L’auteur de ces lignes a longtemps cru que la fête était finie. C’est qu’elles se ressemblent toutes, ces foutues soirées. Toujours les mêmes morceaux, les mêmes hymnes à l’hédonisme et à l’amour des uns des autres, toujours les mêmes têtes, qui galochent les mêmes bouches, qui s’inventent les mêmes problèmes et qui postent les mêmes souvenirs filtrés de la veille. C’est que le club, ancien terrain de jeu underground devenu pop avec les années, a eu tendance à s’aseptiser un peu. Heureusement, Charli xcx vient de tout arranger.
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En restituant ses lettres de débauche aux mondes pop et club, BRAT, sixième disque de la chanteuse britannique, prouve qu’ils peuvent coexister sans se bouffer l’un l’autre. Qu’on me laisse danser, chanter et pleurer dans son club jusqu’à ma mort – ou jusqu’à ce que ma carte bleue ne passe plus au bar. Qu’on me laisse profiter des beats de “Club classics”, qui annonce bien la couleur (vert pomme fluo) de ce qui suit : une salve de futurs classiques.
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Après cinq albums, des tubes commerciaux (“Boom Clap” ou “I Love It”) et un dernier disque tiède consacré aux rouages du mainstream, ce sixième disque de Charli est son meilleur pour la simple et bonne raison qu’il se fout pas mal de ce qu’on peut penser de lui. À l’heure des albums “pseudo-manifestes” qui s’érigent comme des joyaux de métaphilosophie, avec des symboliques et des narrations ficelées par les diables du marketing, ce nouvel album de Charli xcx est tout ce qu’on attend de la pop, finalement : du second degré, de l’audace, une tonne de références pop culture et, surtout, beaucoup, beaucoup de fun.
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Party girl…
La party girl a l’air, en effet, de s’amuser plus que jamais sur ces titres qu’elle semble avoir pensés, créés et écrits dans l’antre d’une boîte de nuit battante et suante, éclairée aux vieux néons, sous une salve de BPM fracassants, coincée entre des amants libidineux qui se galochent à gauche (“Hello goodbye” et “Talk talk” assurent la carte love du disque) et des doses de vodka et d’autres friandises illicites savourées à droite. C’est le genre de soirée où on se sent bien, vraiment bien.
On danse, frénétiquement, sur les beats de “Club classics”, “Von dutch”, “360”, ou l’entêtant “Guess” (sur lequel l’influence dance rock de l’ère Human After All de Daft Punk est évidente), mais aussi sur les prototypes de pop parfaite que sont “Apple”, “Girl, so confusing” ou l’excellent “Spring breakers”, qui clôt l’édition deluxe du disque où la chanteuse fait des références à elle-même qui vont faire frétiller tous les angels (nom donné à ses fans) de la première heure.
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Au-delà de la danse, des roulements de bassin et des vrombissements de torse, on tombe amoureux du premier inconnu sur “B2b” ou “Everything is romantic”, qui semble écrit dans une urgence romantique, en espèce de petites bribes de pensées qu’on pourrait s’envoyer par messages séparés en DM sur Instagram. Finalement, même sur le dancefloor, on s’octroie une petite larme en mode film français avec Virginie Efira dedans quand Charli déclare son amour pour son amie SOPHIE, décédée tragiquement en 2021, sur le touchant “So I”.
… vulnérable
Parce que, non, la fête parfaite ne bat pas de bout en bout. À plusieurs endroits, Charli fait baisser les BPM et la frénésie pour se regarder dans la glace des toilettes et se demander si le dernier verre n’était pas celui de trop – c’est souvent le cas. Ces moments, c’est aussi ceux pendant la teuf où on décide d’aller aux toilettes entre deux morceaux et où on se retrouve à contempler l’état des choses et le fil de sa vie, le front collé à la porte humide des toilettes ou le regard perdu au-dessus de l’urinoir.
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Sur “Sympathy is a knife” ou “Rewind”, la chanteuse raconte ses anxiétés, notamment celles de ne pas être assez bien, assez célèbre, assez rentable, mais aussi celles de regretter une époque révolue où les choses étaient plus simples. Sur “I might say something stupid”, elle déclare “I’m famous but not quite” comme un constat triste qui sert aussi de caution pour ses fans : elle est comme vous et moi, avec une vie plus débraillée, certes, mais tout aussi paumée.
Ailleurs, sur “I think about it all the time”, la chanteuse s’autorise une parenthèse étonnante de vulnérabilité en abordant son envie d’avoir des enfants et son regard sur ses proches qui se sont autorisé la parentalité. C’est deep, un peu triste et intime, mais ça ne l’empêche pas de nous balancer “365” dans la tronche juste après, et de mettre en contraste cet interlude sentimental avec un morceau qui claque comme il faut et qui nous invite à nous reprendre un coup dans la face ou dans le nez pour repartir de plus belle. C’est ça, l’attitude BRAT.
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BRAT, une philosophie
“À l’époque, tout le monde voulait devenir une motomami. Aujourd’hui, tout le monde veut être une brat”, me confiait récemment un fan, comparant la campagne BRAT à celle du dernier disque de ROSALÍA, autre événement pop marquant des cinq dernières années. Mais comment on incarne l’esthétique et la philosophie BRAT, au juste ? Il ne suffit pas d’aimer le vert pomme fluo, même si c’est un bon début. La brat vit sa meilleure “Von dutch life”, celle que Charli exposait sur le premier morceau de cette era, celle qui demeure culte mais toujours pop, qui se repose sur des bases bien solides et intemporelles, mais qui arrive à marquer son époque, sans cesse, avec un doigt dans la prise.
La brat par excellence est partout comme Julia Fox, a le charisme de Chloë Sevigny et l’humour de Rachel Sennott, stars du clip “360”, déjà culte. La brat par excellence “adore Lana Del Rey dans ses AirPods” comme le rappelle “Mean girls”, nouvel hymne aux connasses ; ne mange que “dans les bons restaurants mais pense toujours à son poids” comme le regrette le touchant “Rewind” ; assume de ne pas soutenir toutes les femmes du monde à l’heure des bien-pensances tyranniques (ce sont des balles perdues à Lorde sur “Girl, so confusing” ?), parce que la perfection ne l’intéresse pas : c’est démodé, la perfection.
La brat par excellence est superficielle mais sincère, danse jusqu’au bout de la nuit, oublie de placer des verres d’eau entre ses gin tonics, pense au temps qui passe et à son envie d’avoir des gosses avant de s’enfiler un nouveau remontant illicite sur le coin du bar, pleure aux toilettes et galoche près du DJ booth, ne regarde jamais sa montre et crie “Déjà ?!” quand les lumières du club annoncent la fin de la soirée, qui n’est pour elle que le début d’une autre (“Il est où, l’after ?”) parce qu’avec la brat, la vraie, la fête n’est jamais vraiment finie.