The Zone of Interest, c’est quoi ?
Le premier film de Jonathan Glazer, assez méconnu et pourtant excellent, Sexy Beast, annonçait un futur grand cinéaste – mais on ne pouvait deviner la radicalisation de son cinéma. Son deuxième, Birth, a beau être l’un des films préférés de Xavier Dolan, il pousse déjà un peu plus loin son cinéma, avec ce petit garçon persuadé d’être la réincarnation du mari décédé il y a quelque temps maintenant de Nicole Kidman. Mais il est encore bien plus académique que son troisième long, carrément plus expérimental pour le coup : le très remarqué Under the Skin. Un film de SF épuré et froid où Scarlett Johansson traque des hommes pour les séduire, les tuer et garder leur peau – en gros.
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Il y a dans ce film une séquence insoutenable, mais où l’horreur est hors-champ, et cadrée/filmée/mise en scène avec une froideur déconcertante : un couple se noie, laissant son bébé sur la plage. Scarlett Johansson dernière assomme un homme pour l’embarquer et part en laissant le nourrisson hurler en fond. On ne voit pas ce jeune être qui va, évidemment, mourir seul sur la plage – un geste horrible et glaçant. Tout est hors-champ.
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Alors imaginez un film entièrement construit et basé sur ce ressenti. 1 heure et 45 minutes de malaise horrifique mais, cette fois, sur le quotidien de la petite famille de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz-Birkenau, qui vit dans une maison accolée au camp de la mort…
Pourquoi c’est bien ?
On n’a jamais vu un film comme The Zone of Interest, dans sa radicalité et dans son propos. Nombre de films ont déjà abordé les horreurs de l’Holocauste. Jonathan Glazer décide de frapper à côté. En adaptant très faussement le livre du même nom de Martin Amis, le cinéaste raconte l’horreur de l’à-côté. Comment la déshumanisation des nazis les rend aveugles à ce point à ce qui se passe littéralement sous leurs yeux.
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Il y a d’abord un scénario d’une grande intelligence. Ne caractérisant qu’assez peu ses personnages pour que l’on comprenne leur vie sans jamais s’attacher à eux, on voit néanmoins les tracas quotidiens d’une famille allemande “classique”. On fait à manger, on lit des histoires aux enfants au lit, on fait du jardinage.
À la différence près que quand on a ce poste et ce grade dans la hiérarchie, on est plus qu’aisé. On a des personnels de maison, on a des prisonniers du camp qui viennent faire les tâches ingrates. On a une petite piscine avec un toboggan, rustique, certes, mais on n’est pas à plaindre. Et pourtant, on se plaint : il y a trop d’officiers qui viennent cueillir des lilas. Par exemple.
Et au milieu de cette fausse banalité se cache l’horreur. L’horreur d’une dent en or avec laquelle un gosse joue ; l’horreur de la fumée des cheminées des fours du camp qui fait tousser la belle-mère venue se ressourcer ; l’horreur d’un rouge à lèvres trouvé dans un manteau d’une déportée.
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Et la banalité, c’est aussi le quotidien de ce commandant qui est coincé dans une entreprise bureaucratique. Car l’un des grands aspects du film, c’est de montrer l’industrialisation et l’administration derrière l’un des plus graves génocides de notre époque. Que ce soit à travers des réunions terribles où l’on parle d’optimisation des crémations ou des discussions avec la hiérarchie pour parler de mutations.
Dit comme ça, cela semble classique. Terrible sur le fond, mais classique. Sauf que la forme est encore plus expérimentale que tout ce qu’a pu faire Glazer jusqu’ici. Vous avez trouvé Under the Skin difficile d’accès ? Vous n’êtes pas prêts pour ce nouveau film.
Il est quasiment uniquement constitué de plans fixes, longs, où la lenteur de l’action est volontairement proche de notre quotidien, avec un travail sur la photo et le grain au plus proche du réel (on n’a jamais vu des couleurs aussi vraies, pas ternes mais qui retranscrivent parfaitement le rendu de l’œil humain) et avec une symétrie, un travail sur le cadre, qui enferment ces employés de l’horreur. Et c’est sans parler du fond sonore, constitué de cris, d’aboiements, de coups de feu et, surtout, du bruit incessant, insupportable, insoutenable des fours.
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On pensait qu’avec cette forme hermétique et pas simple d’approche, ce fond extrêmement perturbant et cette conclusion terrible, les retours critiques allaient être compliqués. Or, non seulement le film fait l’unanimité chez les spectateurs et spectatrices ayant pris le choc en pleine poire, mais la salle ne s’est étonnamment pas vidée pendant la séance.
On retient quoi ?
L’actrice qui tire son épingle du jeu : Sandra Hüller, incroyable (comme d’habitude)
La principale qualité : sa narration, son propos et sa forme
Le principal défaut : trop expérimental dans certaines séquences qui nous sortent du récit
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Under the Skin et le court-métrage The Fall de Jonathan Glazer, le cinéma de Roy Andersson
Ça aurait pu s’appeler : Ma vie de nazi
La quote pour résumer le film : “Radical par son approche, The Zone of Interest est une claque dont on va avoir du mal à se remettre”
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