Anatomie d’une chute, c’est quoi ?
Après La Bataille de Solférino, Victoria et Sibyl, Justine Triet revient pour la quatrième fois à Cannes pour y présenter son nouveau long-métrage, une nouvelle fois en Compétition officielle. Elle y retrouve la grande actrice allemande Sandra Hüller, déjà au casting de Sibyl, en réalisatrice au bord de la crise de nerfs.
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Cette fois-ci, elle incarne le rôle principal, celui de Sandra, une autrice d’origine allemande qui vit dans les Alpes françaises avec enfant et mari, jusqu’à la chute mortelle de ce dernier du balcon de la maison. Accident ou suicide, elle finira par être soupçonnée de meurtre au cours d’un procès intense et impudique où sera disséquée la vie privée du couple. Daniel, leur fils malvoyant de 11 ans, assistera au procès de sa mère et se révélera en être le témoin clé.
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Justine Triet est une réalisatrice de la constance, dans ses sujets aussi bien que dans l’immuable qualité des films qu’elle nous offre tous les trois ans. En 2013, elle réalisait le tourbillonnant La Bataille de Solférino, un singulier premier film avec une Lætitia Dosch en envoyée spéciale rue de Solférino lors du dernier tour de l’élection présidentielle de 2012. Déchirée entre ses impératifs professionnels et ses enfants en bas âge, celle-ci se livre également à une autre bataille contre son ex instable.
Trois ans plus tard, elle reprenait, en creux, cette thématique de mère courage en l’apposant à un personnage féminin beaucoup plus sombre et ambigu dans Victoria. En choisissant Virginie Efira pour le rôle de Victoria Spick, brillante avocate prise dans le tourbillon d’une autre spirale, dépressive cette fois-ci, et qui élève seule ses deux filles, la réalisatrice faisait définitivement basculer la carrière de l’actrice du côté des meilleures.
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Dans le capharnaüm de cette comédie sentimentale à la fois burlesque et dramatique et son ballet effréné de personnages, d’émotions et de situations, Victoria ouvrait la voie à Sibyl, le troisième long-métrage de Justine Triet, qui offrira une nouvelle fois un rôle de femme complexe à Virginie Efira, qui incarne là une psychanalyste au bout du rouleau qui décide de se replonger dans l’écriture en faisant d’une de ses patientes, actrice en détresse, la source d’inspiration première de son roman bien malgré elle.
Mais c’est bien ?
Anatomie d’une chute est donc un nouveau film de procès atypique, comme l’était déjà Victoria, mais cette fois-ci sans Virginie Efira – et certainement beaucoup plus documenté sur le système judiciaire –, écrit à quatre mains avec Arthur Harari (Onoda) comme ce fut également le cas pour son précédent film.
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Mais avec ce quatrième long-métrage, c’est comme si la réalisatrice s’éloignait de son dispositif et de ses thématiques de l’ordre de l’ultra-intime pour mieux les renforcer, dramatisant les enjeux pour offrir à son récit une dimension autre, l’inscrivant dans une histoire plus grande, plus politique aussi, mais toujours dans la continuité de ce qui fait l’essence de son cinéma, qu’on aime plus que tout.
Ici, c’est donc un nouveau récit en toile d’araignée qui se tisse autour d’une héroïne complexe et la fait prisonnière du labyrinthe de sa propre psychologie mais également des procédures judiciaires. Si dans les précédents films de Justine Triet on entrait en parfaite empathie avec ses héroïnes imparfaites, chaotiques et si humaines, Sandra s’inscrit dans une nouvelle typologie de personnages féminins, toujours aussi intéressante mais que l’on ne peut sonder.
L’interprétation de Sandra Hüller y est remarquable et mérite sans conteste le prix d’interprétation féminine. Sur un fil perpétuel, et de l’ouverture du film – une conversation en plan très serré entre elle et une jeune femme qui l’interview – à la toute fin, en passant par ses rares craquages et ses moments de tendresse avec son fils, jamais on ne parviendra à la pénétrer.
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Ici, le registre n’est plus tragicomique, il y est seulement tragique mais toujours articulé autour d’une mère en difficulté – non plus en raison de problèmes financiers, de gestion d’emploi du temps ou de père défaillant mais parce que par deux fois, son enfant a vécu le pire, la perte de la vue et la perte de son père.
Pourtant dramatique, la situation de cet enfant désormais orphelin de père, qui assistera à l’autopsie et à la reconstitution de la chute funeste puis à l’anatomie publique des conflits parentaux, dépression paternelle et trahison maternelle, n’est jamais démonstrative. En creux de cette anatomie d’une chute, la réalisatrice nous livre la plus passionnante des anatomies de couple.
Justine Triet réussit à nous plonger dans un trouble presque hypnotisant dès le début du film, lorsque le mari de Sandra, hors-champ, interrompra volontairement l’interview en jouant en boucle un morceau à un volume assourdissant, plongeant personnages et spectateurs dans un malaise et un questionnement perpétuels. Les détails essentiels au récit se font attendre – pourquoi cet enfant est aveugle, qui est cet étrange ami qui lui vient en aide – avant de venir s’imbriquer exactement au bon endroit et au bon moment grâce à un sens du timing et une écriture parfaitement maîtrisés. Rien dans le film d’une durée de 2 heures et 30 minutes n’est superflu et chaque détail trouvera une réponse ou une résonance quelque part.
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Anatomie d’une chute confirme le talent de Justine Triet qui, tout en haut, est définitivement la meilleure de nos réalisatrices françaises.
On retient quoi ?
L’acteur qui tire son épingle du jeu : Milo Machado Graner, épatant et bouleversant en Antoine Doinel moderne
La principale qualité : proposer autre chose tout en conservant l’essence du cinéma de Justine Triet
Le principal défaut : sa durée dans notre timing cannois très serré
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : les autres films de Justine Triet, Snow Therapy, Saint Omer
Ça aurait pu s’appeler : Scènes de la vie conjugale ou Anatomie d’un divorce, le film
La quote pour résumer le film : “La confirmation de la plus grande cinéaste française”