Ce peintre hanté par la Shoah a dessiné ses douloureux souvenirs des camps de concentration dans une chapelle

Publié le par Konbini avec AFP,

© Camille Cassou/AFP/AFPTV

La grande fresque se trouve dans une chapelle médiévale, aujourd’hui menacée par les intempéries.

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Installée dans le creux d’une petite route lotoise, la chapelle médiévale de Maraden a été choisie par Miklos Bokor, peintre d’origine hongroise et rescapé des camps de concentration nazis, pour y abriter une fresque monumentale sur la Shoah, un “testament” artistique aujourd’hui menacé par les intempéries. Une grande clé permet d’ouvrir la lourde porte de métal protégeant ce sanctuaire et l’œuvre qu’elle abrite, vue seulement par une poignée de visiteur·se·s depuis son achèvement au début de ce siècle.

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À l’intérieur, il faut à l’œil quelques secondes pour embrasser le tableau d’ensemble : sur fond ocre, des centaines de silhouettes sombres ou claires, enchevêtrées, gravées ou peintes, recouvrent murs et voûte. Miklos Bokor “a découvert cette église tout à fait par hasard”, raconte à l’AFP Christine Simonart, amie intime du peintre. Avec un artisan local, “ils sont venus la voir, complètement en ruine, et quand Miklos a franchi l’ouverture, il a vu se dérouler autour de lui tout un support pour une fresque”, dit-elle. Dans les jours qui suivent, l’artiste achète l’édifice bâti à la fin du XIIe siècle.

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Né en mars 1927 à Budapest, Miklos Bokor a été déporté en 1944 à Auschwitz. Sa mère y trouve la mort tandis qu’avec son père, ils sont transférés de camp en camp jusqu’à Bergen-Belsen, où ce dernier est assassiné. Miklos Bokor survit et se lance dans la peinture en autodidacte. Dans les années 1960, il s’exile en France, découvre le Lot et le village de Floirac où il vient passer ses étés.

“Témoignage inouï”

“C’était quelqu’un de profondément tourmenté mais qui ne voulait pas le montrer, il ne parlait pas de ce qu’il avait vécu, il a mis très longtemps avant de m’en parler”, raconte Mme Simonart, ancienne pharmacienne de la commune voisine de Martel, devenue très proche de l’artiste. Dans son œuvre aussi, Bokor, d’abord peintre de paysages, met du temps avant d’évoquer la Shoah. “Ici, c’est presque une sorte de testament, une dernière volonté artistique”, pense Mme Simonart. Dans le dédale des corps esquissés sur les parois, Bokor a tracé un des seuls souvenirs qu’il a gardés des camps : ce moment où il tend son chapeau à son père pour le protéger du froid alors qu’ils vont bientôt être séparés et ne se reverront plus.

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L’œuvre, peinte entre 1998 et 2002, se lit de droite à gauche comme l’hébreu et s’y devinent quelques scènes bibliques : Adam et Ève chassé·e·s du jardin d’Éden ou le combat de Caïn et Abel, tandis que dans la foule des silhouettes, les personnages d’abord habillés et accompagnés d’enfants, deviennent, à mesure de leur progression sur les murs – et dans le camp – de plus en plus décharnés et seuls des adultes subsistent. C’est “un témoignage inouï”, estime Raphaël Daubet, ancien maire de Floirac, de Martel et aujourd’hui sénateur (PRG) du Lot. L’élu, ami d’enfance du fils du peintre décédé en mars 2019, entend préserver cet héritage aujourd’hui menacé.

Trouver un acquéreur

Sur la toiture de l’édifice, des lauzes ont disparu, laissant l’eau de pluie s’infiltrer. À l’intérieur, de larges taches brunes s’étendent sur la voûte et le silence du lieu est troublé par le “ploc-ploc” des gouttes sur le sol de pierre brute. “Il faut agir très vite”, explique le sénateur. “Les travaux d’entretien seront aidés parce que la fresque est classée à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques […] mais il faut trouver un acquéreur capable de la mettre à disposition demain de l’intérêt général.”

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Les héritier·ère·s de Bokor, petits-neveux et nièces du peintre, ont en effet choisi de mettre la chapelle en vente. “Ce sont eux qui, au regard des ventes de tableaux réalisées depuis l’ouverture de la succession et de ce que représentait ce site, ont décidé d’en fixer le prix à 500 000 euros”, précise Hugues du Pradel, l’agent immobilier en charge de la vente. “On a eu des contacts avec la Direction régionale des affaires culturelles, avec le département du Lot, j’ai écrit à des fondations, pour la mémoire de la Shoah notamment, mais je n’ai pas réussi à trouver l’institution capable de réaliser cette acquisition”, raconte M. Daubet. “Il faut qu’on continue ce travail, j’espère que l’on trouvera une solution”, dit-il.