Ces photos de guerre sont-elles réelles ? Camps d’entraînement ou zones de guerre, les photos de Debi Cornwall sondent ce qui est vrai

Publié le par Donnia Ghezlane-Lala,

© Debi Cornwall

La photographe Debi Cornwall relate l’histoire de la violence états-unienne.

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Cela fait maintenant dix ans que Debi Cornwall, ancienne avocate en droit civil devenue photographe, ausculte les fictions et la société états-uniennes, les limites poreuses entre réalité et imaginaire, vérité et post-vérité. Ses photographies “visent davantage à faire réagir qu’à informer” et “invitent à examiner de plus près l’incarnation, l’exercice et la normalisation du pouvoir de l’État”, écrivent Nathalie Herschdorfer et Lydia Dorner, les deux commissaires de l’exposition “Citoyens modèles”, présentée aux Rencontres d’Arles cette année.

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De loin, on verrait une simple documentation d’interventions militaires dans des pays du Moyen-Orient ou à la frontière mexicaine mais de près, on comprend que tout ce décor est factice. À Arles, la photographe présente Citoyens modèles et Fictions nécessaires, deux séries qui sondent les frontières du réel, “les récits et stratégies” que le pouvoir imagine “face à des réalités perturbantes”. Ces séries nous ont troublées tant ces jeux de guerre immersifs nous paraissaient vraisemblables.

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Scénario “Traque” 3, centre de formation de la US Border Patrol, Artesia, Nouveau-Mexique, 2023. (© Debi Cornwall)

“Une véritable mascarade au service d’une réalité imaginée”

Dans Fictions nécessaires, l’artiste documente les décors de dix bases militaires états-uniennes où des soldats en entraînement s’adonnent à des exercices, reconstitutions et scénarios divers et variés. Face à ces soldats acteurs figurent des civil·e·s afghan·e·s et irakien·ne·s, qui participent à ces jeux d’immersion et qui, eux, ont réellement fui la guerre. Tou·te·s jouent un rôle pour préparer le futur (et réel) déploiement militaire de ces soldats, envahissent, infiltrent, feignent des relations de confiance longuement établies.

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Comme à Hollywood, il est question d’effets spéciaux : les camps usent d’explosifs et de coups de feu, mais aussi de maquillages professionnels. C’est un business comme un autre. Une balle factice laisse une blessure béante et plus vraie que nature sur le visage d’une militaire qui pose pour une photo. C’est “une véritable mascarade au service d’une réalité imaginée”. “L’environnement est conçu de manière à y inclure les images, les sons et même les odeurs de la guerre, avec un constant souci de ‘fidélité’ aux villages et aux champs de bataille réels du Moyen-Orient”, renseigne un cartel d’exposition. “Les organisateurs parlent de deux autres types de fidélité : la fidélité physique, qui mesure l’environnement construit face à son équivalent dans le monde réel et la fidélité psychologique, qui permet à un scénario de susciter des comportements nécessaires dans la version réelle des événements. Selon eux, la fidélité psychologique est la plus importante des deux. Plus la simulation donne aux acteurs l’impression d’être réellement là-bas, plus la formation est efficace.”

Mur de frontière factice, un faux mur s’élève à moins de 300 kilomètres de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, centre de formation de la US Border Patrol, Artesia, Nouveau-Mexique, 2022. (© Debi Cornwall)

“Dans quelle mesure la mise en scène et le jeu de rôle façonnent-ils les conceptions de la citoyenneté dans un pays violent, où la notion même de vérité a perdu son sens ?”, questionnent les co-commissaires. Au fond, c’est l’histoire de la violence et du mensonge aux États-Unis que sonde Debi Cornwall. Dans Citoyens modèles, elle immortalise les musées d’histoire, les dioramas en carton, en plastique et ces fonds verts qui placent toujours le peuple états-unien en héros ou en victime. Elle photographie aussi, dans un autre volet, les camps d’entraînement de la patrouille qui sévit à la frontière mexicaine, où forces de l’ordre actrices et migrant·e·s comédien·ne·s simulent.

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Ces futur·e·s policier·ère·s seront celles et ceux qui traqueront, arrêteront, violenteront et, parfois, tueront les étranger·ère·s qui tenteront d’entrer dans le pays, déshumanisé·e·s et perçu·e·s comme des menaces. Les scènes sont tantôt absurdes, tantôt anxiogènes et se font le reflet d’une société sécuritaire et ultra-militarisée. C’est là toute la force de dénonciation qui réside dans les œuvres de Cornwall. “Comment la mise en scène, la performance et le jeu de rôle peuvent-ils nourrir notre réflexion sur la citoyenneté, dans un pays si violent que les habitants ne sont même plus d’accord sur ce qui est vrai ou non ?”, se demande la photographe dans un bel ouvrage publié aux éditions Textuel. Finalement, c’est la véracité de toutes les images que l’on consomme et la confiance que l’on accorde à leurs auteur·rice·s que Debi Cornwall remet en question.

Scénario “Discernement” 1, un stagiaire de la Border Patrol avance vers une menace non identifiée, dans le cadre d’un exercice visant à apprendre aux policiers armés à faire preuve de discernement, centre de formation de la US Border Patrol, Artesia, Nouveau-Mexique, 2022. (© Debi Cornwall)
Installation “11-Septembre/World Trade Center”, musée JFK des forces spéciales, Fort Bragg, Caroline du Nord, 2021. (© Debi Cornwall)

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Fumigène, centre de combat terrestre et aérien des Marine Corps, Twentynine Palms, Californie, série Fictions nécessaires, 2018. (© Debi Cornwall)
Fond vert, 2022. (© Debi Cornwall)
Couverture de “Citoyens modèles”, de Debi Cornwall, publié aux éditions Textuel.

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“Citoyens modèles”, de Debi Cornwall, est à voir à l’espace Monoprix lors des Rencontres d’Arles, jusqu’au 29 septembre 2024. La série fait aussi l’objet d’un beau livre publié aux éditions Textuel.

Konbini, partenaire des Rencontres d’Arles.