Mahmood Bakri et Aram Sabbagh, les deux acteurs palestiniens du film Vers un pays inconnu, se considèrent en mission, pour laisser une “empreinte de la Palestine” durant le 77e Festival de Cannes. Le thriller de Mahdi Fleifel, réalisateur palestino-danois, est projeté dans le cadre de la Quinzaine des cinéastes. C’est l’histoire de deux cousins palestiniens, venus d’un camp de réfugiés au Liban, clandestins à Athènes, qui s’enferrent dans les mauvais plans en quête de faux papiers à destination de l’Allemagne. Cette question de l’exil était déjà au centre du documentaire A World Not Ours du cinéaste.
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La guerre actuelle entre l’armée d’Israël et le Hamas palestinien dans la bande de Gaza n’est pas évoquée dans le film, tourné avant, mais est dans les têtes de ses acteurs.“On veut marquer notre présence, nous ne devrions pas penser comme ça, mais on est obligés [par le conflit] : nous sommes Palestiniens, on est à Cannes, on fait des films, on occupe l’espace”, expose à l’AFP Aram Sabbagh, 26 ans, qui a grandi à Ramallah en Cisjordanie. Il est parti en Tunisie pour devenir acteur, mais ses professeurs de comédie lui ont dit que c’était “plus rentable de devenir monteur”, métier qu’il a embrassé. L’acteur choisi initialement pour son rôle a eu – ironie de l’histoire – un problème de visa. Aram Sabbagh a été appelé trois jours avant le début du tournage pour ses grands débuts devant une caméra.
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“On est obligés”
C’est lui qui prend la parole pour le duo quand les questions politiques sont abordées. Mahmood Bakri, 27 ans, issu d’une dynastie du cinéma du monde arabe, qui vit dans le Nord de la Galilée, économe en mots, acquiesce. “Je suis un acteur au début de sa carrière, bien sûr c’est important d’être à Cannes, même si je ne suis pas tout à fait dans ce mood“, consent l’aîné des comédiens. Pour Aram Sabbagh, Vers un pays inconnu est un “projet palestinien fort” qui offre “un point de vue accessible à tous, différents des autres films [pas tournés par des Palestiniens]“. “Ça permet aux Occidentaux d’appréhender les choses avec empathie et de comprendre.”
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Les comédiens racontent que le Festival de Cannes, qui se veut apolitique, a fait passer la consigne d’éviter les signes partisans sur le tapis rouge. “C’est légitime, je comprends, si tout le monde amène son drapeau ça va être la Coupe du monde de foot”, commence Aram Sabbagh. “Mais la situation nous y oblige, on est obligés de se montrer avec nos keffiehs, car la guerre nous anéantit.” Des références au conflit sont discrètement apparues sur le tapis rouge depuis le début du festival. Comme ce ruban jaune accroché à une veste, symbole en soutien aux personnes prises en otage par le Hamas le 7 octobre, ou un pin’s pastèque, l’un des symboles de la résistance palestinienne.
“Mourir avant d’arriver”
Ambassadrice de bonne volonté du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), Cate Blanchett a même soulevé un pan de sa robe, verte en dessous, ce qui a été interprété comme un rappel des couleurs du drapeau palestinien, sans que la star ne s’en explique. Vers un pays inconnu met en lumière, comme le dit Aram Sabbagh, “cette malédiction : tu es poussé à vouloir partir mais tu peux mourir avant d’arriver ou même avant de partir”. “Tu t’épuises dans cette course contre la montre et à la fin, tu restes piégé sans pouvoir bouger.”
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Mahdi Fleifel a demandé à Aram Sabbagh, tatouages apparents aux mains et cuisses, d’amener son skate pour en faire une touche de son personnage. L’acteur était d’abord “réticent” à mettre un peu de lui dans ce rôle, mais ça a fini par le déstresser pour ses grands débuts. Le lieu du tournage à Athènes, où errent des migrant·e·s, a permis au duo de s’immerger dans leur rôle. “Tous les jours, quand on allait se prendre un café, on les croisait, on leur parlait. On avait même des extras sur le tournage qui étaient vraiment des migrants piégés à Athènes.”