Si, en 2024, la force des réseaux sociaux pour servir de porte-voix et inspirer des mobilisations n’est plus à démontrer, il n’en a pas toujours été ainsi. De nos jours, pour sauver une série qui vient d’être annulée par son diffuseur, il suffit de créer un hashtag bien accrocheur et de s’assurer de la viralité de celui-ci.
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Mais même si le mouvement devient global, même avec des millions de sériephiles réclamant justice, il en faut toujours plus pour faire trembler les géants du streaming et leur algorithme qui ont droit de vie ou de mort sur nos fictions préférées. Si le ratio audience/coût de production/nouveaux abonnements suscités n’est pas au beau fixe, la sentence est (presque) irrévocable. Pourtant, il y a toujours un atome d’espoir…
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Il fut un temps où les Netflix, Prime Video et autres Disney+ ne régnaient pas en maîtres sur le paysage audiovisuel. Aux États-Unis, les “big five”, les cinq grands networks gratuits (ABC, CBS, NBC, FOX et The CW), se sont longtemps taillé la part du lion avec un nombre de téléspectateur·rice·s dont les boss actuel·le·s de ces chaînes rêvent avec une part d’émotion et de résignation.
Les autres, les chaînes câblées (et donc payantes, comme HBO, Starz, AMC…), se faisaient un nom sur leurs productions super chiadées et une cible plus “niche”. Mais la loi de l’audimat était déjà féroce. Certaines séries se faisaient même annuler après seulement une poignée d’épisodes ! Heureusement, d’autres, mieux installées et avec un public fidèle, pouvaient compter sur le soutien indéfectible de leurs fans si un malheur devait arriver.
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David contre Goliath
La première mobilisation massive d’un fandom est antérieure à l’invention même de la télé. Les traces de ce phénomène remontent au début du XXe siècle avec le plus célèbre des détectives privés : Sherlock Holmes. Quand, en 1893, l’écrivain Arthur Conan Doyle décide de tuer son héros légendaire dans la nouvelle Le Dernier Problème – parce que, de sa propre admission, il n’en pouvait plus et souhaitait passer à autre chose –, ses fidèles lecteurs et lectrices sont furax.
Des désabonnements massifs du magazine qui le publiait, The Strand, s’en sont suivis, et on les a même vu·e·s sortir dans la rue pour protester avec un brassard noir en signe de deuil. Sir Arthur Conan Doyle s’est ainsi résigné à ressusciter son fin limier en 1901 dans un opus au nom bien choisi : Le Retour de Sherlock Holmes. Le peuple avait parlé.
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Pour revenir à nos séries adorées, mais toujours bien avant l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux, Star Trek, lancée en orbite en 1966, aurait dû n’avoir que deux saisons. Faute d’audiences à la hauteur, NBC avait déjà sorti son tampon “Cancelled”. Sauf que le space opera avait déjà voyagé par-delà les continents, et des fans du monde entier ont envoyé des lettres par dizaines de milliers au diffuseur, qui a rétropédalé.
La chaîne a offert une saison supplémentaire (mais a tout de même bien tranché dans le budget de la production) au Capitaine Kirk et à son équipage. Une bien sage décision, puisque sans ça, Star Trek ne serait sans doute jamais devenue la franchise tentaculaire, aux nombreux spin-off et au merchandising lucratif, qu’elle est aujourd’hui.
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Firefly, l’un des joyaux méconnus de Joss Whedon (le créateur de Buffy contre les vampires), a eu une existence plutôt éphémère sur nos écrans, mais elle est restée à jamais dans nos cœurs. C’est simple, elle est sur toutes les listes “Ces séries annulées trop tôt” des journalistes spécialisé·e·s de la planète. Une saison et puis s’en va ? Là encore, les fans, qui se sont baptisés les “Browncoats” en référence au costume de son héros, ont tout tenté.
Inonder la chaîne Fox de lettres de supplication : check ; faire les yeux doux à UPN (une plus petite chaîne qui deviendra The CW à la suite d’une fusion avec The WB) pour qu’elle reprenne le show : check. Les fans se sont même cotisé·e·s pour acheter un encart publicitaire dans Variety, LE magazine que toute l’industrie hollywoodienne a sur son bureau, pour prier à qui voulait l’entendre de faire revenir Firefly. Universal Studios a entendu leur cri et a offert à ce space western un sursis sous la forme d’un téléfilm encore culte aujourd’hui : Serenity.
On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre (mais du sucre, oui !)
Parfois, les fans ont fait preuve d’une incroyable créativité pour convaincre les networks de repêcher l’objet de leur adoration. En leur envoyant quelques cadeaux par exemple. Pour Twin Peaks, dont la diffusion s’était stoppée net en plein milieu de la saison 2, les COOP (“Citizens Opposed to the Offing of Peaks”, soit “Citoyen·ne·s opposé·e·s à l’arrêt de Peaks”) ont inondé ABC de lettres, évidemment, mais aussi de donuts. La gourmandise a-t-elle eu raison du network ? En tout cas, les six épisodes manquants ont finalement été diffusés. Et on ne vous parle même pas du culte qui a grandi depuis autour de la série de David Lynch et Mark Frost ; l’existence de sa saison 3, vingt-cinq après, en est la preuve.
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Toujours sur le thème du glucose, pour Veronica Mars, annulée en 2007 après trois saisons, la forme que devait prendre la protestation était toute trouvée. Les fans, qui s’autoproclament les “Marshmallows”, ont fait livrer plus de 10 000 barres chocolatées Mars au siège de The CW. Ne voyant toujours rien venir, lorsque son créateur Rob Thomas et son actrice principale Kristen Bell ont lancé un kickstarter en 2013 pour ressusciter la série sous forme de film (sorti en 2014), les fans ont rassemblé la somme de 5,7 millions de dollars, dépassant l’objectif initial fixé à 2 millions, et ce, en seulement onze heures ! Une saison 4 a également vu le jour en 2019, sur Hulu.
Avec Arrested Development, elle aussi devenue cultissime avec le temps mais d’abord annulée après deux saisons en 2005, ce sont des caisses et des caisses de bananes qui ont été déposées aux bureaux de la Fox, qui a dû apprécier tout cet apport en potassium. Elle a décroché une mini-saison 3, histoire de finir en beauté. Enfin, pas tout à fait, puisque quelques années plus tard, c’est Netflix qui, en 2013, a décidé de ramener la (très dysfonctionnelle) famille Bluth sur le devant de la scène.
Il faut dire qu’à l’époque, le géant du streaming était appelé à la rescousse pour récupérer à peu près tout ce qui était voué aux oubliettes. Une période bénie (et fugace) où Netflix avait besoin de remplir son catalogue à peu de frais et avec l’assurance d’une fanbase déjà au rendez-vous. Depuis, l’histoire se répète, la firme de Ted Sarandos a repris le flambeau de notre bonne vieille télé et annule à tour de bras. Seules les données de comptage de l’audience ont changé, pas la sentence.
Parmi d’autres campagnes qui ont porté leurs fruits, ne serait-ce que pour accorder un sursis aux séries menacées d’extinction, on peut aussi citer Roswell et l’envoi de 6 000 bouteilles de Tabasco à The WB ; la fois où un avion a survolé les bureaux des studios Amazon avec une banderole “#SaveTheExpanse” ; des ampoules et des gouttes pour les yeux expédiées par centaines au siège de NBC pour que Friday Night Lights survive ; 8 millions de cacahuètes livrées aux dirigeants de CBS pour décrocher une saison de plus pour Jericho…
Family Guy, Lucifer, Futurama, Brooklyn Nine-Nine, Wynonna Earp… les séries sauvées par les fans ne manquent pas. Que leur mobilisation soit très procédurière, carrément gonflée, ou qu’elle tape en plein dans les sentiments des gros studios (l’argent étant le nerf de la guerre, le boycott ou l’achat massif de DVD ont fait leurs preuves), on aurait tort de la sous-estimer.
Aujourd’hui, les audiences sont démultipliées et c’est au tour des streamers de sentir le souffle enragé des fans sur leur nuque quand ils expédient un peu trop vite leurs fictions préférées. Si un hashtag ne suffit pas, la viralité peut se faire avec d’autres armes que la Gen Z maîtrise à la perfection. Car si demain Taylor Swift devait tweeter “Sauvez Warrior Nun“, on vous garantit que Netflix sortirait le carnet de commandes dans la seconde !