Rare à l’écran, Saoirse Ronan nous revient avec l’adaptation majestueuse du roman d’Amy Liptrot par la réalisatrice allemande Nora Fingscheidt sur l’exil d’une jeune femme que la nuit londonienne a fait sombrer dans l’alcoolisme. Au cœur des paysages sublimes des îles Orcades, au large de l’Écosse, elle va tenter de se réparer.
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L’actrice irlandaise, également co-productrice du projet, y est immense et nous avons eu la joie d’échanger avec elle lors de l’avant-première française du film à l’UGC Ciné Cité Les Halles sur la fabrication de ce film emprunt de mythologie et soumis aux éléments naturels, qui porte haut et fort la culture et le folklore gaélique dont elle est très fière.
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Konbini | Il y en a eu de nombreux récits de guérison à l’écran. Pourquoi celui-ci t’a particulièrement touchée ? En quoi était-il différent selon toi ?
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Saoirse Ronan | La raison principale pour laquelle on a voulu adapter ce livre, c’est parce qu’il raconte l’histoire d’une jeune femme alors que les personnages d’alcooliques à l’écran sont souvent des hommes d’âge moyen, ou des femmes plus âgées qui se remettent d’un divorce par exemple ou d’une tragédie familiale. On a donc voulu montrer l’alcoolisme est une forme de maladie qui peut affecter des personnes de tous les âges, de tous les genres, et de toutes les classes sociales.
Je crois que tu n’avais jamais joué de vraies personnes toujours vivantes auparavant et il s’agit également du récit d’une expérience difficile. Quelles responsabilités supplémentaires cela implique ?
C’était une responsabilité immense envers la jeune Amy Liptrop et sa vie mais aussi envers toutes les personnes qui ont fait l’expérience de l’alcoolisme ou qui y ont été confrontées dans son entourage. C’est une histoire universelle qui m’a touchée personnellement, comme d’autres personnes dans cette salle je pense. Je voulais y rendre justice et le challenge le plus important a donc été de dresser le portrait le plus authentique possible de cette femme qui est au plus mal. Je ne voulais surtout pas en faire une caricature, je voulais monter à quel point tu sombres dans une forme de chaos et de solitude quand tu es en état d’ébriété.
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Mais je voulais également montrer que ce personnage est bien plus que son addiction, que sa personnalité et sa vie vont au-delà de sa maladie. L’enjeu de ce film était donc aussi de célébrer la résilience, le courage et de prouver que lorsqu’on a le cadre nécessaire, on peut surmonter des choses qui semblaient insurmontables, comme l’a fait Amy.
C’est un projet en développement depuis plusieurs années, Amy Liptrot a rencontré la productrice Sarah Brocklehurst il y a huit ans. Tu es également productrice du film et j’aimerais savoir dans quel sens les choses se sont-elles faites ? Tu as d’abord eu le rôle puis tu as décidé de t’associer au projet en tant que productrice ?
Les deux sont arrivées en même temps. Jack [Lowden, son époux, ndlr] et moi avons lu le livre, on en a aimé l’écriture et on a donc décidé de se lancer dans son adaptation avec pour objectif que j’incarne le rôle principal. Pouvoir être impliquée des deux côtés et ce dès le tout début du développement du projet a été un avantage très précieux pour moi, à la fois en tant que productrice et en tant qu’actrice, car les deux se sont mutuellement nourris.
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En étant également productrice, tu as pu être impliquée sur le projet bien en amont du tournage et tu as donc eu beaucoup plus de temps pour te préparer au rôle que sur un projet normal. Est-ce que ce temps était nécessaire et quelles ont été les différentes étapes de ton travail d’actrice ?
Oui, ce temps supplémentaire m’a été très utile. On a commencé à travailler sur le projet pendant le confinement sans savoir quand on allait pouvoir tourner même si on voulait filmer le plus vite possible. Au total, il y a eu presque deux ans de discussions pour mettre en forme ce projet, ce qui m’a donné beaucoup de temps pour réfléchir à ce que Rona pourrait être. Mais même quand je suis seulement actrice sur un film, c’est comme ça que j’aime travailler. Je n’accepte pas plus d’un ou deux projets par an pour laisser le personnage infuser en moi afin qu’il devienne une partie de moi. The Outrun fut l’un projet où j’ai été encouragée à mettre beaucoup de moi, ce n’était pas un personnage “prêt-à-porter” mais un que j’ai véritablement façonné.
Comment Nora Fingscheidt, Amy Liptrot et toi avez-vous collaboré sur ce projet ? Quels aspects de la vie et de l’expérience d’Amy avez-vous réadaptés pour l’écran par rapport au livre pour y injecter de la fiction ?
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Nora et Amy ont travaillé en collaboration très étroite car c’était important que Nora gagne la confiance d’Amy artistiquement mais aussi personnellement. Elles ont choisi elles-mêmes ce qui apparaîtrait ou non dans le film. Il y a plusieurs épisodes de sa vie et personnes de son entourage que l’on n’a pas pu inclure dans le film qui aurait duré six heures sinon. Même au moment du tournage, on a supprimé des séquences car on avait beaucoup trop de rushes. Par exemple, dans le livre Amy parle beaucoup de son frère qui joue un rôle central mais on a pensé que sa relation avec ses parents serait plus puissante à l’écran si elle était fille unique. Ce sont des décisions prises pour des raisons purement dramaturgiques et toujours avec l’accord d’Amy.
Il y a également des choses très concrètes que tu as dû apprendre de ton côté, comme agneler une brebis ou nager en eau glacée avec des phoques…
Oui, c’était intense et froid. Mais la nage en eaux froides est quelque chose que je pratique depuis toujours. J’ai grandi près d’une rivière dans la campagne irlandaise donc j’y ai passé beaucoup de temps. Finalement, mon plus grand rôle de composition dans le film est peut-être d’avoir dû faire semblant que l’eau était vraiment glacée car moi je ne la trouvais pas si froide.
Mais l’agnelage, ça c’était nouveau. On a visité plusieurs fermes dans les Orcades pour que j’assiste à la naissance des agneaux. C’est assez violent et brusque, il faut sortir l’agneau le plus rapidement possible et le débarrasser des mucus très vite pour dégager ses voies respiratoires donc il y a beaucoup de pression. On ne savait pas quand les brebis allaient mettre bas donc on était parfois appelés à 4 heures du matin et il fallait ensuite attendre des heures. Un agriculteur m’a coachée dans mon travail et au total, j’ai agnelé sept brebis, j’en suis très fière. On n’a pas utilisé la prise de ma première fois car j’étais terrifiée alors qu’il fallait que je fasse comme si j’avais fait ça toute ma vie. On a commencé cet exercice quatre mois avant de tourner donc j’ai eu un très bon aperçu de la discipline à laquelle Amy a dû se soumettre enfant, comme tous les enfants qui ont grandi dans des fermes.
C’est à la fois un projet où vous avez ajouté de la fiction et laissé de la place à l’improvisation en ce qui concerne le personnage et l’histoire d’Amy/Rona mais à l’inverse, en ce qui concerne les lieux de vie de l’autrice et les îles Orcades, c’est presque documentaire.
On n’avait pas l’argent pour tourner en studio mais de toute façon, on préférait tourner en décors naturels car tu es plus en éveil, notamment grâce à l’air frais. Pour ce film, les éléments naturels jouent un rôle très important sur Rona, son apparence et l’atmosphère du film dont on n’aurait pas pu recréer ça de façon artificielle. Le temps était tellement imprévisible, puis on travaillait avec des animaux mais aussi avec des locaux qui avaient beaucoup de travail et pas vraiment de temps à nous accorder donc on a dû s’adapter à eux et à ce lieu. C’était très sain et bénéfique pour nous de se rappeler que l’on n’est pas le centre du monde, ça nous a aidés à garder les pieds sur terre. Puis c’était plus vivant, on a dû être plus créatifs et ça donne une vraie authenticité au résultat final.
J’imagine que l’équipe de tournage a dû doubler la population de l’île et bouleverser la vie quotidienne des habitants. Ont-ils été consultés pour les besoins du film ? À quel niveau les avez-vous impliqués ?
À Papay, oui on a clairement doublé la population. Sur l’île principale des Orcades, on faisait juste partie du paysage. On s’est beaucoup appuyés sur les habitants, on n’aurait vraiment pas pu faire le film sans eux. Ils nous ont donné beaucoup d’informations sur la vie locale, ils ont fait de la figuration, certains ont aussi pu intégrer l’équipe du tournage et se faire une place dans l’industrie. Ils sont venus nous chercher à l’aéroport, on a pu loger chez eux, c’est vraiment un film fait maison dans tous les sens du terme.
Ils ont également beaucoup appris de la mythologie très riche de leur île à Nora Fingscheidt. C’est une culture différente de celle de l’Écosse, plus nordique et ils sont tellement fiers de qui ils sont, ils ont donc été très généreux car ils voulaient être célébrés car ils n’ont jamais été représentés à l’écran auparavant. J’ai récemment parlé avec des jeunes femmes de Kirkwall, d’où Amy vient également, et elles me disaient qu’avant la sortie du film, elles avaient presque honte d’être orcadiennes mais après avoir vu ce film sur cette jeune femme des Orcades tellement créative, elles se sont senties vues pour la première fois.
Tout ce qui concerne le folklore des îles Orcades est donc véridique ? La mythologie est aussi présente sur l’île, ce n’est pas de l’ajout pour la fiction ?
Non, la majorité était présente dans le livre car Amy est tellement fascinée et influencée par la mythologie des Orcades. Je pense que c’est comme ça qu’elle donne du sens au monde dans lequel elle vit, ce sont des histoires avec lesquelles elle a grandi, et elles font vraiment partie intégrante de ce lieu et de cette population. Nora a voulu honorer cet élément de la vie locale mais aussi de la personnalité d’Amy, notamment grâce à ces faits, des chiffres et ces informations que l’on entend en voix off dans le film. C’était aussi une façon d’avoir accès à l’esprit d’Amy et la façon dont elle pense. C’était vraiment intéressant pour moi d’apprendre tout ça et de jouer ce personnage à la fois très scientifique mais qui a aussi, comme nous tous, besoin d’histoires pour vivre.
Tu es irlandaise, ton mari est écossais, est-ce que ce film était également l’occasion pour toi de raconter une histoire en lien avec votre culture et le folklore gaélique ?
Oui, complètement. Les îles écossaises nous sont très chères, à mon mari et à moi. On a souvent voyagé sur la côte ouest de l’Écosse, dans les Hébrides, qui est plus gaélique et donc plus similaire à là d’où je viens. Pouvoir m’immerger dans cette culture était donc aussi un moyen de me lier à ce que je considère comme ma deuxième maison, l’Écosse. C’est très important pour Jack et moi de porter des histoires écossaises et irlandaises à l’écran, ce sont des lieux qui ont une couleur et une identité très fortes, simplement du fait de leur localisation et de leur Histoire et c’est ce qu’on a voulu honorer.
Andrew Scott, Paul Mescal, Barry Keoghan, etc., les acteurs irlandais sont très populaires en ce moment et Hollywood les adore. Comment tu analyses ce boom de popularité ?
Je pense qu’on est juste très bons. Il y a peut-être quelque chose dans l’eau car les Gallois sont également de très bons chanteurs. Les Irlandais ont toujours été d’excellents conteurs d’histoires car ça ne nous pose aucun problème de disparaître derrière une histoire et de faire semblant. Un humoriste disait récemment que pendant des siècles, les Irlandais n’avaient rien, on était un pays très pauvre donc tout ce qu’on avait c’était l’alcool, la musique, le “crack” qui est une forme de joie de vivre, de légèreté, et les histoires, ce qui a fait de nous des experts en la matière. Paul, Andrew, Jessie Buckley et tous ces gens brillants n’ont aucune honte quand il s’agit de s’exprimer et se livrer sans fard et cette liberté est très célébrée.
On doit souvent quitter l’Irlande pour se faire un nom mais on revient toujours à la maison pour partager cette richesse et en tant qu’actrice irlandaise, ça me rend particulièrement fière. Je n’ai jamais rencontré aucun acteur ou réalisateur irlandais qui ne veut pas revenir d’où il vient. C’est sûr que c’est un super moment pour être un acteur irlandais, j’adore notre gang.