Bref, Orelsan a mis Bref en musique

Publié le par Lenny Sorbé,

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En 2015, Kyan Khojandi et Orelsan créaient ensemble la série Bloqués, pour Canal+. La connexion apparaît plus que jamais évidente aujourd’hui. Car à l’écoute de La fête est finie, on se dit qu’Orelsan était peut-être le “Je” sur lequel Bref était centré.

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“C’est l’album de la maturité.” Typiquement une formule de journaliste, ça. Celle qui veut tout et rien dire à la fois, celle qui maquille sans mal un bref survol en une écoute consciencieuse et éclairée. On l’emploiera aussi bien pour ce jeune musicien dont on a fini par apprécier l’œuvre sur le tard, que pour cet auteur aux écrits frivoles qui daigne un beau jour aborder des sujets que l’on jugera plus “sérieux”. La magie des mots.
Reste que notre sujet du jour a passé l’essentiel de sa carrière à camper un personnage immature mais clairvoyant, qui préfère se morfondre dans ses lubies d’ado plutôt que de se heurter aux dures réalités de l’âge adulte. De ce fait, on s’attendait logiquement à ce que vienne garnir sa discographie un projet qui porterait cette étiquette usitée. Ce vendredi 20 octobre, Orelsan nous a livré La fête est finie, son premier solo depuis 2011 et Le chant des sirènes. Il était temps.

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Quand il ne l’interprétait pas sur disque, le rappeur caennais poussait son rôle d’éternel adulescent jusqu’à nos écrans. Ceux des salles obscures, en décembre 2015, avec le long-métrage Comment c’est loin ; comme ceux de nos humbles foyers, avec la shortcom Bloqués, diffusée sur Canal+ un peu plus tôt dans la même année. Sur celle-ci, il était épaulé par Kyan Khojandi et Bruno Muschio, qui s’étaient déjà essayés à narrer la morosité de la vie de trentenaire à travers les 82 épisodes de Bref. L’histoire d’un gars lambda et conscient de l’être, qui “mange souvent le papier des sandwichs”, “ne connaît pas la taille de ses pantalons” et compte “quinze Seb et onze Nico sans nom de famille dans son répertoire” (“Bref. Je suis comme tout le monde.”).

Tout pour être heureux… mais non

Aurélien Cotentin a 35 ans. Un âge où le “Monsieur” est de rigueur, où l’on ne saurait songer à l’avenir sans le confort d’une situation stable, sans évoquer d’hypothétiques bambins. Le poids des années met naturellement à mal ses appuis vieillissants, et sa lourdeur se fait de plus en plus régulièrement ressentir dans sa vie quotidienne. Il trouve désormais la Vodka-RedBull “dégueulasse” et le son que crachent les enceintes bourdonne douloureusement dans ses oreilles (“La fête est finie”). Sans prendre garde, il est en passe de devenir ce voisin ronchon qui cogne ses murs du balai pour faire cesser ce boucan. Ce qui aurait sans doute été son pire cauchemar six ans et un album plus tôt. “Depuis quand les choses [l’ont] changé ?”

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Tout devrait pourtant aller très bien pour Orelsan. Lui qui avait “commencé dans une salle des fêtes” (“San”) se présentera devant les 20 300 places de l’AccorHotels Arena le 27 septembre prochain. Il est en position de réaliser ses rêves et ses fantasmes, est admiré par des gens qui ne le connaissent pas, mais qui prennent tout de même la peine de lui payer des verres, de lui offrir des cadeaux (“Bonne meuf”). La belle vie, en somme. “Sauf que maintenant, y’a plus rien d’excitant.” Tandis que son niveau de vie s’élève, l’ennui demeure, plus pesant que jamais (“Quand est-ce que ça s’arrête ?”). Et quand il jette un œil dans le rétro pour se remémorer des jours plus heureux, il réalise à quel point son passé est méconnaissable. Ses idoles de jeunesse sont “mortes ou devenues des parodies [d’elles-mêmes]” et les tours de sa ville natale sont détruites une à une (“Dans ma ville, on traîne”). Orelsan est comme sur un pont brumeux qui s’écroule à mesure qu’il le franchit. Une manière comme une autre de parler de dépression.
Ce profond mal-être, il s’en va finalement le vomir à la face de gens censés l’aimer, lors de pitoyables retrouvailles familiales (“Défaite de famille”). Eux semblent pourtant heureux, au départ. Mais “le rappeur de la famille” est certain qu’ils feignent, qu’ils n’ont pas tant de raison de l’être, certainement pas plus que lui, du moins. En véritable sociologue, il a longuement étudié leurs agissements, leurs défauts, identifié les névroses qu’ils n’osent pas s’avouer. De la même manière que “Je”, le personnage principal de Bref, observait Julien, son “pote à conditions générales” ou Ben et Katie, “le couple gênant qui crée des silences dans les dîners”. Le comportement d’Orelsan sur “Défaite de famille”, c’est exactement celui que “Je” – également déprimé – adoptait dans “Bref. J’ai fait une soirée déguisée. (partie 4)”.

Mais Orelsan va mieux

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Un épisode entier de Bref était d’ailleurs consacré à la dépression. Elle y était alors évoquée en ces termes :

“La vie, c’est comme un ascenseur. Quand ça va bien, il monte. Quand ça va mal, il descend. Et la dépression, c’est quand tu restes coincé au sous-sol. Au sous-sol, il y a tous les trucs que t’as enfoui et que t’as pas envie d’affronter. Et quand t’essayes d’appeler le dépanneur, tu te rends compte que le dépanneur, c’est toi.”

Difficile de ne pas entendre un écho dans le dernier album du normand. Plus qu’un constat, La fête est finie est une injonction. Une manière pour Orelsan de pousser Aurélien à se prendre en main. Car c’est de lui que doit venir l’initiative. Lui et lui seul peut affronter ses démons. “Personne [le] comprend”, de toute façon. “Notes pour plus tard”, c’est en quelque sorte le récit de sa propre expérience avec la dépression. Voilà donc pourquoi les notes sont si tardives. Mais après cet album, on en est sûr : Orelsan va mieux. Pour preuve : en seulement un an, la même meuf qu’il “baise depuis six ans” (“Quand est-ce que ça s’arrête ?”) est devenue à ses yeux celle qui lui fait oublier le “Paradis”.

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