Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.
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Librement adapté du roman éponyme de Greg Girard et du manga de Andy Seto et Yu Er, City of Darkness (ou Twilight of The Warriors: Walled In dans son titre original) était attendu de pied ferme depuis un moment par tous les amateurs de castagne cinématographique en raison de son casting prestigieux. Si vous n’êtes pas familier du cinéma asiatique, les noms qui suivent ne vous diront peut-être rien mais on est bel et bien face à un rendez-vous all-stars de l’industrie.
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On y retrouve déjà le réalisateur Soi Cheang, tout juste auréolé du succès international de son polar nihiliste Limbo (sorti chez nous l’an dernier) et connu aussi pour l’ultra-bourrin SPL 2, avec Wilson Yip à la production (la saga IP Man, c’est lui !), le chorégraphe Kenji Tanigaki pour l’action (déjà responsable de tous les combats sur la franchise Rurouni Kenshin) ou encore le mythique compositeur Kenji Kawai (Ghost in the Shell). Et ça se bouscule aussi devant la caméra, avec entre autres l’acteur superstar Louis Koo, ou Sammo Hung, l’un des principaux collaborateurs de Jackie Chan qui a œuvré dans plus de 200 films, et plus connu chez nous pour avoir incarné le flic de Shanghaï dans la série du même nom.
Avec un tel alignement de grands noms, City of Darkness est un des événements du cinéma chinois cette année, attendu depuis maintenant 2 ans, avec la promesse de combats délirants et de prouesses martiales folles à l’écran. Et avant même d’en arriver aux patates de forains et coups de pied renversés, le film mérite toute notre attention pour son cadre atypique.
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Kowloon Walled City, la véritable star du film ?
À l’origine de toute cette histoire, il y a Kowloon Walled City, une ville enclavée aux abords de Hong Kong, qui existait jusqu’en 1993. Cet agrégat d’immeubles et d’appartements bricolés les uns à travers les autres sur la base d’un fort militaire a été pendant un siècle une terre d’accueil pour tous les réfugiés venant de part et d’autre d’Asie. Tout ça dans un contexte politique délicat, les gouvernements britanniques, chinois et hongkongais se renvoyant la balle pendant des décennies sur le sort d’un tel lieu, vite gangrené par les triades et en autogestion complète. Résultat : Kowloon a grossi de toute part pour devenir tentaculaire et accueillir la plus grande densité de population au monde, avec pas moins d’1,2 million d’habitants au kilomètre carré !
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Ce lieu hors du commun et presque surréaliste avait déjà été une source d’inspiration pour le quartier de Narrows dans le Batman Begins de Christopher Nolan, et pour Soi Cheang dans son polar Limbo, qui mettait en scène une ville au bord de l’implosion, rongé par la crasse. Soi Cheang s’en sert ici comme décor pour un film hautement plus musclé, en suivant le parcours d’un immigré dans les années 1980 qui s’y réfugie non sans mal, pour se retrouver pris dans une histoire de gangsters tout en s’acclimatant à la population de cette citadelle hors norme.
Dès lors, Kowloon est peut-être l’attraction principale du film, tant elle enferme tous les personnages dans cet amas sans fin de tôle, de béton et de câbles, où la lumière du soleil est quasi inexistante sans même parler de la moindre plante, le tout baignant dans une insalubrité permanente. Les personnages semblent tous écrasés par cette montagne de ciment, ce que Cheang met en exergue tout du long avec des cadres qui les isolent au milieu de cet ogre architectural.
Et, non content d’être un décor spectaculaire qui reflète un urbanisme devenu fou, Kowloon est surtout un théâtre riche en histoires par ses ramifications politiques et sociales, ce que le film prend le temps d’explorer via le parcours de son héros Chan Lok Kwan (campé par l’impeccable Raymond Lam), qui va découvrir l’organisation de la vie en son sein. Soi Cheang a déjà l’élégance de ne pas céder au misérabilisme, réussissant à trouver de la beauté dans un endroit pareil, avec une communauté soudée qui n’a sa place nulle part ailleurs, ce qui ne manque pas d’avoir quelques échos avec l’actualité internationale.
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Pour autant, il s’intéresse aussi à ce lieu pour sa fragilité et les manigances qui le régissent, la vie n’étant évidemment pas de tout repos avec son lot de tragédies, notamment au détour d’une sous-intrigue poignante avec une petite fille surnommée Boulette.
Tout en posant un nombre impressionnant de grandes gueules et de caractères bien trempés (qui sont immédiatement identifiables les uns les autres, malgré le grand nombre de personnages dans le film), le scénario parvient à nous faire comprendre les motivations de chacun, et la quête de survie qui les régit. En clair, City of Darkness honore un tel lieu, reconstitué avec un soin maniaque et des décors souvent stupéfiants par le foutoir permanent qui y règne, et tient à montrer fidèlement comment la vie s’y organisait, ce qui suffit à le rendre déjà captivant. Mais, en plus, ils se sont dit que ça ferait un super décor pour des combats dantesques, et ils ont bien eu raison…
Le bon équilibre entre réalisme et prouesses physiques
On l’a dit en préambule, ce projet était avant tout attendu comme un grand rendez-vous pour le cinéma d’action, et c’est peu dire que le résultat est à la hauteur des attentes. Que ce soit dans ses 20 premières minutes qui donnent le ton avec une fuite en avant d’une sauvagerie assez folle, lorsque notre héros entre dans Kowloon sans y être invité, ou dans des grands combats dans le troisième acte quand la situation s’envenime, City of Darkness fait la part belle aux affrontements martiaux secs, virtuoses et sales.
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Aussi bien dans les chorégraphies que dans sa mise en scène, Soi Cheang trouve le juste milieu entre la mise en avant du talent martial indéniable de ses interprètes, capable de prouesses physiques parfois dingues quand ils bondissent de toute part du décor, et un aspect plus réaliste et terre à terre, nos bons hommes se mangeant en pleine poire à peu près tout ce qui leur passe sous la main, sans aucun respect pour le mobilier ! Et ce ne sont jamais les derniers pour traverser les murs, tout comme les armes blanches sont de sortie pour quelques effusions de sang.
Sur ce canevas réaliste, où on casse des bras et fracture des mâchoires rapidement, vient se greffer un peu de fantaisie dans la dernière partie, avec un adversaire virtuellement invincible grâce à un “pouvoir” mystérieux. Dès lors, le film assume un parti pris plus manga et shonen, l’occasion de faire monter les enjeux pour un climax éprouvant, d’autant que nul n’est à l’abri d’y passer avant la fin.
Sans tomber dans une esthétique ultra-brutale à la The Raid, avec plus de folie dans la chorégraphie, et grâce à un découpage aussi lisible que dynamique, qui s’oppose au plein cadre permanent à la John Wick, Soi Cheang honore la tradition hongkongaise et perpétue un style unique qui prouve qu’il en a encore dans le ventre, d’autant plus avec l’ombre écrasante du cinéma coréen ces dernières années sur le genre.
Surtout, il le fait dans un film bien mieux construit que ce qu’on a pu voir de la part de ses camarades récemment sur nos écrans (notamment Raging Fire ou Sakra avec Donnie Yen), en se servant de l’instinct de survie de ses héros pour justifier le carnage à l’écran.
Il en ressort un film qui transpire la rage de vivre, avec des personnages bien plus attachants qu’ils n’en ont l’air, pour un spectacle musclé dans un contexte historique passionnant à redécouvrir.