Kinds of Kindness, c’est quoi ?
Avec Pauvres Créatures l’année dernière, Yórgos Lánthimos avait tout raflé dans les cérémonies de remises de prix internationales, des Oscars aux Golden Globes en passant par la Mostra de Venise et les BAFTA. Mais le réalisateur grec ne comptait pas pour autant se reposer sur ses lauriers et planchait déjà avec son scénariste sûr Efthymis Filippou (Canine, The Lobster, Mise à mort du cerf sacré) sur son prochain film, And, finalement rebaptisé Kinds of Kindness. Un projet encore une fois très différent de ses huit précédents longs-métrages, afin de poursuivre son exploration des genres et du cinéma postmoderne de la Terre des dieux, aussi appelé “Greek Weird Wave”.
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Kinds of Kindness emprunte le format anthologique très prisé des séries (American Horror Story, Fargo, True Detective), qui consiste à changer de personnages, de décors et d’histoire à chaque épisode, avec parfois les mêmes acteurs et actrices qui reviennent pour incarner des protagonistes différents. Dans son neuvième film, Yórgos Lánthimos propose un triptyque dans l’Amérique contemporaine, trois histoires nuancées mais aussi subtilement connectées entre elles. Trois récits qui s’articulent autour d’un cast comme toujours prestigieux, avec le retour de ses nouvelles stars fétiches, Emma Stone et Willem Dafoe, mais aussi la présence de Jesse Plemons, de Hong Chau, de Margaret Qualley ou encore de Mamoudou Athie.
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Le premier segment introduit cet univers étrange et satirique à travers le destin d’un homme qui ne parvient pas à échapper à l’emprise de son patron sur sa vie professionnelle et intime. Le second s’attarde sur un policier persuadé que son épouse, disparue après un naufrage sur une île déserte, ressurgit en tant qu’impostrice. Enfin, le troisième acte met en scène une femme à la recherche d’un mystérieux messie pour le compte d’une secte fascinée par la pureté de l’eau.
Bienvenue dans le monde incongru, surprenant, sombre et drôle à la fois de Kinds of Kindness.
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Pourquoi c’est très bien ?
Si vous n’avez jamais vu un film de Yórgos Lánthimos, Kinds of Kindness risque bien de vous ensorceler avec sa patte singulière. Dans le cas contraire, vous serez en terrain connu même si, encore une fois, le cinéaste grec parvient à se réinventer avec élégance et authenticité. Son nouveau long-métrage découpé en trois segments est une étude de cas sur la gentillesse et ses dérives vers la cruauté. Une fable humaine intimiste, ironique, souvent tordante, parfois glaçante — d’ailleurs de plus en plus glauque au fil des actes — qui s’interroge sur une forme de bienveillance outrancière bien que nécessaire au vivre-ensemble de la société actuelle.
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Qu’est-ce vraiment la bonté humaine, d’où vient-elle et quelles sont ses limites ? Lánthimos interroge le spectateur de façon quasi philosophique sur cette question, citant et confrontant les points de vue de Tolstoï, Nietzsche ou encore Spinoza pour les confronter au sein d’une quête du bonheur torturée. Il joue de façon presque diabolique avec ses héros au grand cœur, d’abord Jesse Plemons par deux fois puis Emma Stone dans le dernier segment, évoluant sous l’emprise d’une figure toxique et influente : un patron véreux, un mari autoritaire et un tandem de gourous vicieux. Ou comment la voie de la gentillesse peut mener à celle de la naïveté, puis à la soumission, à la manipulation, aux abus psychologiques, physiques voire sexuels.
Dans son premier acte, Kinds of Kindness est une comédie noire sur l’influence néfaste et les jeux de pouvoir dans le monde du travail, qui peuvent aller jusqu’à nous priver de nos libertés individuelles, rappelant au passage le thème de la brillante série Severance. Puis, le film se dirige progressivement vers une forme beaucoup moins burlesque de cette notion d’endoctrinement, où Lánthimos ausculte les conséquences du syndrome de Stockholm sur ses victimes. C’est passionnant, déchirant voire carrément perturbant lors d’une scène de viol conjugal dans le dernier segment, le plus absurde (et difficile à comprendre) mais aussi paradoxalement le plus réaliste.
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Le réalisateur offre un terrain de jeu excitant et galvanisant à ses acteurs, Jesse Plemons en tête. L’acteur américain, découvert dans Breaking Bad, y dévoile tout son talent pour camper avec un naturel fou l’Américain middle class, tantôt salarié d’une grosse société, tantôt flic au bord de la rupture psychologique, et finalement membre d’un culte spirituel ubuesque. En parallèle, Jesse Plemons forme régulièrement un duo truculent avec Emma Stone, solaire et stupéfiante comme à son habitude. De manière générale, tous les membres du casting sont brillants et font de ce triptyque une master class d’acting.
Il est parfois difficile de complètement cerner l’esprit inventif et non conformiste de Yórgos Lánthimos, qui souffle un vent de fraîcheur délicieusement surréaliste sur le grand écran actuel. Malgré son rythme de production effréné ces dernières années, qui pourrait laisser craindre une forme de précipitation créative, le cinéaste continue pourtant de nous surprendre et d’insuffler à ses films une vision unique, un amour du texte percutant et une cour de récréation captivante pour ses acteurs.
Si la sobriété relative de Kinds of Kindness n’a pas suffit à emballer le jury de Greta Gerwig cette année (Jesse Plemons est tout de même reparti avec le Prix d’interprétation masculine), on ne doute pas que le génie d’Athènes finira par obtenir une Palme d’Or au cours de sa carrière déjà épatante.
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On retient quoi ?
L’acteur qui tire son épingle du jeu : Jesse Plemons, avec trois partitions brillantes enfin à la hauteur de son talent, qui compose en plus un duo savoureux avec Emma Stone dans les deux derniers segments du triptyque.
La principale qualité : La liberté et surtout la variété de tons de Lánthimos, dans une satire drôle, percutante, sombre et finalement terrifiante de réalisme.
Le principal défaut : Un troisième acte un poil moins intense et vraiment très, peut-être trop, obscur pour en saisir pleinement la portée.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Pauvres Créatures, Anna Karenine de Clarence Brown, Grave de Julia Ducournau, Midsommar d’Ari Aster, la série Black Mirror de Charlie Brooker.
Ça aurait pu s’appeler : Secte, drogues & rock’n’roll.
La quote pour résumer le film : “Une fable humaine ironique, souvent drôle, parfois glaçante, d’ailleurs de plus en plus glauque au fil des actes, qui s’interroge sûrement sur la pseudo-bienveillance nécessaire au vivre-ensemble de la société actuelle”.