Passer la période de Noël devant des (télé)films réconfortants avec une assiette remplie de cookies qui sortent du four, en 2023, très peu pour moi. J’ai préféré miser sur une autre forme de doudou, aka un petit thriller bien macabre, bien oppressant, mais aussi présumé bien homoérotique : Saltburn, ou le nouveau film réalisé par Emerald Fennell qui avait déjà fait parler d’elle pour le revenge movie Promising Young Woman. Malgré ses accents féministes, un casting intelligent et quelques moments bien sentis (la scène du supermarché avec Paris Hilton en fond, les vrais savent), j’avais trouvé le scénario suffisamment tiré par les cheveux et les twists trop surfaits pour vraiment apprécier le long-métrage – il ne s’agit là que de mon avis et pas celui de l’ensemble de la rédaction. Pas rancunière et curieuse de voir Jacob Elordi dans un autre registre (quoi que, pas tant que ça, mais nous y reviendrons), j’ai donc filé une deuxième chance à la cinéaste. Mais tout de même avec des cookies chauds à proximité, si jamais.
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Saltburn, ça raconte quoi ? Dans les années 2000, Oliver (Barry Keoghan), étudiant boursier issu d’un milieu précaire et au style vestimentaire très désuet, débarque à Oxford et peine à se lier d’amitié avec d’autres étudiants. Il a très rapidement un crush sur le très souvent shirtless Felix (Jacob Elordi), son opposé, puisque chouchou des nanas, populaire et pété de thunes – sa famille au sang bleu possède un château et une dizaine de “valets”, rien que ça. Le second, par un mélange toxique de bonté et de pitié, s’éprend du premier et l’invite à découvrir la vie de palace. Commence alors un jeu tordu où Oli va tout faire pour se tailler une place de choix dans la cour du beau Felix, le roi des lieux, et devenir son favori.
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Saltburn est un maelstrom de références glanées ici et là. La torpeur de l’été, les plans sur Jacob Elordi, tout en nudité et longueur, la naissance du désir chez Oli : tous ces éléments ont un côté Call Me by Your Name évident et omniprésent. Mais l’aspect sordide ainsi que les problématiques de classe sociale et d’identité renvoient plus aisément à Le Talentueux Mr Ripley, où il est également question d’une relation ambiguë entre deux hommes (relation vouée à une issue létale pour l’un d’eux). Des clins d’œil, il y en a un paquet d’autres, jusqu’au théâtre shakespearien. Mais en dépit de toutes ces citations, le film n’arrive à rester fidèle à un seul et même genre. Non pas qu’un mélange de comédie et d’angoisse donne forcément un mauvais résultat, loin de là, mais les transitions restent maladroites. Ainsi, on passe d’une critique sociétale à un drame gothique en une seule scène. Et de la même manière, les protagonistes, eux, peinent quelque peu à convaincre. Leur partition n’est pourtant pas en reste (mention spéciale à Rosamund Pike, toujours impeccable, et Carey Mulligan, méconnaissable en jet-setteuse totalement larguée), mais leurs personnages respectifs se noient dans des clichés très, voire trop, vus et revus. Non, tous les nobles ne sont pas paresseux, fourbes, narcissiques, et surtout naïfs au point de se faire avoir par le premier fils de dealer venu, Oli en l’occurrence. Et si c’est réellement le cas, alors des fictions plus proches de nous, comme The White Lotus pour ne citer qu’elle, proposent des portraits bien plus crédibles.
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Piercing à l’arcade et animal en rut
Paradoxalement, et en dépit de son écriture paresseuse, Saltburn mérite amplement le coup d’œil. Déjà parce qu’il fait froid et que la réalisation, étrangement ténébreuse et solaire à la fois, saura vous réchauffer. C’est pas compliqué : le film est de toute beauté. Eh non, je ne dis pas cela pour les nombreux plans dénudés sur Jacob Elordi en sueur, allongé ou se masturbant comme une bête en rut dans la baignoire. À noter que la nudité est bien plus présente côté hommes que côté femmes et que, une fois n’est pas coutume, quand ils sont nus, ce n’est pas pour servir de respiration comique mais bien pour allumer une certaine flamme. Un exemple de female gaze qui fait son petit effet.
Autre point qui pique la curiosité : ce retour dans les années 2000, à peine palpable et en même temps omniprésent. L’action prenant place il y a presque vingt ans, Felix a un piercing à l’arcade du plus mauvais goût (détail qui n’en est pas un pour ses parents). Les réseaux sociaux quasi inexistants, les storytellings des uns et des autres sont donc moins bien facilement vérifiables. C’est également un plaisir de replonger dans ces looks d’époque, où pièces d’archive (Valentino, Alexander McQueen, Kate Moss pour Topshop) se côtoient sans jurer un seul instant avec celles que l’on arbore fièrement en 2023. Le genre d’items que l’on rêve de chiner en friperie à force de fouiller dans des bacs, la sueur au front. Enfin, même si le scénario est prévisible, il n’en demeure pas moins très appréciable. Oui, dès les premières scènes et les premiers mensonges d’Oli, on sait où l’on va atterrir. Mais qu’importe, on embarque avec plaisir, curieux de voir comment cet amoureux transi dans le déni (ce n’est pas un spoil, l’introduction en dit déjà très long) va s’en sortir pour arriver à ses fins sans se faire griller par ses camarades boursiers ou blindés. L’aspect thriller ne fait pas peur mais demeure anxiogène. Et pour celles et ceux qui resteront jusqu’à la fin, une récompense grinçante et glauque à base de choré dans le plus simple appareil est à la clé. Si ça, ça ne vous donne pas l’eau à la bouche, je ne peux plus rien pour vous…
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Saltburn est disponible en streaming sur Prime Video.