Caiti Blues ou le portrait inédit d’une jeunesse américaine

Publié le par Sophie Grech,

(© Shellac)

Rencontre avec la réalisatrice Justine Harbonnier pour son documentaire Caiti Blues, passé par l’ACID en mai dernier et en salle depuis le 19 juillet.

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Depuis 1993, l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) travaille à mettre en lumière, pendant le Festival de Cannes, des talents plus atypiques et plus confidentiels de la création cinématographique. Certain·e·s cinéastes passé·e·s par l’ACID bénéficient d’ailleurs d’une certaine notoriété aujourd’hui. Pour n’en citer que quelques-uns : Patricia Mazuy, Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Sophie Letourneur, Jim Cummings, ou encore la lauréate de la Palme d’or de cette année, Justine Triet, qui y avait présenté La Bataille de Solférino en 2013. Lors de sa dernière édition, l’ACID a notamment présenté le très beau Caiti Blues, premier long-métrage documentaire de Justine Harbonnier.

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Caiti est originaire de New York, et depuis sa plus tendre enfance, elle rêve de faire de la scène, d’être une star de la comédie musicale, du théâtre, de l’humour, du cinéma… Peu importe le domaine, Caiti est faite pour briller. Sur le temps du documentaire, le spectateur est invité à suivre l’intimité de cette jeune femme d’une trentaine d’années qui s’est exilée du bouillonnement de sa ville natale pour vivre à Madrid au Nouveau-Mexique, une petite bourgade où elle exerce en tant que serveuse et tient une émission dans la radio locale.

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Qu’est-il arrivé à cette enfant rêvant de célébrité ? Comment Caiti s’est-elle retrouvée loin des métropoles foisonnantes de possibilités professionnelles et culturelles ?

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Caiti Blues, c’est l’anti-road movie”

Caiti Blues, c’est avant tout une véritable rencontre humaine entre Caiti Lord et la cinéaste Justine Harbonnier. Les deux jeunes femmes partagent un besoin créateur qui s’exprime dans leurs arts respectifs, comme l’explique cette dernière :

“J’ai rencontré Caiti en 2013, il y a dix ans, en Floride, lorsque je tournais mon premier court-métrage – c’était déjà un portrait de femme. Quand je vois Caiti pour la première fois, je l’entends chanter, et quelque chose se passe avec ce personnage, j’ai envie d’en savoir plus.”

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Documentaire intimiste sur la recherche de soi, la persévérance et le combat intérieur, Caiti Bues est également un long-métrage politique. C’est d’ailleurs un événement américain majeur qui fut le déclencheur du projet, comme nous raconte la réalisatrice :

” Trois ans après ma rencontre avec Caiti, je vis à Montréal, et Trump est élu ! Je vis cette élection un peu comme un choc. Le futur change définitivement. J’ai l’intuition de partir à Madrid au Nouveau-Mexique où Caiti vit. Nous sommes toutes les deux dans des périodes compliquées de nos vies, et j’ai envie de l’accompagner dans ce qu’elle traverse.

J’ai l’impression que ça va raconter quelque chose d’un blues, d’un spleen que j’observe dans la génération autour de moi.”

Madrid, au Nouveau-Mexique, est un village de trois cents habitants figé dans une ambiance hippie et traversé par des touristes. Pour Caiti aussi, cette ville n’aurait dû être qu’une étape sur son chemin pour San Francisco. Mais elle a décidé un peu par hasard de s’installer dans cette ville atypique. Un cadre particulier que Justine Harbonnier a su capter dans son étrangeté et sa bienveillance.

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“Madrid est une ville de foisonnement artistique, c’est une ville d’anticonformistes. Caiti est tombée amoureuse de cette ville où tout le monde est un peu cassé. Tout comme elle, j’ai eu une connexion avec l’étrangeté du lieu.”

Le film joue, malgré lui, avec les attentes du spectateur. Face aux ambitions de Caiti, le public ne peut s’empêcher de projeter une forme de happy end de cinéma où la jeune femme réalise ses ambitions de performeuse. Et pourtant, les choix de Caiti ajoutent une profondeur singulière au discours du long-métrage.

“Caiti Blues, c’est l’anti-road movie, c’est un film sur l’immobilisme. Dans cet immobilisme, elle trouve le moyen de se réinventer. Être à un autre endroit sans s’être déplacée. Elle n’a pas bougé, mais quelque chose s’est passé en elle. Quand j’ai commencé le documentaire, j’ai cru que j’allais filmer un nouveau départ, qu’elle change de vie. Elle vit encore à Madrid.”

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La magie de Caiti Blues, c’est que derrière cette plongée dans l’intimité de Caiti, le film nous offre en réalité un double portrait de femmes : celui de Caiti et celui de Justine. Du traumatisme politique commun naît une thérapie par l’art. Caiti chante et Justine travaille sur ce long-métrage complexe qui utilise la grammaire du documentaire mais la narration et le montage de la fiction.

Cette recherche formelle, qui confirme Justine Harbonnier comme cinéaste à suivre de près, s’explique ainsi, selon celle-ci :

“La recherche de ce film est très personnelle : trouver sa voix ! C’est mon parcours tout autant que le parcours de Caiti. Au début, c’est un peu cliché, mais j’ai envie de faire un film parce que rien ne va, pour aller dans la lumière. Que ce dispositif nous mette en action. Sa voix est pour moi l’incarnation de l’espoir. J’espère que le film sera témoin de cette éclosion, témoin d’un éveil artistique.

Je ne sais pas si j’ai complètement trouvé ma voix de réalisatrice, en tout cas, il est certain que je m’interroge beaucoup sur le rapport du cinéma hybride – entre fiction et documentaire.”

(© Shellac)

Un anti-road movie, un film introspectif, un documentaire atypique… Caiti Blues fait partie de ces films remarquables que l’on ne peut pas réellement ranger dans une catégorie. Il est pourtant chose certaine que Caiti Blues est un somptueux portrait de femme. Justine Harbonnier s’est d’ailleurs nourrie d’une nouvelle mouvance de représentation féminine en cinéma, en littérature et en série.

Elle est empreinte d’influences québécoises (elle-même vivant à Montréal au commencement de son documentaire) et du travail de l’autrice Maggie Nelson. Mais son inspiration première est une artiste qui a révolutionné la représentation des jeunes femmes dans la fiction :

“J’ai été très inspirée par la série Girls de Lena Dunham, on est très loin des portraits conventionnels de ‘la femme puissante’. Je pense que j’aime ce genre de cinéma où l’on est dans une exploration contemporaine du féminin. Comment une femme est en prise avec le quotidien, comment elle gère avec la pression de trouver sa place.”

Caiti Blues de Justine Harbonnier est actuellement en salle.