que vivaient les soldats et les civils sur l’île à cette époque-là”, explique M. Liu, qui a collaboré avec un créateur sonore pour réaliser cette exposition au sein de la centrale électrique. “J’espère qu’il arrive à imaginer ce à quoi ressemblait Matsu pendant la guerre.”
Cet archipel était un des bastions militaires stratégiques des forces nationalistes du Kuomintang après qu’elles ont fui la Chine en 1949 à la suite de leur défaite pendant la guerre civile chinoise. En raison des bombardements, les nationalistes ont renforcé les fortifications de Matsu, construisant des tunnels et des abris antiaériens, tandis que les avant-postes côtiers étaient dotés d’étroites ouvertures permettant aux soldats de tirer en direction du continent.
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Désormais, la plupart de ces installations militaires sont abandonnées, même si certains tunnels ont été restaurés et sont désormais ouverts au public. Dans le cadre de la biennale, un abri antiaérien diffuse de vieilles bandes sonores, tandis qu’une ancienne salle de spectacle militaire présente des caractères chinois découpés et assemblés, tirés de lettres envoyées aux militaires et aux habitant·e·s des îles. Une structure en fil de fer en forme de baleine est érigée sur une plage, réalisée à partir d’anciens navires.
Pas “peur des menaces verbales”
Aujourd’hui, “Matsu est tournée vers le tourisme”, affirme Wang Chung-ming, un haut responsable de l’archipel, qui s’oppose à ce que Matsu soit qualifiée de “ligne de front”. Ces îles sont situées juste au nord-ouest du détroit de Taïwan, une zone de 180 kilomètres séparant le territoire autonome de la Chine continentale. Pékin, qui revendique Taïwan comme faisant partie de son territoire, a organisé l’an dernier d’importantes manœuvres militaires autour de l’île, dont une en avril, lors de laquelle des avions et des navires de guerre ont simulé un encerclement de Taïwan.
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Pour les habitant·e·s de Matsu, territoire taïwanais le plus proche de la Chine, la vie continue souvent sans interruption face à ces manœuvres militaires. L’artiste local Chao Kai-chih affirme ne pas avoir “peur des menaces verbales de la Chine”. “Venez si vous en avez le courage”, a-t-il plaisanté, avant de changer rapidement de ton en disant que si la Chine devait envahir, “vous pouvez attaquer un peu plus loin : attaquez Taïwan, n’attaquez pas Matsu”.
Grandir à Matsu sous l’administration militaire comportait nombre de restrictions, se souvient M. Chao, 66 ans, évoquant un couvre-feu à 21 heures et l’interdiction de se rendre sur les plages de l’île. “Nous voulons la paix, pas la guerre, et ce que nous pouvons faire, c’est transformer Matsu en une île artistique”, affirme M. Chao, qui espère que beaucoup de touristes assisteront à cette biennale, après trois ans de fermeture des frontières pour cause de pandémie. “Nous devons maintenant relancer lentement les négociations sur le tourisme et le commerce”, estime M. Wang. “Politiquement, nous devons suivre Taïwan, mais économiquement, Matsu doit s’intégrer au continent.”