Cannes : Emilia Perez, la comédie musicale kamoulox avec Selena Gomez, pourrait s’avérer un sérieux prétendant à la Palme d’Or

Publié le par Manon Marcillat,

Le pari un peu fou de Jacques Audiard nous a sortis de notre torpeur, au milieu d’une compétition sans grand coup de cœur.

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Emilia Perez, c’est quoi ?

En 2021, Jacques Audiard présentait en Compétition officielle Les Olympiades, un film qui signait le renouveau d’un réalisateur adepte d’un cinéma plutôt viril aux rôles masculins forts en chroniquant les amours et le désir d’une jeunesse parisienne d’aujourd’hui, plurielle et perdue. Cette année, il a une nouvelle fois été sélectionné en Compétition officielle pour Emilia Perez, un projet kamoulox dont on savait bien peu de choses, en dehors de quelques éléments de contexte — une comédie musicale mexicaine avec Selena Gomez qui nous conterait la transition de genre d’un bandit — qui nous laissaient perplexes, redoutant un film qui n’existerait que pour la note d’intention, pop et faussement provocatrice, d’un cinéaste qui aurait désormais décidé de s’amuser envers et contre tout, quitte à frôler le ridicule.

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Toujours accompagné de son fidèle coscénariste Thomas Bidegain, Jacques Audiard a donc imaginé une comédie musicale qui trouve racine dans les cartels de Mexico City où Rita (Zoe Saldaña), une avocate dont on exploite les talents pour blanchir le mal, va se voir offrir une mission pour le moins inattendue par Manitas, le chef d’un puissant cartel qui l’embauche pour l’aider dans sa transition de genre. Monnayant beaucoup d’argent, elle va donc se mettre en quête du meilleur chirurgien plastique du monde pour l’aider à changer d’identité, se retirer des affaires, du monde et de sa vie de famille.

Quatre ans plus tard, Rita retrouve Manitas, désormais Emilia Perez (Karla Sofía Gascón), la femme qu’il a toujours rêvé d’être et qui va solliciter une nouvelle fois la désormais avocate accomplie pour l’aider à retrouver sa femme Jessica (Selena Gomez) et ses enfants qui ne savent rien de sa transition, croyant Manitas assassiné dans un règlement de compte.

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Pourquoi c’est bien ?

Cette année sur la Croisette, on ne peut dissimuler une certaine forme d’admiration pour les réalisateurs qui se mettent en danger, comme Magnus Von Horn qui, un peu plus tôt dans la semaine, présentait La Jeune Femme à l’aiguille, un drame en noir et blanc sur une tueuse d’enfant dans le Danemark des années 1920 après avoir documenté, en 2022, le quotidien d’une influenceuse fitness polonaise dans Sweat. C’est cette même opération qui nous a réjouis dans Emilia Perez, première incartade dans la comédie musicale d’un cinéaste en grand chambardement, qui nous a cueillis par son audace, parfois imparfaite, souvent over the top.

Émérite scénariste d’Un prophète, De rouille et d’os ou Saint-Laurent de Bertrand Bonello, Thomas Bidegain ne s’est ici pas embarrassé de subtilités d’écriture. Pourquoi Rita est-elle choisie par Manitas pour mener à bien cette improbable, extraordinaire et dangereuse mission et surtout, pourquoi l’accepte-t-elle, au-delà de sa frustration professionnelle ? Mystère. Mais là n’est pas là question, que l’on ne nous laisse pas le temps de se poser, puisque nous voilà immédiatement embarqués dans un invraisemblable voyage en première classe où des chirurgiens chantent et dansent la transition de genre ou donnent leur avis non sollicité sur le bien-fondé de cette opération.

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Quatre ans plus tard, lorsque Emilia retrouve Rita, les deux femmes désormais amies vont lancer ensemble une association pour retrouver et rapatrier les corps des très nombreuses victimes des cartels pour aider les veuves et orphelins dans leur deuil. Là se situe le nerf de la folle histoire imaginée par Audiard et Bidegain : est-ce que changer de genre modifie également la nature profonde de l’humain et dès lors, perçoit-il différemment la violence qu’il a pratiquée à outrance par le passé ? Vous avez quatre heures. Ou plutôt 2 h 15, le temps du film, qui ne développe que très peu ce vaste questionnement, pris pour acquis.

Un manquement que l’on aurait pu reprocher au réalisateur s’il ne nous avait pas régalé les yeux, les oreilles et le cœur d’une comédie musicale comme nulle autre, à la fois kamp tendance telenovelas, tantôt kitsch, tantôt résolument moderne. À l’écran, se succèdent des chansons sur l’amour, la corruption, la mort, l’identité de genre ou l’odeur du Coca Cola light, en espagnol et composées par la chanteuse Camille et son compagnon Clément Ducol, dans des séquences capturées par Paul Guilhaume, chef opérateur des documentaires de Sébastien Lifshitz ou des longs-métrages de Léa Mysius.

Aux côtés de Karla Sofía Gascón, d’abord Manitas, une brute douce à la voix d’ange, puis Emilia, femme aux multiples facettes, Zoe Saldaña, danseuse de formation, chante, danse et mène le film avec une autorité et une détermination impressionnante. Selena Gomez, d’abord femme de chef de gang éplorée, se défait de sa condition dans ce qui sera la meilleure chanson du film, pour devenir amie, amante, amoureuse et vengeresse, dont on aurait aimé voir la voix et le talent davantage exploités à l’écran. Mais cet improbable melting-pot et ce pari un peu fou nous ont sortis de notre torpeur, au milieu d’une compétition sans grand coup de cœur.

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On retient quoi ?

L’actrice qui tire son épingle du jeu : Karla Sofía Gascón, qui joue double jeu.
La principale qualité : son audacieuse folie et ses chansons éclectiques.
Le principal défaut : des manquements au scénario.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Femmes au bord de la crise de nerfs de Pedro Almodovar, Spring Breakers d’Harmony Korine.
Ça aurait pu s’appeler : “Narcos : les femmes mènent la danse”
La quote pour résumer le film : “Première incartade dans la comédie musicale d’un cinéaste en grand chambardement, qui nous a cueillis par son audace, parfois imparfaite, souvent over the top, mais toujours réjouissante.”