Longtemps, les trois enfants d’un foyer aisé de la Nouvelle-Orléans semblaient être les seuls personnages d’une peinture oubliée, attribuée au Français Jacques Amans. Bélizaire, jeune Noir réduit en esclavage par cette famille, avait été effacé du tableau, désormais accroché au prestigieux Metropolitan Museum de New York. Pour le grand musée qui borde Central Park à Manhattan, il s’agit de “la première représentation naturaliste d’une personne réduite en esclavage dont on a le nom, dans le Sud” des États-Unis, où l’esclavage a officiellement été aboli en 1865, souligne la conservatrice de l’aile du Met consacrée à l’art états-unien, Sylvia Yount.
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“Nous n’avons pas d’autre œuvre similaire dans la collection et cela nous permet de raconter beaucoup d’histoires différentes, intéressantes et complexes”, ajoute-t-elle à l’AFP, devant la peinture, une huile sur toile de 1837, exposée au public. Pourtant, la figure en arrière-plan du jeune domestique, qui se tient droit, les bras croisés et le regard profond, a bien failli disparaître pour toujours de la peinture commandée par le père de la famille, Frederick Frey, un banquier d’origine allemande installé à la Nouvelle-Orléans. On vous racontait d’ailleurs son histoire ici.
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Effacement
Sans qu’on n’en sache l’exacte raison, et probablement au début du XXe siècle, alors que le couple Frey est décédé et que le tableau passé dans les mains d’héritier·ère·s, l’adolescent métis est occulté par des repeints. “La famille n’était peut-être pas fière d’avoir une personne réduite en esclavage sur un tableau, parce que cela impliquait de passer pour une famille d’esclavagistes. L’autre hypothèse, c’est qu’ils ne voulaient pas d’un personnage noir à côté de leurs ancêtres blancs”, suppose Sylvia Yount.
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Le tableau atterrit en 1972 dans les collections du musée d’art de la Nouvelle-Orléans, où il végète plus de trente ans dans les réserves, avant d’être revendu en 2004. Il faudra attendre 2005 pour qu’il soit restauré, à l’initiative d’un nouveau propriétaire, et que la figure du jeune domestique réapparaisse. Mais c’est grâce à un collectionneur de Baton Rouge en Louisiane, Jeremy K. Simien, passionné par les représentations des Créoles et des Africain·e·s-Créoles dans l’art de sa région que le tableau sort de l’anonymat. Il découvre une première fois l’œuvre restaurée sur un site d’enchères, puis, en fouillant dans l’historique des ventes, sa version tronquée cédée par le musée de la Nouvelle-Orléans. “Je pouvais voir l’image à travers, je pouvais voir les contours […], cela m’a vraiment impressionné”, raconte-t-il à l’AFP.
Vendu à 6 ans
Le collectionneur finit par acquérir le tableau en 2021. Il engage une historienne spécialisée, Katy Shannon, qui a fouillé les archives de Louisiane pour découvrir que le jeune domestique peint sur l’œuvre s’appelle Bélizaire et qu’il a été vendu à 6 ans en 1828, avec sa mère, à la famille Frey. Des trois enfants Frey, deux sont morts l’année où le tableau a été peint, et le troisième quelques années plus tard. Bélizaire, le seul survivant du tableau, a lui ensuite été revendu à une plantation de canne à sucre, mais d’après les recherches historiques, il a vécu la fin de l’esclavage.
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“C’est incroyable, je trouve cette histoire fascinante parce que c’est presque comme si Bélizaire, ce garçon dont on ne connaissait pas le nom, refusait d’être effacé”, raconte Jeremy K. Simien. “D’une certaine manière, il sert de représentation à une grande partie de l’histoire qui a été effacée ou remplacée. Et je suis très heureux qu’ils aient compris cela, au Met”, qui a acquis le tableau, ajoute-t-il. Les termes de la transaction entre le collectionneur et le musée sont restés confidentiels. Au Met, l’œuvre est présentée avec son historique et une photo de sa version sans Bélizaire. “Il faut que nous racontions ces histoires plus compliquées”, assure Sylvia Yount.